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    Toi qui m'as tout repris jusqu'au bonheur d'attendre,

    Tu m'as laissé pourtant l'aliment d'un coeur tendre,

    L'amour ! Et ma mémoire où se nourrit l'amour.

    Je lui dois le passé ; c'est presque ton retour !

    C'est là que tu m'entends, c'est là que je t'adore,

    C'est là que sans fierté je me révèle encore.

    Ma vie est dans ce rêve où tu ne fuis jamais ;

    Il a ta voix, ta voix ! Tu sais si je l'aimais !

    C'est là que je te plains ; car plus d'une blessure,

    Plus d'une gloire éteinte a troublé, j'en suis sûre,

    Ton coeur si généreux pour d'autres que pour moi :

    Je t'ai senti gémir ; je pleurais avec toi !

     

    Qui donc saura te plaindre au fond de ta retraite,

    Quand le cri de ma mort ira frapper ton sein ?

    Tu t'éveilleras seul dans la foule distraite,

    Où des amis d'un jour s'entr'égare l'essaim ;

    Tu n'y sentiras plus une âme palpitante

    Au bruit de tes malheurs, de tes moindres revers.

    Ta vie, après ma mort, sera moins éclatante ;

    Une part de toi-même aura fui l'univers.

    Il est doux d'être aimé ! Cette croyance intime

    Donne à tout on ne sait quel air d'enchantement ;

    L'infidèle est content des pleurs de sa victime ;

    Et, fier, aux pieds d'une autre il en est plus charmant.

     

    Mais je n'étouffe plus dans mon incertitude :

    Nous mourrons désunis, n'est-ce pas ? Tu le veux !

    Pour t'oublier, viens voir ! ... qu'ai-je dit ? Vaine étude,

    Où la nature apprend à surmonter ses cris,

    Pour déguiser mon coeur, que m'avez-vous appris ?

    La vérité s'élance à mes lèvres sincères ;

    Sincère, elle t'appelle, et tu ne l'entends pas !

    Ah ! Sans t'avoir troublé qu'elle meure tout bas !

    Je ne sais point m'armer de froideurs mensongères :

    Je sais fuir ; en fuyant on cache sa douleur,

    Et la fatigue endort jusqu'au malheur.

     

    Oui, plus que toi l'absence est douce aux cœurs fidèles :

    Du temps qui nous effeuille elle amortit les ailes ;

    Son voile a protégé l'ingrat qu'on veut chérir :

    On ose aimer encore, on ne veut plus mourir.

     

    Toi qui m'as tout repris... de  Marceline DESBORDES-VALMORE

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    On voit tout le temps, en automne,
    Quelque chose qui vous étonne,
    C’est une branche, tout à coup,
    Qui s’effeuille dans votre cou.

     

    C’est un petit arbre tout rouge,
    Un, d’une autre couleur encor,
    Et puis, partout, ces feuilles d’or
    Qui tombent sans que rien ne bouge.

     

    Nous aimons bien cette saison,
    Mais la nuit si tôt va descendre !
    Retournons vite à la maison
    Rôtir nos marrons dans la cendre.

     

                                                                               Lucie DELARUE-MARDRUS

     

    L’automne de   Lucie DELARUE-MARDRUS

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    Sais-tu qui je suis ? Le Rayon de Lune.

    Sais-tu d'où je viens ? Regarde là-haut.

    Ma mère est brillante, et la nuit est brune.

    Je rampe sous l'arbre et glisse sur l'eau ;

    Je m'étends sur l'herbe et cours sur la dune ;

    Je grimpe au mur noir, au tronc du bouleau,

    Comme un maraudeur qui cherche fortune.

    Je n'ai jamais froid ; je n'ai jamais chaud.

     

    Sais-tu qui je suis ? Le Rayon de Lune.

    Et sais-tu pourquoi je viens de là-haut ?

    Sous les arbres noirs la nuit était brune ;

    Tu pouvais te perdre et glisser dans l'eau,

    Errer par les bois, vaguer sur la dune,

    Te heurter, dans l'ombre, au tronc du bouleau.

    Je veux te montrer la route opportune ;

    Et voilà pourquoi je viens de là-haut.

             

                                          Guy de Maupassant.

     

    Le rayon de lune de Guy de Maupassant.

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    — Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

    — Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

    — Tes amis ?

    — Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

    — Ta patrie ?

    — J’ignore sous quelle latitude elle est située.

    — La beauté ?

    — Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

    — L’or ?

    — Je le hais comme vous haïssez Dieu.

    — Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

    — J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages !

     

                           Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

     

    L’Etranger de Charles Baudelaire

     

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  • https://www.youtube.com/watch?v=Y8M3L-RHE_o

     

    I

    Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
    Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
    J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
    Le bois retentissant sur le pavé des cours.

    Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
    Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
    Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
    Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

    J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
    L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
    Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
    Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

    Il me semble, bercé par ce choc monotone,
    Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
    Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !
    Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

    II

    J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
    Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,
    Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
    Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

    Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
    Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
    Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
    D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

    Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
    Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
    Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
    De l'arrière-saison le rayon jaune et doux !

     

    Ce magnifique poème de Baudelaire est superbement mis en valeur dans cette vidéo. La voix du récitant : Janico est juste, son timbre de voix parfait et le choix de la musique : l'adagio for Strings de Samuel Barber est idéale. Le tout renforcé par de superbes images et cela nous donne une vidéo émouvante et forte. Un très beau travail de l'auteur de la vidéo Fée lidés

    Charles Baudelaire - Chant d'Automne

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