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Par Pestoune le 26 Août 2022 à 20:55
Il était une fois sept petites chèvres qui broutaient au bois. Le renard les a vues, il s'est approché d'elles
"J'ai faim, mes mignonnes, laissez-moi boire à vos tétons !"
Les gentilles ont laissé téter l'efflanqué. Du lait plein les moustaches, le ventre rebondi, l'air ravi, il a voulu les remercier. Il leur a dit qu'un loup rôdait dans la forêt (Les renards savent ces choses-là), et qu'il allait les aider à se défendre.
Le goupil a ramassé de la terre. Entre ses pattes, il a modelé de petites boules qu'il a fichées à la pointe des cornes des demoiselles. L'une d'elles, qui n'avait pas encore ramure, s'est mise à pleurer :
"Et moi, tu ne peux pas me protéger, le loup va me manger !"
Le goupil a juré, foi de Renard, que le brigand des bois ne toucherait pas un poil de son joli museau.
Pourtant, quand le loup a pointé son long nez, la demoiselle sans cornes a eu grand peine à retenir un cri. La bête, devant ce rassemblement de fraîches chevrettes, s'est crue arrivée au paradis. Elle a regardé trembler ces demoiselles sur leurs sabots trop hauts, avec leurs yeux humides agrandis par la peur et cette sueur d'effroi qui leur perlait au ventre.
Le loup a adoré cela :
"Mais c'est jour de fête aujourd'hui, Renard ! Tu m'invites ?
- Bien sûr, mon Oncle ! Venez jouer avec nous !"
Le loup s'est approché. Il a découvert que les gracieuses étaient drôlement coiffées.
"Mais d'où viennent ces jolies perle qu'ells ont au bout des cornes ? "
Le goupil a répondu en souriant que ça, oh ! c'étaient les yeux des loups qu'elles avaient tués au cours de la dernière années !
"Ah !" fit le loup. Un silence. D'un coup de museau, il a désigné la petite sans cornes et sans perles qui le regardait d'un drôle d'air.
"Et elle, là-bas, pourquoi elle n'en a pas ?
- Ah, celle-là ! Tu tombes bien ! Elle cherchait un loup et je crois que tes yeux lui plaisent beaucoup !"
Le fauve a disparu, on ne l'a plus revu.
Sylvie Folmer
Extrait de "Les loups"
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Par Pestoune le 21 Août 2022 à 20:55
Sur la côte sauvage du nord du Canada, Kwesalis chassait tout seul. Ciel étroit, mer figée, il longeait la côte enneigée. Son pas était souple, son souffle s'accordait aux battements de son cœur, aux battements de son monde. Comme il allait ainsi il a aperçu, sur un rocher, une ombra longue. C'était un loup au pelage raide, glacé, à l'œil brûlant. Les arêtes du roc entamaient ses flancs. Autour de sa gueule s'étendait un cercle de neige rougie. Quand Kwesalis s'est approché, la bête a grogné sourdement. L'homme a vu un éclat d'os de daim planté dans sa mâchoire.
Alors il s'est mis à chanter de sa belle voix de cuivre, chaude et tranquille. Sa litanie a dessiné dans l'air dense des volutes qui allaient et venaient inlassablement du chasseur au loup, du loup au chasseur, tissant entre eux un lien impalpable. Sur ce fil tendu, il a fait glisser ses mots qui sont devenus chair pour que l'animal puisse goûter, qui sont devenus gestes pour que l'animal puisse frémir, qui sont devenus vie pour que l'animal puisse flairer. Quand il l'a senti confiant, Kwesalis a glissé sa main entre les mâchoires ouvertes pour retirer l'os. Et puis : "Grand frère, ton mal est parti."
Le loup s'est relevé. L'homme l'a regardé s'éloigner, se rouler dans la neige au loin, se redresser d'un bond et disparaître dans la forêt.
Quelques mois plus tard, une épidémie a décimé le village de Kwesalis. Les hommes amaigris, fiévreux, les chairs rongées, étaient couchés à l'écart. Kwesalis était parmi eux. Un soir, il s'est senti si faible, si épuisé, si douloureux qu'il a appelé la mort. Alors des hurlements ont vrillé l'air empesté et deux loups sont venus à lui. Sur le corps de l'homme malade, leur bave a coulé. Tandis que l'un des loups lui léchait l'épaule, le long du bras, le creux de la paume, l'autre nettoyait son visage à grands coups de langue râpeuse. Des frissons ont couru sur la peau du chasseur, puis il a perdu connaissance. Il ne s'est réveillé qu'à l'Aube, hagard, affaibli, mais vivant. Il a tâté son corps. Il ne portait plus aucune trace de souffrance. Il s'est mis debout. Il a marché. Quelques jours plus tard, il était guéri.
Alors un homme est descendu dans un de ses rêves. Il lui a annoncé que la faiseur de chamane était entré dans son corps et que désormais il saurait guérir et retrouver les âmes. A son réveil, Kwesalis n'était plus le même.
Quand l'ethnologue américain Franz Boas a reçu de lui son histoire, il étaient toujours le plus fameux chamane de la côte nord(ouest du Pacifique.
extrait de "Les loups" de Sylvie Folmer
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Par Pestoune le 10 Août 2022 à 20:55
Dans cet igloo vivaient deux vieilles, deux sœurs. Elles s'appelaient Nemiak et kukjlik La vie s'était recroquevillée au fond de leur yeux étroits et leurs peaux craquaient quand elles riaient. Il y avait si longtemps qu'elles étaient sur cette terre que leurs mains ne s'ouvraient plus, leurs ventres ne chantaient plus et leurs dents avaient presque toutes disparu.
Un matin, Nemiak est partie pêcher sur la banquise. Elle est revenue avec des poissons vif-argent plein les mains et leur deux sœurs sont allées ensemble s'asseoir dans la lumière. Entre elles, il y a eu un calme content et puis la musique des fines arêtes qui craquent, de la peau luisante qui se fend, de la chair qui fond dans la bouche comme le soleil dans l'eau. Elles se sont regardées en souriant, presque sans dents.
Après le repas, Nemiak a rangé ses affaires. Lorsque tout fut en ordre, elle a posé une main sur l'épaule de sa sœur.
"Je vais chercher mon fil à pêche. Je l'ai oublié sur la banquise."
Les heures ont passé, la nuit est tombée. Kukjlik s'est inquiétée. Elle a ms son anora et ses bottes et puis elle est partie chercher la disparue dans la nuit. La lune couvait de son halo la minuscule et boitillante silhouette qui courait sur la glace.
Sur la banquise, le trou de pêche était plus noir encore que la nuit. Les pas de Nemiak continuaient tout droit. A un endroit, Kukjlik a constaté que ce n'étaient plus des traces des bottes qu'elle suivait mais la marque des pieds nus de sa sœur sur la neige. Et puis les empreintes se sont faites de plus en plus étroites, de moins en moins profondes. Bientôt elle a découvert des traces nouvelles, comme des fleurs de givre qui s'épanouissaient sous ses yeux surpris : l'empreinte griffue des pattes d'une bête.
Alors elle s'est souvenue de ce que Nemiak lui avait si souvent répété depuis qu'elles étaient petites : "Tu sais, ma sœur, quand je me trouverai trop à l'étroit sous ma vieille peau de femme, quand je me sentirai enfermée dans mon petit corps usé, alors je quitterai tout. C'est juré, je partira droit devant moi, et, sans regret, je me ferai louve à jamais. Et là, je serai heureuse, ma sœur, et je chanterai pour toi."
Kukjlik est rentrée en souriant à l'igloo. Elle savait que maintenant Nemiak courait sur l'immensité blanche, avec toute sa vie revenue, avec son souffle libre, ses dents acérées, ses pattes agiles. Et puis son ventre chaud qui chantait de nouveau....
Extrait " Les loups" de Sylvie Folmer
aux Editions Albin Michel
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Par Pestoune le 26 Juillet 2022 à 20:55
La lumière, franchissant l'obstacle du rideau sale, tombe sur le carrelage de la cuisine et me dit : "Tiens, puisque tu me vois, puisque tu me prêtes attention et que tu m'aimes, c'est que tu es vivant." Puis une pie passe en rase-mottes dans le pré. Ou un geai. Je n'ai pas eu le temps de bien voir ce que c'était. Qu'est-ce que "voir"? Aujourd'hui je dirai : c'est être cueilli, voilà, cueilli : quelque chose - un évènement, une couleur, une force - vous fait venir à lui, comme les petits enfants prennent une marguerite par le cou, et tirent. La beauté nous décapite.
Vous êtes derrière cette lettre que je vous écris, difficile à atteindre. Il me semble que si j'empoigne un peu de lumière sale et que je la jette sur la page vous serez là soudain, nous serons réunis par la même joie simple.
L'oiseau, c'était un geai, je crois. Vers le milieu de l'après-midi, un silence s'est fait partout dans le pré. Le ciel soudain a pâli comme quelqu'un à qui ont vient d'annoncer une mort. Il n'y avait plus rien Et puis tout s'est rallumé. C'est quelque chose qui arrive très souvent, vers le milieu de l'après-midi. On ne le remarque guère. Il faut être prisonnier ou malade, ou assis devant une table, en train d'écrire, pour s'en apercevoir : l'étoffe du jour est trouée. Par les trous on voit le diable - ou, si vous préférez ce mot plus calme : le néant. Il y a un instant où le monde est laissé seul. Abandonné. C'est comme si Dieu retenait son souffle. un intervalle de néant entre deux domaines de lumière.
Penser comme un enfant presse son crâne entre deux petits poings de pierre.
Oui cette fois j'en suis sûr c'était un geai. Il avait traversé le néant, était ressorti de l'autre côté, faisant le lien entre deux domaines lumineux. Et comme le travail de l'oiseau ne suffisait pas et que la nature contrairement à Dieu ne nous abandonne jamais, la lumière est venue à la rescousses dans la cuisine, la lumière périssable a traversé le rideau sale de mon âme et m'a parlé de la lumière éternelle afin qu'à mon tour je vous en parle, à vous.
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Par Pestoune le 27 Juin 2022 à 20:55
Cet article est programmé, étant absente une petite semaine
« Dans ce pays-là, que je connais bien pour l’avoir visité, tous les enfants naissaient avec une graine d’amour, qui ne pouvait germer que dans leur cœur.
Ce qu’il faut savoir, c’est que cette graine avait une particularité… très originale, en ce sens qu’elle était constituée de deux moitiés de graines. Une moitié de graine d’amour pour soi et une moitié de graine d’amour pour autrui.
Vous allez tout de suite me dire : « Ce n’est pas juste, c’est disproportionné, ça ne peut pas marcher ! Une moitié pour un, d’accord, car il faut s’aimer. Mais une seule moitié de graine d’amour pour autrui, pour tous les autres, ah non alors ! Cela va bien au début de la vie, quand un enfant n’a pas beaucoup de personnes à aimer, seulement sa mère, son père, un ou deux grands-parents… Mais plus tard, vous y pensez, plus tard, quand devenu adulte chacun est susceptible d’aimer beaucoup de personnes, cela est déséquilibré. Une seule moitié de graine d’amour à partager entre tant d’amours… Cela est invivable ! ».
Oui, vous me diriez tout cela avec passion, mais c’était ainsi dans ce pays ! Et d’ailleurs, ceux qui savaient laisser germer et laisser fleurir chacune de leurs moitiés de graine d’amour, avec intensité, avec passion, avec enthousiasme et respect, ceux-là découvraient plus tard qu’ils pouvaient à la fois s’aimer et aimer, aimer et être aimés.
Ceux qui ne développaient qu’une moitié de graine, soit en s’aimant trop, soit en n’aimant que les autres, soit encore en n’aimant qu’une seule personne au monde, ceux-là avaient des mi-graines qui durcissaient, qui durcissaient tellement leur cœur… que parfois leur tête éclatait de douleur.
Ah ! Vivre seulement avec une mi-graine d’amour, cela doit être terrible ! D’autant plus qu’il n’y a aucun remède à ces migraines et qu’elles sont susceptibles de durer des années.
Ainsi se termine le conte des maux de tête qui sont surtout des maux de cœur. »
Jacques Salomé
Contes à guérir, Contes à grandir
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