• fairy cricket

     

    C'était au mois de juin, sur le pâturage communal du Silley. La pelouse était enchantée par le chant des grillons postés à l'entrée de leurs terriers. Cri-cri-cri-cri. La stridulation des insectes était comme une fête continue... Jeannot gardait les vaches de ses parents, et les bêtes repues s'étaient couchées à l'ombre des sorbiers pour ruminer. L'enfant se mit à plat ventre dans l'herbe. Devant lui, un grillon noir se tut et recula dans son antre. 

    Pour s'amuser, le berger décida de l'en faire sortir en introduisant dans le trou une longue tige de graminée, et se mit à la remuer en va-et-vient pour déloger l'insecte...

    A sa grande surprise, ce fut un grillon d'or qui sortit, et lui parla de la sorte : 

    "- Si tu me fais souffrir, je te ferai mourir. Si tu me laisses en paix, je te ferai chanter."

    Et puis l'insecte se mit à grossir, à grossir encore démesurément, et le pauvre Jeannot se trouva devant une belle dame portant une robe couleur d'or qui lui sit : 

    "- Je suis la Fée Grillon. Pourquoi ne laisses-tu pas chanter celui qui est heureux ? Tu lances un bâton à la grenouille qui coasse sur le nénuphar, tu jettes une pierre à l'oiseau qui siffle, laisse-donc chacun dire ainsi sa joie de vivre. Ce qui chante a une âme... Regarde autour de toi, écoute, réfléchis, c'est de là que viendra ton bonheur."

    Depuis ce jour, Jeannot passa sont temps à penser, à rêver et à chanter. C'est ainsi que chaque fois que la Fée Grillon sort de terre, elle fait naître un poète, un conteur ou un chanteur. 

     

    Emile Raguin

    extrait de "La Vouivre et la Lauzine" Contes et légendes de Franche-Comté. 


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  • Autrefois, les ânes étaient tout à fait sauvages, c'est-à-dire qu'ils mangeaient quand ils avaient faim, qu'ils buvaient quand ils avaient soif et qu'ils couraient quand ça leur faisait plaisir. 

    Quelquefois, un lion venait qui mangeait un âne alors tous les autres ânes se sauvaient en criant comme des ânes, mais le lendemain ils n'y pensaient plus et recommençaient à braire, à boire, à manger, à courir, à dormir... En somme, sauf les jours où le lion venait, tout marchait assez bien 

    Un jour, les rois de la création (c'est comme ça que les hommes aiment à s'appeler entre eux) arrivèrent dans le pays des ânes et les ânes très contents de voir du nouveau monde galopèrent à la rencontre des hommes. 

    Les ânes (ils parlent en galopant) : "Ce sont de drôles d'animaux blêmes, ils marchent à deux pattes, leurs oreilles sont très petites, ils ne sont pas beaux mais il faut tout de même leur faire une petite réception ... c'est la moindre des choses..."

    Et les ânes font les drôles, ls se roulent dans l'herbe en agitant les pattes, ils chantent la chanson des ânes et puis histoire de rire ils poussent les hommes pour les faire un tout petit peu tomber par terre ; mais l'homme n'aime pas beaucoup la plaisanterie quand ce n'est pas lui qui plaisante et il n'y a pas cinq minutes que les rois de la création sont dans le pays des ânes que tous les ânes sont ficelés comme des saucissons. 

    Tous, sauf le plus jeune, le plus tendre, celui-là mis à mort et rôti à la broche avec autour de lui les hommes le couteau à la main.  L'âne cuit à point les hommes commencent à manger et font une grimace de mauvaise humeur puis jettent leur couteau par terre. 

    L'un des hommes (il parle tout seul) : "ça ne vaut pas le bœuf, ça ne vaut pas le bœuf !"

    Un autre : "Ce n'est pas bon, j'aime mieux le mouton ! "

    Un autre : "Oh que c'est mauvais (il pleure)"

    Et les ânes captifs voyant pleurer l'homme pensent que c'est le remords qui lui tire les larmes. 

    On va nous laisser partir, pensent les ânes, mais les hommes se lèvent et parlent tous ensemble en faisant de grands gestes. 

    Chœur des hommes : "Ces animaux ne sont pas bons à manger, leurs cris sont désagréables, leurs oreilles ridiculement longues, ils sont sûrement stupides et ne savent ni lire, ni compter, nous les appellerons des ânes parce que tel est notre bon plaisir et ils porterons nos paquets. 

    "C'est nous qui sommes les rois, en avant !"

    Et les hommes emmenèrent les ânes. 

     

                                                                                 Jacques Prévert

                                                                                Contes pour enfants pas sages. 

     

    Les premiers ânes  -  Jacques Prévert

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  • Peire Vidal était un troubadour sans terres, ni trésors. Tout ce qu'il désirait, il le chantait et tout ce qu'il chantait, il le faisait vrai.  Ce fou à la langue éblouie s'était taillé une vie à sa mesure. 

    Dans son château aux racines de pierre, une femme se languissait. Sa jeunesse était claire. Pourtant son âme avait mille ans. la Loba, la "Louve", comme on l'appelait, avait besoin pour vivre du chant des poètes de ce monde. Tout le jour, elle arpentait les salles trop longues de son domaine silencieux. Son regard solitaire allait se perdre par-delà les vitraux dans le chaos calme des rocailles éparses et des maigres broussailles. Mais à la nuit venue, son château s'emplissait de splendides errants qui savaient des airs plus émouvants que les souffles du ciel. Alors seulement la vie refluait en elle, belle, sauvage, à son image. 

    Peire Vidal, le troubadour, s'est pris d'amour violent pour cette femme au cœur pur qui ne savait pas mentir, pour celle qui ne voulait être fidèle qu'aux changements de son âme, pour la belle aussi douce que dangereuse dans sa beauté sans fard. Mais comment un homme pourrait-il être aimé d'une louve ? 

    Le troubadour s'est éloigné de la cour. Bientôt on ne l'a plus vu aux banquets. Il s'est réfugié dans la forêt. Une joie étrange lui venait de ces lieux rudes où nul homme ne vit. Il a recouvert son corps d'une peau de loup. Même son odeur est devenue celle d'une bête. Parfois, il venait rôder près du château pour voir sortir la dame à qui son cœur appartenait. 

    Mais un jour les bergers et leurs chiens l'ont surpris et traqué sans relâche. Il fut attrapé et battu jusqu'à ce que, sous la toison noire, on découvre son visage d'homme. Alors, on a ramené chez la Louve le fou à moitié mort. Le voyant ainsi défait et lamentable la dame s'est mise à rire, et tandis qu'elle riait une lumière lui pénétrait le cœur. L'homme ensanglanté a murmuré qu'il n'avait pas honte, que c'était même grand honneur d'être devenu loup par amour pour une aussi belle femme. On dit que la dame en fut si émue qu'elle a fait monter l'homme dans la plus haute tour de son château. 

    Et c'est dans sa chambre en plein ciel qu'elle a guéri de ses mains de lumière le fou d'amour blessé 

    Sylvie Folmer

    extrait de "Les Loups" Ed Albin Michel

     

    CM : Ecoute Musicale Musique du Moyen Age | Bout de Gomme

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  • Il était une fois sept petites chèvres qui broutaient au bois. Le renard les a vues, il s'est approché d'elles 

    "J'ai faim, mes mignonnes, laissez-moi boire à vos tétons !"

    Les gentilles ont laissé téter l'efflanqué. Du lait plein les moustaches, le ventre rebondi, l'air ravi, il a voulu les remercier. Il leur a dit qu'un loup rôdait dans la forêt (Les renards savent ces choses-là), et qu'il allait les aider à se défendre. 

    Le goupil a ramassé de la terre. Entre ses pattes, il a modelé de petites boules qu'il a fichées à la pointe des cornes des demoiselles. L'une d'elles, qui n'avait pas encore ramure, s'est mise à pleurer : 

    "Et moi, tu ne peux pas me protéger, le loup va me manger !"

    Le goupil a juré, foi de Renard, que le brigand des bois ne toucherait pas un poil de son joli museau. 

    Pourtant, quand le loup a pointé son long nez, la demoiselle sans cornes a eu grand peine à retenir un cri. La bête, devant ce rassemblement de fraîches chevrettes, s'est crue arrivée au paradis.  Elle a regardé trembler ces demoiselles sur leurs sabots trop hauts, avec leurs yeux humides agrandis par la peur et cette sueur d'effroi qui leur perlait au ventre. 

    Le loup a adoré cela : 

    "Mais c'est jour de fête aujourd'hui, Renard ! Tu m'invites ? 

    - Bien sûr, mon Oncle ! Venez jouer avec nous !"

    Le loup s'est approché. Il a découvert que les gracieuses étaient drôlement coiffées. 

    "Mais d'où viennent ces jolies perle qu'ells ont au bout des cornes ? "

    Le goupil a répondu en souriant que ça, oh ! c'étaient les yeux des loups qu'elles avaient tués au cours de la dernière années ! 

    "Ah !" fit le loup. Un silence.  D'un coup de museau, il a désigné la petite sans cornes et sans perles qui le regardait d'un drôle d'air. 

    "Et elle, là-bas, pourquoi elle n'en a pas ? 

    - Ah, celle-là ! Tu tombes bien ! Elle cherchait un loup et je crois que tes yeux lui  plaisent beaucoup !"

    Le fauve a disparu, on ne l'a plus revu. 

     

    Sylvie Folmer 

    Extrait de "Les loups"

     

    Le loup, le renard et les chèvres

     

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    Sur la côte sauvage du nord du Canada, Kwesalis chassait tout seul. Ciel étroit, mer figée, il longeait la côte enneigée. Son pas était souple, son souffle s'accordait aux battements de son cœur, aux battements de son monde. Comme il allait ainsi il a aperçu, sur un rocher, une ombra longue. C'était un loup au pelage raide, glacé, à l'œil brûlant. Les arêtes du roc entamaient ses flancs. Autour de sa gueule s'étendait un cercle de neige rougie. Quand Kwesalis s'est approché, la bête a grogné sourdement. L'homme a vu un éclat d'os de daim planté dans sa mâchoire.

    Alors il s'est mis à chanter de sa belle voix de cuivre, chaude et tranquille. Sa litanie a dessiné dans l'air dense des volutes qui allaient et venaient inlassablement du chasseur au loup, du loup au chasseur, tissant entre eux un lien impalpable. Sur ce fil tendu, il a fait glisser ses mots qui sont devenus chair pour que l'animal  puisse goûter, qui sont devenus gestes pour que l'animal puisse frémir, qui sont devenus vie pour que l'animal puisse flairer. Quand il l'a senti confiant, Kwesalis a glissé sa main entre les mâchoires ouvertes pour retirer l'os. Et puis : "Grand frère, ton mal est parti."

    Le loup s'est relevé. L'homme l'a regardé s'éloigner, se rouler dans la neige au loin, se redresser d'un bond et disparaître dans la forêt. 

    Quelques mois plus tard, une épidémie a décimé le village de Kwesalis. Les hommes amaigris, fiévreux, les chairs rongées, étaient couchés à l'écart. Kwesalis était parmi eux. Un soir, il s'est senti si faible, si épuisé, si douloureux qu'il a appelé la mort. Alors des hurlements ont vrillé l'air empesté et deux loups sont venus à lui. Sur le corps de l'homme malade, leur bave a coulé.  Tandis que l'un des loups lui léchait l'épaule, le long du bras, le creux de la paume, l'autre nettoyait son visage à grands coups de langue râpeuse. Des frissons ont couru sur la peau du chasseur, puis il a perdu connaissance. Il ne s'est réveillé qu'à l'Aube, hagard, affaibli, mais vivant.  Il a tâté son corps. Il ne portait plus aucune trace de souffrance. Il s'est mis debout. Il a marché. Quelques jours plus tard, il était guéri. 

    Alors un homme est descendu dans un de ses rêves.  Il lui a annoncé que la faiseur de chamane était entré dans son corps et que désormais il saurait guérir et retrouver les âmes. A son réveil, Kwesalis n'était plus le même. 

    Quand l'ethnologue américain Franz Boas a reçu de lui son histoire, il étaient toujours le plus fameux chamane de la côte nord(ouest du Pacifique.

     

    extrait de "Les loups" de Sylvie Folmer 

     

    L'indien et le loup - Photomusique

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