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Une Femme changée en loup
Dans cet igloo vivaient deux vieilles, deux sœurs. Elles s'appelaient Nemiak et kukjlik La vie s'était recroquevillée au fond de leur yeux étroits et leurs peaux craquaient quand elles riaient. Il y avait si longtemps qu'elles étaient sur cette terre que leurs mains ne s'ouvraient plus, leurs ventres ne chantaient plus et leurs dents avaient presque toutes disparu.
Un matin, Nemiak est partie pêcher sur la banquise. Elle est revenue avec des poissons vif-argent plein les mains et leur deux sœurs sont allées ensemble s'asseoir dans la lumière. Entre elles, il y a eu un calme content et puis la musique des fines arêtes qui craquent, de la peau luisante qui se fend, de la chair qui fond dans la bouche comme le soleil dans l'eau. Elles se sont regardées en souriant, presque sans dents.
Après le repas, Nemiak a rangé ses affaires. Lorsque tout fut en ordre, elle a posé une main sur l'épaule de sa sœur.
"Je vais chercher mon fil à pêche. Je l'ai oublié sur la banquise."
Les heures ont passé, la nuit est tombée. Kukjlik s'est inquiétée. Elle a ms son anora et ses bottes et puis elle est partie chercher la disparue dans la nuit. La lune couvait de son halo la minuscule et boitillante silhouette qui courait sur la glace.
Sur la banquise, le trou de pêche était plus noir encore que la nuit. Les pas de Nemiak continuaient tout droit. A un endroit, Kukjlik a constaté que ce n'étaient plus des traces des bottes qu'elle suivait mais la marque des pieds nus de sa sœur sur la neige. Et puis les empreintes se sont faites de plus en plus étroites, de moins en moins profondes. Bientôt elle a découvert des traces nouvelles, comme des fleurs de givre qui s'épanouissaient sous ses yeux surpris : l'empreinte griffue des pattes d'une bête.
Alors elle s'est souvenue de ce que Nemiak lui avait si souvent répété depuis qu'elles étaient petites : "Tu sais, ma sœur, quand je me trouverai trop à l'étroit sous ma vieille peau de femme, quand je me sentirai enfermée dans mon petit corps usé, alors je quitterai tout. C'est juré, je partira droit devant moi, et, sans regret, je me ferai louve à jamais. Et là, je serai heureuse, ma sœur, et je chanterai pour toi."
Kukjlik est rentrée en souriant à l'igloo. Elle savait que maintenant Nemiak courait sur l'immensité blanche, avec toute sa vie revenue, avec son souffle libre, ses dents acérées, ses pattes agiles. Et puis son ventre chaud qui chantait de nouveau....
Extrait " Les loups" de Sylvie Folmer
aux Editions Albin Michel
Tags : soeur, nemiak, kukjlik, nuit, peau
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Commentaires
Un beau conte... qui sait, ce n'est peut-être pas un conte ???
Très bonne journée et gros bisous.
bonsoir brigitte,
remarquable peite histoire ou petit conte j'ai bien aimé belle fin d'apreès-midi et des gros bisous monette
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Puissance !
Merci pour cet extrait
Ce serait bien si
On pouvait transformer
Demain
En meilleurs qu'hier