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Par Pestoune le 6 Juin 2016 à 22:41
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton âne.
Si j'ai du goût, ce n'est guères
Que pour la terre et les pierres.
Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l'air,
Le roc, les charbons, le fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons !
Attirez le gai venin
Des liserons ;
Mangez
Les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'église,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises !
Mes faims, c'est les bouts d'air noir ;
L'azur sonneur ;
- C'est l'estomac qui me tire.
C'est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles !
Je vais aux chairs de fruit blettes.
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne !
Fuis sur ton âne.
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Par Pestoune le 4 Juin 2016 à 21:15
Soyez bon pour le poète,
Le plus doux des animaux,
Nous prêtant son cœur, sa tête,
Incorporant tous nos maux,
Il se fait notre jumeau ;
Au désert de l’épithète,
Il précède les prophètes
Sur son douloureux chameau ;
Il fréquente très honnête,
La misère et ses tombeaux,
Donnant pour nous, bonne bête,
Son pauvre corps aux corbeaux ;
Il traduit en langue nette
Nos infinitésimaux,
Ah ! Donnons-lui, pour sa fête,
La casquette d’interprète.
Jules Supervielle – Poème de l’humour triste.
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Par Pestoune le 1 Mai 2016 à 22:25
On dormira à poil jusqu'à l'âge de 1 000 ans
Squelette contre squelette
Dents contre dents dans le même verre
Jusqu'à cent ans
Peur contre peur
dans la même terreur
du noir de nuit et du réveil
où l'un manquera le Rendez-Vous du petit déj'
Coeur contre coeur dans le même battement
ton souffle rythmant mon pacemaker
Cul contre cul et pet à pet
rire contre rire
à jouir et re-jouir de se réjouir
à baiser l'ennui dans le même ronflement
On dormira ensemble malgré nos rêves différents
Toi de moi
moi de toi
Toi de lui
et moi d'elle
De nous
qui ne nous connaissons pas
vraiment
Mais qui nous nous sommes tant rêvés...
dans les lits séparés de nos cellules froides.
Extrait de l’œil à clef
« A. H. Benotman est né à Paris en 1960. Très jeune il connait l’enfermement et commence pour lui un parcours de révolte et de prison. Il écrit du théâtre et des romans noirs avant de militer en co-fondant L’envolée, un journal de lutte anti-carcéral. Aujourd’hui « sans-papiers » il continue d’écrire… et par la poésie de s’armer sur tous les terrains de combats contre l’enfermement intérieur et extérieur.»
Cette rapide biographie se trouve sur la 4ème du recueil de poésie de A.H. Benotman : L’œil à clef. Ce recueil est une pure merveille avec des textes forts, tantôt révoltés, tantôt tendre, tantôt cru, tantôt désespérés ou pleins d’espoir. Tous les textes sans exception m’ont profondément touchée et émue. L’auteur nous a hélas quittés dans la nuit du 20 au 21 février 2015, à l’âge de 54 ans. Il nous reste une œuvre profonde, sensible et engagée que je vous invite à découvrir.
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Par Pestoune le 29 Avril 2016 à 22:27
Il pensait Elle pensait
Il riait Elle riait
Elle chantait Il dansait
Elle jouait Il sportait
Elle avait lui Il avait elle
Et les deux des ami-e-s
des copains des copines
des familles des amours
J’aurais aimé la connaître
J’aurais aimé le connaître
Ils auraient peut être aimé me connaître
On aurait bu un pot
On aurait vu un film
On aurait dansé
On aurait dit nos pensées
Mais ils sont là
sur des images d’archives
d’informations
Il est par terre
Elle est par terre
Il bouge
Elle bouge
Tous les deux machettés
à dix pas l’un de l’autre
Ils ne se connaissaient pas
Ne se connaîtrons plus
et moi non plus
Sa bouche s’ouvre
Sa bouche se ferme
S’ouvre de nouveau
Se referme encore
cherchant l’air et l’eau de la vie
Il retourne au poisson
Elle retourne à la sirène
Il n’a pas l’air de souffrir
Elle n’a pas l’air de mourir
J’aurais aimé les connaître
Ils parlaient Ils disaient
Ils pensaient Ils riaient
Ils pleuraient
Là
ils meurent
--Machettés—
Dans un village du Rwanda
sous l’objectif d’une caméra
qui respire et qui vit en me faisant crever.
Extrait de l’œil à clef
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Par Pestoune le 28 Avril 2016 à 21:14
Je gueule la poésie
comme un mauvais élève
sur une estrade de bois
Bientôt cet héritage
d’Ecriture intuitive
me prendra à la gorge
on me faudra reprendre
l’Errance et la Recherche
du Lire et le l’Ecrire
Je gueule la poésie
comme un mauvais élève
sur l’échafaud de bois.
Extrait de l’œil à clef
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