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Par Pestoune le 18 Octobre 2024 à 20:55
Le 28 août 1963, Joséphine Baker participe à la grande marche pour les droits civiques à Washington. Vêtue de son uniforme de la France libre, elle prononce un discours avant de laisser la parole à Martin Luther King.
Joséphine Baker était une danseuse de music hall franco-américaine dans sa première vie. Elle fut ensuite résistante et figure de la lutte contre le racisme. Retour sur son discours lors de la marche pour les droits civiques à Washington en 1963.
https://www.youtube.com/watch?v=ZAMeR1ReRXQ
« Mes amis, ma famille… Vous savez que ma vie est déjà longue et que j’ai fait un long voyage. Et vous devez savoir que ce que j’ai fait, c’était d’abord pour moi. Mais à mesure que je vivais tout cela, je me suis demandé si vous viviez les mêmes choses, et alors j’ai compris que vous n’aviez aucun moyen de vous défendre, comme moi-même je n’en avais eu aucun.
Et tandis que je continuais à faire ce que j’avais à faire, à dire ce que j’avais à dire, ils ont commencé à me battre. Je ne dis pas qu’ils me battaient avec un bâton, ce que j’ai vu qu’on vous faisait, mais ils m’ont battue avec leurs stylos, avec leurs articles. Et cela, mes amis, je vous prie de croire que c’est bien pire.
Quand j’étais enfant et qu’ils m’ont chassée de ma maison, j’ai eu peur et j’ai fui. Par la suite, j’ai fui encore plus loin. Jusqu’à un endroit qui s’appelle la France. Beaucoup d’entre vous y ont été, beaucoup d’autres ne le connaissent pas. Mais je dois vous dire, mesdames et messieurs, que dans ce pays, je n’ai jamais eu peur. C’était un endroit féerique !
Et je n’ai pas besoin de vous raconter toutes les merveilleuses choses qui me sont arrivées là-bas. Mais je sais que vous, les enfants, vous ne savez pas qui est Joséphine Baker, alors allez demander à votre grand-père ou à votre grand-mère, ils vous le diront. Vous savez ce qu’ils vous diront ? “Mais c’était le diable !” Et vous savez quoi, ils auront raison. Car c’est ce que j’ai été aussi. J’ai été le diable dans les autres pays, mais en Amérique, j’ai été un tout petit diable.
Je dois vous dire autre chose : quand j’étais jeune à Paris, il m’est arrivé d’étranges choses. Des choses que je n’avais jamais vécues. Quand j’ai quitté Saint-Louis il y a très longtemps, on m’avait fait monter dans le dernier wagon. Vous savez tous ce que cela signifie. Mais quand j’ai fui dans un autre pays, je n’ai plus eu à faire cela. Je pouvais manger dans n’importe quel restaurant, je pouvais boire un verre à ma guise, je n’avais pas à aller dans des toilettes réservées aux gens de couleur, et je dois vous dire que c’était très agréable, je m’y suis habituée, cela m’a plu et je n’avais plus peur que quelqu’un se mette à me crier dessus pour me dire : “Toi, la Négresse, tu vas au bout de la queue.” J’utilise très rarement ce mot. Mais vous savez qu’on l’a employé très souvent à mon égard.
Et donc, très loin d’ici, j’étais heureuse, et parce que j’étais heureuse, j’ai eu du succès, vous savez cela aussi.
Après de longues années, je suis revenue en Amérique pour participer à un grand spectacle, celui de monsieur Ziegfield, et vous devinez que Joséphine était heureuse d’y être. Parce que partout dans mon pays, je voulais faire savoir que j’avais réussi, que je m’en étais bien sortie, ce qui est naturel.
Mais sur le beau navire qui m’a amenée en Amérique, j’ai vécu une très mauvaise expérience. Une grande star américaine devait venir partager ma table, or, au dernier moment, j’ai découvert qu’elle ne voulait pas dîner avec une Noire. Cela a été un coup terrible. Il est inutile de mentionner son nom, c’est sans importance, elle est morte depuis.
Quand je suis arrivée à New York, j’ai reçu d’autres coups. On ne m’a pas laissée dormir dans les beaux hôtels, on ne m’a pas laissée manger dans certains restaurants. Quand je me suis retrouvée à Atlanta, ce fut horrible. Et je me suis dit, mon Dieu, je suis tout de même Joséphine Baker, s’ils me font ça à moi, que font-ils à tous les autres en Amérique ?
Vous savez, mes amis, que je ne vous mens pas quand je vous raconte que j’ai été reçue dans des palais de reines et de rois, dans des maisons de chefs d'État. Mais je n’ai pas eu le droit d’entrer dans un hôtel d’Amérique ni de demander une tasse de café. Cela m’a rendue folle. Et quand je deviens folle, vous savez que j’ouvre ma bouche. Et alors là, attention, quand Joséphine l’ouvre, on l’entend dans le monde entier.
Je me suis même mise à crier, pour demander ce que j’étais censée recevoir, ce que j’avais le droit d’obtenir. Mais ils ont continué à me le refuser. Ils ont pensé alors qu’ils pouvaient me salir ; la meilleure façon de le faire, c’était de me traiter de communiste. Vous savez ce que cela signifie. Il s’agissait d’un mot très redoutable à l’époque, j’ai été harcelée par leurs agences de renseignements, même si elles n’ont jamais obtenu la moindre preuve que j’étais communiste. Mais ils étaient fous. Ils étaient fous parce que j’osais dire la vérité. Et la vérité, c’était que je voulais simplement une tasse de café. Mais je la voulais à l’endroit où je souhaitais la boire, j’avais assez d’argent pour la payer, alors pourquoi je ne pouvais pas l’avoir exactement là où je la voulais ?
Mes amis, mes frères et mes sœurs, voilà donc comment cela s’est passé. À force de m’entendre crier très fort, ils ont commencé à entrebâiller la porte. Nous nous sommes tous engouffrés, pas seulement les gens de couleur, mais les autres aussi, les autres minorités, les Asiatiques, les Mexicains, les Indiens, ceux des États-Unis comme ceux qui viennent d’Inde.
Je ne suis pas là devant vous aujourd’hui pour prétendre que tout cela, c’est grâce à moi. Non, je ne ferai pas cela. En revanche, ma contribution sera de vous dire de faire la même chose : si vous criez, mes amis, je peux vous assurer que vous serez entendus. Et c’est maintenant que vous devez être entendus.
Mais vous, les jeunes, vous devez encore faire autre chose. Je sais que vous avez entendu cela des milliers de fois dans la bouche de vos parents, comme, moi-même, je l’avais entendu dire par ma mère. Je n’ai pas suivi son conseil, sinon d’une autre manière. Vous devez recevoir une éducation. Vous devez aller à l’école et apprendre à vous défendre. Et vous devez apprendre à vous défendre avec un stylo et non avec une arme. Alors vous pourrez leur répondre et je peux vous dire, mes amis – et ce n’est pas juste une banalité – qu’un stylo est plus puissant qu’une épée.
Je ne suis plus une jeune femme, mes amis. Ma vie est derrière moi. Le feu qu’il y avait en moi commence à décliner. Avant qu’il ne s’éteigne, je veux utiliser ce qu’il en reste pour allumer le feu qui est en vous. Afin que vous puissiez continuer, afin que vous puissiez faire ces choses que j’ai faites. Alors, quand mon feu se sera consumé et que j’irai là où nous allons tous, je pourrai être heureuse.
Vous savez que j’ai toujours pris les chemins parsemés d’obstacles. Je n’ai jamais emprunté la voie la plus facile, mais en vieillissant, alors que je me savais plus forte et plus solide, j’ai pris à nouveau ces chemins en espérant qu’ils me soient plus faciles. Je voudrais qu’ils soient moins pénibles pour vous. Je vous souhaite d’avoir autant de chance que moi, mais je ne veux pas que vous ayez à fuir votre pays. Et vous, les pères et les mères, s’il est trop tard pour vous, pensez à vos enfants. Faites de ce pays un endroit plus sûr afin qu’ils n’aient pas à s’enfuir, car je veux que vous ayez, vous et vos enfants, ce que j’ai obtenu.
Mesdames et messieurs, mes amis, ma famille, on vient de me transmettre un petit message. C’est une invitation à venir rendre visite au président des États-Unis, chez lui, à la Maison-Blanche. Je suis très honorée. Mais je dois vous dire que ce n’est pas la femme de couleur – la Noire, comme vous dites ici aux États-Unis – qui ira là-bas. C’est une femme. C’est Joséphine Baker. C’est un grand honneur pour moi. Je veux qu’un jour, vous aussi, les enfants, vous ayez ce même honneur. Et nous savons que ce jour n’est pas pour demain, qu’il doit arriver maintenant.
Je vous remercie et que Dieu vous bénisse. Et qu’Il continue à vous bénir longtemps après que j’aurai disparu. »
Joséphine Baker
https://www.youtube.com/watch?v=8yCPlqtnKK0
Jean-Claude Bouillon-Baker, fils de Joséphine, raconte comment elle a réussi à participer à cet événement, alors qu’elle était considérée comme persona non grata aux États-Unis
Qui est Joséphine Baker ?
Symbole de l'antiracisme, résistante, artiste de music-hall, Joséphine Baker devient un symbole de la France et entre au Panthéon.
https://www.youtube.com/watch?v=F1S_7FvJB74
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Par Pestoune le 6 Octobre 2024 à 20:55
Hedy Lamarr était une actrice et inventrice austro-américaine qui a été à l'origine de la technologie qui allait un jour constituer la base des systèmes de communication WiFi, GPS et Bluetooth d'aujourd'hui.
Belle, bien trop belle c'était son drame. Elle fut celle qui inspira Blanche Neige à Disney. Tous les hommes étaient à ses pieds et on a pu l'admirer sur grand écran dans des films comme Samson et Dalila et White Cargo. Mais son génie a longtemps été ignoré par la société.
Naissance et jeunes années
Hedwig Eva Kiesler est née à Vienne, en Autriche, le 9 novembre 1914, dans une famille juive aisée.
Fille unique, elle reçoit beaucoup d'attention de son père, directeur de banque et homme curieux, qui l'incite à regarder le monde avec les yeux ouverts. Il l'emmenait souvent faire de longues promenades au cours desquelles il discutait du fonctionnement de différentes machines, comme la presse à imprimer ou les tramways. Ces conversations ont guidé la réflexion de la jeune Hedwig et, à l'âge de cinq ans seulement, on pouvait la voir démonter et remonter sa boîte à musique pour comprendre le fonctionnement de la machine.
Parallèlement, sa mère, qui était pianiste de concert, l'a initiée aux arts en lui faisant prendre des cours de ballet et de piano dès son plus jeune âge.
A l'âge de 13 ans, sa mère l'emmène voir "Metropolis" de Fritz Lang. Hedy en ressort bouleversée et décide de faire du cinéma.
Sa carrière cinématographique
L'esprit brillant de Hedy a été ignoré, et sa beauté a pris le devant de la scène lorsqu'elle a été découverte par le réalisateur Max Reinhardt à l'âge de 16 ans. Elle étudie l'art dramatique avec Reinhardt à Berlin et joue son premier petit rôle au cinéma en 1930, dans un film allemand intitulé Geld auf der Straβe (« L'argent dans la rue »). Cependant, ce n'est qu'en 1932 qu'elle se fait connaître en tant qu'actrice grâce à son rôle dans le film controversé Ecstasy ou Extase, considéré comme étant le premier film X du cinéma. Nue, Hedy simule l'orgasme, cette unique scène déclenche le scandale. Le film est interdit de diffusion un peu partout jusqu'en 1940. Hedy en dit : "Je n'avais aucune raison de me méfier. Je n'avais pas la moindre idée des humiliations qu'il allait me causer, ni de la gloire mondiale qu'il allait m'apporter."
Fritz Mandl, un marchand de munitions autrichien proche d'Hitler, devient l'un des fans inconditionnels de la jeune comédienne lorsqu'il la voit dans la pièce Sissy. Hedy Lamarr et Mandl se marient en 1933, mais leur union est de courte durée. Elle a déclaré un jour : « J'ai su très vite que je ne pourrais jamais être actrice tant que je serais sa femme... Il était le monarque absolu dans son mariage... J'étais comme une poupée. J'étais comme une chose, un objet d'art qui devait être gardé - et emprisonné - n'ayant pas d'esprit, pas de vie propre ». En 1937, elle échappe à l'emprise de Mandl en s'enfuyant à Londres, mais elle emporte avec elle les connaissances acquises au cours de conversations à table sur les armes de guerre.
Pendant son séjour à Londres, la chance de Hedy a tourné lorsqu'elle a été présentée à Louis B. Mayer, des célèbres studios MGM. Grâce à cette rencontre, elle obtient son billet pour Hollywood, où elle mystifie le public américain par sa grâce, sa beauté et son accent. Elle perd son accent autrichien, sui des cours de danse et de chant, perd du poids et devient la star sublime : Hedy Lamarr. Les femmes veulent lui ressembler. Les hommes rêvent de la coucher dans leurs lits. "Dans la vie, dit-elle, j'ai deux soucis : ma beauté et mon intelligence. Je suis une femme avec un corps de femme et un esprit d'homme, et les hommes n'aiment pas ça. Mon cerveau les effraie."
À Hollywood, elle fait la connaissance de divers personnages excentriques de la vie réelle, tels que l'homme d'affaires et pilote Howard Hughes.
Son génie inventif
Hedy Lamarr fréquente Howard Hughes mais s'intéresse surtout à son désir d'innovation. Son esprit scientifique avait été étouffé par Hollywood, mais Hughes a contribué à alimenter l'esprit d'innovation de la star, en lui donnant un petit ensemble d'équipements à utiliser dans sa caravane sur le plateau de tournage. Alors qu'elle disposait d'une table d'invention dans sa maison, le petit équipement permettait à Hedy de travailler sur ses inventions entre les prises.
Hughes l'emmène dans ses usines d'avions, lui montre comment les avions sont construits et lui présente les scientifiques à l'origine du processus. La jeune femme a été inspirée pour innover, car Hughes voulait créer des avions plus rapides qui pourraient être vendus à l'armée américaine. Elle achète un livre sur les poissons et un autre sur les oiseaux et étudie les avions les plus rapides de chaque espèce. Elle combine les nageoires du poisson le plus rapide et les ailes de l'oiseau le plus rapide pour dessiner un nouveau modèle d'ailes pour les avions de Hughes. En montrant le dessin à Hughes, celui-ci dit à l'actrice : « Vous êtes un génie ».
HedyLamarr était en effet un génie et les engrenages de son esprit inventif continuaient à tourner. Elle a déclaré un jour : « Améliorer les choses me vient naturellement ». Elle a ensuite créé un feu rouge amélioré et une tablette qui se dissout dans l'eau pour produire un soda semblable au Coca-Cola. Toutefois, son invention la plus importante a été mise au point alors que les États-Unis se préparaient à entrer dans la Seconde Guerre mondiale.
Le codage secret des transmissions.
En 1940, Hedy Lamarr rencontre George Antheil lors d'un dîner. Antheil est une autre force excentrique et intelligente avec laquelle il faut compter. Connu pour ses écrits, ses musiques de film et ses compositions musicales expérimentales, il partage le même esprit inventif que Hedy. Elle et Antheil discutaient de sujets variés, mais la guerre imminente était l'une de leurs plus grandes préoccupations. Antheil se souvient : « Hedy disait qu'elle ne se sentait pas très à l'aise, assise à Hollywood et gagnant beaucoup d'argent alors que les choses étaient dans un tel état. » Après son mariage avec Mandl, elle possédait des connaissances en matière de munitions et d'armements divers qui allaient s'avérer utiles. C'est ainsi que Hedy Lamarr et Georges Antheil ont commencé à réfléchir à des idées pour lutter contre les puissances de l'axe.
Ils mettent au point un nouveau système de communication extraordinaire utilisé pour guider les torpilles jusqu'à leur cible en temps de guerre. Ce système implique l'utilisation de « sauts de fréquence » parmi les ondes radio, l'émetteur et le récepteur sautant ensemble sur de nouvelles fréquences. Ce système empêchait l'interception des ondes radio, permettant ainsi à la torpille de trouver sa cible. Après sa création, Hedy et Antheil ont cherché à obtenir un brevet et un soutien militaire pour leur invention. Bien qu'elle ait obtenu le brevet américain n° 2 292 387 en août 1942, la marine s'est opposée à la mise en œuvre du nouveau système. Ce refus incite Lamarr à soutenir les efforts de guerre grâce à sa célébrité en vendant des obligations de guerre. Heureuse dans son pays d'adoption, elle devient citoyenne américaine en avril 1953.
Difficile reconnaissance
Entre-temps, le brevet de Mme Lamarr a expiré avant qu'elle n'en ait tiré le moindre centime. Bien qu'elle continue d'accumuler les crédits dans des films jusqu'en 1958, son génie inventif n'est pas encore reconnu par le public. Ce n'est qu'à la fin de sa vie que Hedy Lamarr a reçu des récompenses pour son invention. L'Electronic Frontier Foundation a décerné à Mme Lamarr et à M. Antheil son Pioneer Award en 1997. Hedy Lamarr est également devenue la première femme à recevoir le Bulbie Gnass Spirit of Achievement Award de l'Invention Convention. Bien qu'elle soit décédée en 2000, elle a été intronisée au National Inventors Hall of Fame pour le développement de sa technologie de saut de fréquence en 2014. Cette réalisation a valu à Hedy Lamarr d'être surnommée « la mère du Wi-Fi » et d'autres communications sans fil telles que le GPS et le Bluetooth.
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Par Pestoune le 19 Juillet 2024 à 20:55
Danielle Jacqui est une artiste singulière et donc inclassable. Depuis 50 ans, elle peint partout du sol au plafond, dans sa maison du sud de la France. Elle a réalisé des poupées en tissu, de la broderie, de la céramique, de la gouache ou de l’huile, au gré de ses envies. Un trait commun : l’intensité et la fulgurance du geste. Son œuvre pourtant, la plus colossale d’entre toutes, a trouvé refuge en Suisse, parce que dans son pays d’origine, on n’en voulait pas. C’est le Musée de l’Art Brut de Lausanne qui lui a donné la légitimité de se revendiquer artiste.
Passe-moi les jumelles du 28 juin 2024, une émission de la Radio Télévision Suisse.
"Celle qui peint", un reportage de Virginie Brawand et Martin de Buck
https://www.youtube.com/watch?v=5mfrFHYtFR0
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Par Pestoune le 13 Avril 2024 à 20:55
Dans « adn », la réalisatrice, comédienne et chanteuse dialogue avec les figures qui ont inspirées sa carrière d’artiste et de militante.
Ses années de militantisme passent mais son indignation demeure. Face à Delphine Seyrig qui explique que sa carrière de comédienne dépend du “règne des hommes”, Agnès Jaoui déplore que les discours féministes sont, depuis des décennies, aussi constants dans le message qu’ils portent que dans leur absence d’effet : “Chaque lutte, chaque avancée, chaque prise de conscience, est recouverte par la pensée dominante et donc réoubliée”. En 1978, Agnès Varda annonçait l’arrivée massive des femmes dans le milieu du cinéma. En 2023, Agnès Jaoui assène la douloureuse réalité du manque de parité. “Delphine Ernotte a dit qu’elle exigeait un quota de 30 % de films réalisés par des femmes. C’est bien mais c’est bizarre quand même que 70 % des films soient réalisés par des hommes”.
En tant que comédienne, Agnès Jaoui ne garde pas le même souvenir des hommes qui l’ont dirigée. Elle évoque le talent”, la “bonté” et l’”infinie douceur” d’Alain Resnais comme la “tyrannie” du “dictateur” Patrice Chéreau. “On peut faire des grands films sans une tension énorme, sans être violent et sans maltraiter les gens”, constate-t-elle. Jaoui s’attendrit lorsque Jean Pierre Bacri répond de manière totalement délirante aux questions plus sérieuses les unes que les autres de la journaliste Anne Andreux. L’artiste partage avec son ancien compagnon décédé en 2021, une vision bourdieusienne du cinéma et un sens de l’engagement. “Moi je veux bien faire la pute humanitairement”, exprimait-il. Jaoui opine et nuance : “Le Paris qui chante et qui danse, qui dit ce qu’il faut faire et pour qui il faut voter, ça peut être totalement repoussoir”.
Comment est-elle devenue artiste ? Agnès Jaoui répond à la question après avoir écouté Woody Allen, un de ses réalisateurs préférés, parler de la conscience de la mort. “J’avais peur de mourir et que personne ne sache que j’ai existé”, explique-t-elle pour justifier son besoin d’écrire, de jouer, de chanter depuis l’enfance. Pour elle, la musique constitue ce que les humains font de “plus beau”. Et c’est dans ce domaine qu’elle s'épanouit le plus aujourd’hui, inspirée par Cuba, la Tunisie de ses parents, Enrico Macias et les souvenirs du Kibboutz Razor dans lequel elle s’est rendue jusqu’à ses 15 ans. “Ce qu’il y a de plus beau dans la musique, c’est à quel point elle voyage, à quel point elle se mélange, elle s’enrichit de différentes cultures”.Agnès Jaoui, j'aime la femme, j'aime l'artiste. J'aime ses combats, sa force, sa fragilité. C'est à la fois son portrait à travers son regard que l'on découvre dans cette vidéo
https://www.youtube.com/watch?v=NIsDwnuYDhs
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Par Pestoune le 22 Mars 2024 à 22:06
Poétesse, romancière et dramaturge, la femme de lettre Catherine Bernard fut la 1ère femme auteure de tragédie à avoir été jouée à la Comédie Française, de plus est de son vivant.
Il n'y a aucun portrait de Catherine Bernard
Biographie
Catherine Bernard, dite Mademoiselle Bernard, est née à Rouen le 24 août 1663 dans une famille aisée de la bourgeoisie protestante, attachée au négoce.
On la prétend proche et cousine de Fontenelle, nièce de Corneille mais il n'en est rien.
A l'âge de 17 ans, elle quitte sa ville natale pour Paris. En 1685, elle se convertit au catholicisme suite à la révocation de l'Edit de Nantes, ce qui lui vaut d'être rejetée par les siens qui lui coupent les moyens financiers. Il lui faudra vivre de sa plume qu'elle a talentueuse.
Oeuvres littéraires
Elle publie, dès son installation à Paris, un roman historique en 3 tomes : Frédéric de Sicile puis deux ans après un roman épistolaire. Dès lors, elle épouse pleinement sa vie de femme de lettres et les publications s'enchaînent. Sa carrière littéraire ne décolle qu'en 1687 avec la parution d'Eléonor d'Yvrée, première nouvelle d'un recueil intitulé Les malheurs d'amour.
Elle explore tous les genres : nouvelles, fictions narratives en proses, romans, tragédies, poésies, mais aussi contes, notamment Riquet à la houppe qui sera repris par Perrault dans la version que nous connaissons.
Théâtre et distinctions
Ses deux tragédies sont jouées à la Comédie française et rencontrent le succès : Laodamie, traitant des problèmes de la souveraineté féminine, est jouée vingt-deux fois à la Comédie-Française. Elle devient ainsi la première femme à avoir écrit une tragédie jouée à la Comédie-Française.
Brutus est mis en scène le 18 décembre 1690, la pièce est jouée vingt-cinq fois, et y résonne également « la critique des valeurs patriarcales ».
Madame de Pontchartrain, une de des protectrices de Catherine Bernard, avec Madame de Maintenon, l'encourage à abandonner le théâtre, mal vu des milieux dévots. Il faut dire que les "Beaux esprits" la considère comme une rivale "dangereuse". Mme de Pontchartain, donc, lui offre une pension. Elle n'écrira plus de théâtre.
Elle obtiendra plusieurs fois le prix de poésie de l'Académie française en 1691, 1693, 1697 et le prix de poésie de l'Académie des jeux floraux de Toulouse en 1696, 1697, 1698.
En 1691, elle obtient une pension du roi Louis XIV.
Ultime consécration, le 9 février 1699, elle est admise à l'Académie des Ricovrati de Padoue, une des rares Académie à recevoir des femmes en son sein, sous le nom de Calliope, l'Invincible.
Elle ne publiera plus rien à partir de 1698 et mourra dans l'indifférence générale à Paris le 6 septembre 1712, à l'âge de 49 ans.
Plagiée
À peine 20 ans après sa mort, en 1730, Voltaire, fait jouer sa pièce de théâtre Brutus. Les critiques ne tardent pas à pointer du doigt les nombreuses ressemblances avec la tragédie de Catherine Bernard. Une fois la supercherie révélée, furieux, vexé Voltaire déclare que la pièce n’est pas une œuvre de Catherine de Bernard, mais de l’écrivain Bernard de Fontenelle. Plagier un homme serait plus "acceptable" que plagier une femme (SIC).
L’histoire littéraire la relègue au rang de figure littéraire mineure, et il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que soit progressivement redécouverte la richesse de son œuvre.
https://www.youtube.com/watch?v=J5Q067pwr5Y
Sources
Catherine Bernard | Autrices oubliées de l'histoire littéraire (vidéo de la BNF)
Catherine Bernard (1663 (?) - 1712) - La voix oubliée (podcast de France Culture)
Catherine Bernard, bibliographie sélective
https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Bernard
https://gallica.bnf.fr/blog/22012021/catherine-bernard-authrice-oubliee?mode=desktop
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