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    Dans un temps très lointain notre planète se nommait Emeraude. Son peuple l’avait appelée ainsi à cause de la couleur bleu vert que lui donnaient les arbres qui la recouvraient.
    Ses habitants vivaient en harmonie avec la nature. Ils prenaient un soin immense envers les arbres. Leurs cœurs vibraient pour ces êtres majestueux.
    Tous les enfants apprenaient à les écouter, à leur parler, à les soigner. Le magicien du village leur confiait ses secrets. Le plus grand était son amour infini pour la Vie…
    Le magicien leur montrait comment concocter de la poudre de musique. Cette potion avait un pouvoir magique sur les arbres.
    Le lieu où se réunissaient tous les magiciens de la terre se trouvait au bord de l’océan. Cet endroit se nommait Méduse ; plusieurs familles y vivaient.
    Leane et Loïc, deux enfants de ce village, passaient tout leur temps dans la nature. Chaque matin ils visitaient les arbres de Méduse.
    Depuis quelques jours, Leane sentait une certaine tristesse envahir les arbres. Avec l’aide de Loïc, elle parsema de poudre de musique les racines de chacun.
    Mais rien n’y fit. Leur mélancolie augmentait de jour en jour et leur vigueur disparaissait. Leane alla trouver le magicien du village qui lui conseilla de parler à Sâge, l’arbre le plus vieux de la région.
    La petite fille marcha toute la journée. A la nuit tombée, elle distingua une ombre majestueuse, Sâge se tenait devant elle. Sa beauté émut l’enfant. Elle lui demanda la raison de cette tristesse qui envahissait tous les arbres. Il se pencha vers Leane et son feuillage lui murmura le secret.
    Depuis plusieurs semaines un nuage de glace avançait vers la terre. Si rien ne l’arrêtait, il gèlerait la surface de la planète et anéantirait toute vie.
    Bouleversée, la petite fille courut rejoindre son ami Loïc et le magicien du village. Des larmes plein les yeux, elle leur expliqua la situation. Loïc ne disait rien.
    Après une nuit de sommeil agité, les deux enfants se retrouvèrent au bord de l’océan. Plusieurs heures de réflexion firent jaillir une idée qui les enchanta : réunir tous les habitants d’Emeraude à Méduse, pour unir leurs souffles, afin d’éloigner ce nuage de glace.
    Le temps pressait et ils n’avaient pas assez de coursiers ni de parchemins pour avertir tous les habitants. Leane fit part de son idée à Sâge qui lui demanda de revenir au lever du jour.
    A l’Aube, Leane était là devant lui. Le vieil arbre avait consulté ses congénères. Ensemble ils avaient décidé de donner tous leurs feuillages en guise de parchemins pour écrire aux habitants de la planète. Le vent qui les avait entendus, leur proposait d’être leur messager et de transporter dans sa course folle, toutes les feuilles.
    Les arbres abandonnèrent leurs feuillages. Le village se mit au travail. Le signe fut inscrit sur chaque feuille. Puis le vent souffla de plus en plus fort en entraînant ces milliers de messages.
    Trois lunes plus tard, Méduse était inondée de monde. Tout le peuple d’Emeraude était réuni. Le magicien leur demanda de se grouper au bord de l’eau et de souffler de toutes leurs forces vers le ciel.
    Le nuage de glace qui pointait au loin depuis plusieurs jours, s’éloigna gracieusement sous les yeux inondés de joie de la foule. Une douce chaleur enveloppa la planète et la nature s’éveilla. En souvenir de ce jour glorieux, les arbres perdent leurs feuilles chaque année, aux premiers frissons de l’automne…
    … et si quelqu’un vous dit que ce n’est qu’une histoire, restez muet jusqu’aux premiers jours de l’automne. Promenez-vous sous les arbres et ramassez délicatement une feuille morte… Si vous l’observez vraiment attentivement, vous y découvrirez le signe qui permit aux habitants d’Emeraude de se réunir pour sauver leur planète.

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    Les yeux des chats

     

     

    Vous voudriez bien savoir, n'est-ce pas, pourquoi les yeux des chats luisent la nuit ? Eh bien ! écoutez attentivement cette histoire.

    La lune, ronde comme un ballon et qui passe pour une bonne fille, s'y entendait comme pas une pour plaisanter et jouer à colin-maillard avec les autres habitants du ciel. Mais elle était ce soir-là, de fort méchante humeur. Bouche amère, nez enflé et rougi, comme si elle avait attrapé le rhume de cerveau d'un géant, le front creusé de profondes rides qui trahissaient son irritation, elle regardait la terre d'un œil sombre.

    Elle vint à passer devant la porte du Paradis. Saint Pierre était assis sur un banc et jouissait de cette douce nuit d'été. Quand la lune se montra, il était en train de tirer de sa pipe des volutes de fumée qu'il soufflait au nez des étoiles.

    « Mais qu'as-tu donc, chère amie ? demanda le portier du ciel en

    voyant le visage hargneux de la voyageuse nocturne; on dirait que tu as mangé une bonne douzaine de pommes acides. »

    « Pardon, dit la lune en s'asseyant à côté de Saint Pierre, je n'ai pas croqué de pommes sauvages!»

    Et toussotant pour s'éclaircir la voix, elle ajouta:

    « C'est si ennuyeux, vois-tu, de parcourir le ciel chaque nuit. Et je me sens parfaitement inutile. Au Paradis, je compte pour si peu. Une vieille femme comme moi n'a aucune perspective d'avenir. Et en bas, chez les humains, tous dorment derrière leurs volets clos. On dirait qu'ils craignent que je leur dérobe quelque chose. Me prennent-ils pour une voleuse ?

    Je te le répète, j'erre sans raison à travers l'espace et le bon Dieu devrait bien me dispenser de cette corvée... »

    Saint Pierre passa sa main dans sa barbe en se demandant ce qu'il y avait de vrai dans les récriminations de la lune.

    « Hum! dit-il enfin, je ne permettrai jamais que tu t'adonnes à la paresse. Mais, pour cette nuit, je veux bien faire une exception. Je vais te procurer des habits, des souliers et un bâton de pèlerin. Descends chez les hommes, guigne de-ci de-là dans les maisons, écoute ce qui se dit dans les chambres et tu sauras ce que les gens pensent de toi. »

    Ce n'est pas sans peine que la lune, arrivée au bord du ciel, parvint à enjamber les montagnes. Par instant, elle restait suspendue à une aiguille de glace qui accrochait son habit au passage, et ses membres grêles se fatiguaient à supporter son énorme tête. Quand elle franchit enfin la porte d'une ville, elle trébucha et un mâtin qui rôdait par là l'accueillit avec des aboiements furieux: waouh, waouh... « Cela commence bien! » pensa la lune. En effet, une deuxième aventure lui advint aussitôt. Dans une basse-cour, située entre deux maisons, un malandrin tapi dans l'ombre, et qui venait d'attacher le bec des poules pour les empêcher de piailler, s'apprêtait à emporter son butin emplumé. « Nous verrons bien! » se dit la lune qui, indignée, entra dans la cour et inonda le voleur de sa vive lumière. Mais le malfaiteur ne s'effraya pas pour si peu. Il tenta de saisir la lune par le cou et, n'y parvenant pas, il lui décocha cependant quelques bons coups de poing avant de s'enfuir les mains vides. La pauvre en fut toute endolorie, mais elle se félicita d'avoir empêché un larcin.

    La lune, avant de vivre sa troisième aventure, s'arrêta devant la porte d'une chambrette et, collant l'oreille au trou de la serrure, écouta un enfant malade qui faisait sa prière :

    « Bon Dieu, disait-il, envoie-moi la lune afin que je puisse m'endormir sous sa garde ! » A côté, dans une chambre voisine, un vieillard gémissait : « Oh! si seulement la lune, mon amie d'enfance, pouvait venir me consoler de mes misères ! » Emue, la visiteuse apparut en même temps aux deux malheureux. Montrant une de ses faces au vieil homme et l'autre à l'enfant, elle leur parla gentiment et les réconforta.

    La même maison possédait une mansarde occupée par une vieille femme qui nourrissait une armée de chats. Ces bêtes faisaient toute sa joie.

    Quand la lune poussa brusquement la porte, les animaux, aveuglés par la lumière, se précipitèrent sur elle comme un éclair, miaulant, soufflant et la griffant au visage, si bien que la pauvre lune tomba à genoux et demanda grâce.

    La femme dit alors : « Ma chère lune, j'ai bien peur pour toi... Mais si tu fais un présent à mes chats, tu seras délivrée de leurs griffes. Offre-leur donc à chacun un peu de ta lumière et mets-la dans leurs yeux afin que ceux-ci brillent dans l'obscurité. »

    La lune n'avait d'autre moyen, pour sauver sa vie, que de répondre favorablement et sur-le-champ à cette demande.

    « De la lumière, dit-elle, mais j'en ai à revendre ! C'est pourquoi il ne me coûtera guère d'en abandonner une étincelle dans les yeux de chacun de tes chats. » Et elle s'exécuta aussitôt.

    Alors les félins rentrèrent leurs griffes et s'assirent gentiment autour d'elle. Avançant patte de velours, quelques-uns la caressèrent doucement ; d'autres léchèrent ses blessures avec leur petite langue rose, ou agitèrent la queue comme un éventail pour lui donner un peu d'air frais.

    C'est depuis ce moment-là que les yeux des chats luisent dans l'obscurité.

    Et la lune, convaincue enfin de son utilité, cessa de se plaindre et reprit sa ronde infatigable et vagabonde au firmament.

     

     Conte d'Islande

     

    Source : Moments de vie .

     

    Et en mémoire, cette photo de notre Poupoussette disparue aujourd'hui à l'âge de 20 ans et 6 mois

    Les yeux des chats

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  • La Veillée #56 : Grand Méchant Loup, par Alexandre Astier

     

    Tout le monde connait Alexandre Astier,  le formidable Arthur de Kaamelott. Mais Alexandre Aster est aussi un homme formidablement intelligent, érudit qui artistiquement, touche à tout.  Nous le découvrons formidable conteur. Je me suis régalée à l'écouter. J'espère que vous aurez le même plaisir.

     

    https://www.youtube.com/watch?v=T5M-COyMo-g

     

     

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  •  Le fuseau de la reine du ciel (Ottrott)

    Peut-être ignorez-vous ce qu’est le fuseau d’une fileuse ? C’est la bobine galbée, qui couronne le rouet quand on filait la quenouille. Jadis, chaque famille avait son rouet et les femmes y travaillaient de longues heures.

    Ainsi en était-il d’un brave couple d’agriculteurs du pays d’Ottrott qui cultivait son lopin de terre et n’avait qu’un seul trésor : sa fille unique. Elle était tout aussi travailleuse que ses parents et se montrait particulièrement adroite à filer la quenouille. Un jour, alors qu’elle allait tisser une nappe d’autel en l’honneur de la Vierge, nappe faite du fil de lin le plus pur, elle fit un vœu.

    Le lendemain, elle fut toute surprise. Son fuseau était enveloppé de lin qu’il suffisait de filer ! Personne ne savait d’où venait ce fil si pur.  Liese, puisque tel était le nom de la jeune fille, se mit à l’ouvrage. Mais, oh étonnement ! le fil de lin semblait inépuisable. La bobine terminée, elle se rechargeait automatiquement et Liese se mit même à travailler la nuit, au clair de lune. Elle s’était mis en tête de remercier l’astre de la nuit qui l’éclairait tant et, d’un ton amusé, elle lui parlait en ces termes : « Alors, vieille amie, ne suis-je pas assidue au travail ? »

    Chaque soir, la même scène se jouait. Mais une nuit, alors que la belle interpellait à nouveau la lune, celle-ci, soudainement, quitta le firmament et descendit sur terre sous la forme d’un élégant jeune homme, celui que l’on aperçoit parfois sur la lune quand on fixe longtemps l’astre ! Le jouvenceau prit place sur le petit banc, devant la maison, parla d’amour, de bonheur et donna même un baiser à Liese avant de repartir dans le firmament.

    Dès lors, Liese retrouva régulièrement son étrange amoureux devant la porte de sa demeure. Mais au lieu de filer la quenouille, ils échangeaient des mots d’amour et son ouvrage n’avançait plus. Elle qui avait promis la nappe pour le mois de mai -le mois de Marie- n’y pensait plus. Le jeune homme de la lune avait beau lui rappeler son vœu, lui montrer l’étonnant fuseau toujours plein, Lise rêvait ! Et quand arriva le premier jour du mois de mai, la première adoration de la Vierge, Lise mit ses beaux atours. Tout le monde pensait qu’elle irait à l’église pour y déposer sa nappe. Il n’en fut rien !  Liese se glissa hors de sa maison et s’installa au milieu du pré. Là, elle fixa le ciel et se mit à parler à son amoureux, la lune !

    Le lendemain, Liese avait disparu, mais au milieu de la prairie, derrière la maison de ses parents, on pouvait voir une immense et belle fleur, aux couleurs éclatantes et ayant la forme d’une quenouille ! Personne ne connaissait cette fleur, aussi lui a-t-on donné un nom original : la quenouille de la Vierge ! Chaque année, elle refleurit et si quelqu’un se donnait la peine de bien la regarder, il verrait que par certaines nuits de pleine lune du mois de mai, de grosses larmes coulent de sa corolle. Ce sont les pleurs de la belle Liese qui attend toujours d’être délivrée de son sort !

    Peut-être un jour, un jeune homme courageux trouvera-t-il la solution de l’énigme ?

     

    Extrait de 

    Histoires extraordinaires et lieux mystérieux d’Alsace. de Guy Trendel

    Semés comme pour un jeu de piste, certains sites alsaciens entre Vosges et Rhin réservent bien des surprises aux curieux.

    Voici qu’on découvre des murailles, des roches, des grottes qui tous évoquent des histoires peuplées de fantômes, de chevaliers ou nobles dames. (…). On découvre aussi des animaux fantastiques, épouvantables, des trésors à emporter (…).  Ces lieux sont tout autant des buts de promenades où, parfois on éprouve quelques frissons (…) 

    Histoires extraordinaires et lieux mystérieux d'Alsace - broché - Guy  Trendel - Achat Livre | fnac

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  • Le conte de la planète Espère

     

     

    Il y aura un jour à l’école un enseignement actif à la communication relationnelle

    Il était une fois un groupe d’hommes et de femmes qui, désespérés de vivre sur une planète où régnaient l’incommunication, l’incompréhension, la violence, l’injustice et l’exploitation du plus grand nombre par des minorités bureaucratiques, politiques ou militaires, décidèrent de s’exiler. Oui, de quitter leur planète d’origine, la planète TAIRE, pour aller vivre sur une planète différente qui avait accepté de les accueillir. Il faut que je vous dise dès maintenant ce qui faisait la particularité de cette planète différente, appelée ESPÈRE.

    Il s’agit en fait d’un phénomène relativement simple, mais dont la rareté méritait une grande attention. Sur cette planète, dès leur plus jeune âge, les enfants apprenaient à communiquer, c’est-à-dire à mettre en commun. Ils apprenaient à demander, à donner, à recevoir ou à refuser. Vous allez certainement sourire ou être incrédules devant quelque chose qui peut paraître si puéril ou encore si évident que cela ne retient l’attention ou l’intérêt de personne. Vous allez penser que j’exagère ou que j’ai une arrière-pensée trouble. Si c’est le cas, cela vous appartient. Je vous invite quand même à écouter la suite.

    Sur la planète ESPÈRE, qui avait en elle aussi une longue histoire de guerres et de destructions sur plusieurs millénaires, on avait enfin compris que ce qui fait la sève de la vie, ce qui nourrit le bien-être, l’énergie vitale et surtout ce qui donne à l’amour sa vivance, c’était la qualité des relations qui pouvaient exister entre les humains : entre les enfants et les parents, entre les adultes eux-mêmes.

    Cette découverte ne s’était pas faite sans mal, il avait fallu l’acharnement et la foi de plusieurs pionniers, la rigueur et la cohérence de ceux qui suivirent, pour accepter ce qui était depuis longtemps si masqué, si voilé, à savoir que tous les habitants étaient à l’origine des infirmes, des handicapés de la communication. Par exemple, que beaucoup justement ne savaient pas demander, et donc prendre le risque d’une acceptation ou d’un refus. Mais qu’ils prenaient, imposaient, culpabilisaient, violentaient pour avoir, pour obtenir.

    Oui, je dois vous le dire tout de suite, le dieu qui régnait dans cette époque lointaine sur la planète ESPÈRE était le dieu AVOIR. Chacun voulait acheter, voler, déposséder les autres, enfermer dans des coffres, capitaliser le dieu AVOIR. Celui-ci régnait sur les consciences, imposait ses normes, et sa morale régulait la circulation des richesses, violait toutes les lois humanitaires, contournait tous les règlements à son seul profit. La plupart des humains de l’époque ne savaient plus donner, ils vendaient, échangeaient, trichaient pour échapper au partage, thésaurisaient pour amasser, se faisaient des guerres sans fin pour accumuler, avoir plus.

    Le recevoir était le plus souvent maltraité. Accueillir, amplifier tout ce qui aurait pu venir de l’autre était risqué, déconseillé. L’intolérance à la différence orientait le plus grand nombre vers la pensée unique, les intégrismes ou le politiquement correct. Les refuser était également l’enjeu de beaucoup d’ambivalences, le refus était assimilé à l’opposition, au rejet, à la disqualification et non au positionnement, à l’affirmation positive quand on a la liberté de dire non dans le respect de soi. À cette époque, le dieu AVOIR s’appuyait sur des principes forts, communément pratiqués au quotidien de la vie personnelle, professionnelle et sociale de chacun.

    Je vais juste en rappeler quelques-uns pour mémoire, car, bien évidemment, ces principes sont aujourd’hui devenus caducs sur la planète ESPÈRE. Le premier auquel tenaient beaucoup les parents et les enseignants de l’époque était de parler sur l’autre. Oui, oui, non pas parler à l’autre, mais parler sur lui avec des injonctions, en lui dictant par exemple ce qu’il devait penser ou ne pas penser, éprouver ou ne pas éprouver, dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire. Vous le comprenez bien, ce principe était destiné à maintenir le plus longtemps possible les enfants dans la dépendance et développer plus tard cet état au seul profit de quelques-uns en entretenant des rapports dominants-dominés.

    Un autre principe était de pratiquer la disqualification ou la dévalorisation. De voir et de mettre en évidence tout de suite les fautes, les manques, les erreurs et non pas, bien sûr, de constater, de valoriser les réussites, les acquis ou les succès. S’ajoutait à cela la culpabilisation, très prisée, car elle évitait de se remettre en cause ou de se responsabiliser en rendant l’autre responsable de ce qui nous arrivait ou même de ce qu’on pouvait ressentir. « Regarde comme tu me fais de la peine, comme tu me rends malheureux en ne suivant pas mes conseils… »

    Le chantage, la mise en dépendance, la manipulation complétaient les principes déjà énoncés pour maintenir entre les humains un état de malaise, de non-confiance, de doutes, d’ambivalences et d’antagonismes propices à entretenir méfiances, violences et désirs de posséder plus. À un moment de l’histoire de cette planète, il y avait tellement de conflits et de guerres, non pas d’un pays contre l’autre mais à l’intérieur d’un même pays, que deux humains sur trois survivaient dans l’insécurité, la pauvreté et toujours la faim présente. Il n’y avait jamais eu autant d’exploitation économique et sexuelle des enfants, autant de génocides décidés froidement, de tortures et d’intolérances.

    L’homme était devenu un prédateur redoutable, doté de pouvoirs technologiques, chimiques, biologiques ou de capacité de manipulations audiovisuelles si puissantes qu’aucun contre-pouvoir ne pouvait l’arrêter. Puis survint un stade critique où la violence intime, une violence de survie, fit irruption dans les familles, dans les villages, dans les quartiers des grandes villes. L’apparition de cette violence, de plus en plus précoce, réveilla les consciences. On voyait des enfants de huit ans, de dix ans, brûler, torturer des adultes démunis, ahuris, incrédules. Vous allez penser que je déforme, pour vous inquiéter, une réalité qui peut paraître semblable à la vôtre !

    Ne croyez pas cependant que tout le monde restait passif ou inactif. Beaucoup se mobilisaient, les réformes se succédaient, les commissions se réunissaient, les tribunaux internationaux tentaient de juger les plus criminels, certains dictateurs à la retraite ne se sentaient plus en sécurité, des ministres passaient devant les hautes cours de justice, des financiers célèbres étaient envoyés en prison. De plus en plus de gens n’acceptaient plus les dérives de ce type de société.

    Mais comme vous l’avez remarqué sur notre propre planète, toutes ces actions se faisaient en aval, dans l’après-­coup, il n’y avait aucune réforme en amont. Aucune réforme pour unifier, se réconcilier, proposer à chaque être des règles d’hygiène relationnelle susceptibles d’ouvrir à des relations vivantes, créatrices, conviviales.

    C’est pourtant ce que firent, en quelques décennies, ces pionniers, ces éveilleurs de vie de la planète ESPÈRE quand ils convainquirent des parents, des adultes de descendre un jour dans la rue pour se mettre en grève de vie sociale. On n’avait jamais vu cela dans toute l’histoire de cette planète : des hommes et des femmes décident de se mettre en grève d’existence pour tenter de sauvegarder le peu de vie qui subsistait sur cette planète.

    Comment firent-ils ? Ils arrêtèrent de travailler, d’acheter, d’utiliser les transports publics et privés, de regarder la télévision, ils sortirent dans la rue, se rencontrèrent, échangèrent, s’offrirent ce qu’ils avaient, partagèrent au niveau des besoins les plus élémentaires. Ils s’apprirent mutuellement le peu qu’ils savaient sur une autre façon de communiquer et découvrir ensemble le meilleur d’eux-mêmes au travers du meilleur de l’autre.

    La suite n’est pas simple, les démarches furent complexes, les résistances vives, mais un jour, dans un des pays de cette planète, on décida d’apprendre la communication à l’école comme une matière à part entière, au même titre que les autres : s’exprimer, lire, écrire, compter, créer, communiquer. Et dans ce pays la violence commença à disparaître, le niveau de la santé physique et psychique augmenta, des hommes et des femmes découvrirent qu’ils pouvaient s’autoriser à être heureux.

    Un jour, les hommes et les femmes qui continuent de vivre, de survivre, sur la planète TAIRE devenue invivable, décideront peut-être, non pas de s’exiler et d’aller vivre sur la planète ESPÈRE, mais plus simplement d’apprendre à communiquer, à échanger, à partager autrement.

    Vous vous demandez peut-être où est située la planète ESPÈRE dans l’espace ?

    Je vais vous faire une confidence, elle est à inventer dans votre coin d’univers, dans chaque lieu où il y a de la vie.

    Jacques Salomé

    Contes à aimer. Contes à s’aimer

    Paris, Albin Michel, 1994

     

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