• L’ami Pommier

     

           Au sortir de la ville, dans une vieille maison timidement cachée au fond d’un beau jardin, vivait jadis un homme qui avait de bons yeux rieurs derrière ses petites lunettes rondes, et un air doux comme un mouton sous sa toison de boucles brunes.

          Il s’appelait François. Chaque matin, en se levant, François contemplait son arbre : un magnifique pommier qui poussait sous ses fenêtres. Rien qu’à le voir, si grand, si beau, il était heureux. Et chaque soir, en rentrant du travail, il passait des heures à regarder les oiseaux qui nichaient dans son feuillage.

          Car on ne s’ennuie pas à regarder les arbres : certains sont même de véritables magiciens. Au printemps, ils disparaissent sous un grand manteau de fleurs où butinent les abeilles. Au plus chaud de l’été, ils offrent leur ombre fraîche à tous ceux qui, le visage en feu, fuient le soleil brûlant.

          Puis, quand vient l’automne, ils lancent à la volée des gerbes de feuilles jaunes, rouges ou rousses qu’un vent fougueux éparpille au loin sur les trottoirs et les pavés… en attendant que l’hiver referme sur eux sa grande cape blanche.

     

     

          François aimait son arbre depuis toujours. Quand il était petit, il grimpait souvent dans ses branches et y restait caché lorsque sa maman l’appelait pour le dîner. Et maintenant qu’il avait grandi, le seul fait de l’admirer lui procurait toujours autant de joie. Il ne lui fallait rien de plus pour être heureux. Parfois, quelqu’un s’arrêtait derrière la clôture – le plus souvent un homme, ou une femme avec un enfant – et il les entendait dire : « Regarde, le bel arbre ! » Mais la plupart des gens, trop pressés, passaient sans le voir.

     L’ami Pommier

          Les années passèrent.

          François avait vieilli. De profonds sillons creusaient à présent son visage, et ses cheveux d’abord grisonnants, puis blancs, avaient fini par se clairsemer, emportés par le temps comme les feuilles par le vent. Seule sa barbe avait poussé, telle une longue écharpe de laine blanche. François était cependant toujours aussi heureux et ne se lassait pas d’observer son arbre et les oiseaux.

          S’il lui arrivait de surprendre des enfants en train de lui chiper des pommes, il riait de bon cœur en disant : « Les fruits volés sont toujours les meilleurs, pas vrai ? »

          Sur quoi les coupables, gênés, s’enfuyaient à toutes jambes.

     

          Mais un jour, un terrible malheur arriva. L’automne était de retour et un vent furieux faisait claquer les volets et voltiger les feuilles. Au-dessus des collines voisines, les nuages noirs semblaient si menaçants que chacun s’était empressé de rentrer chez soi. François ferma lui aussi sa fenêtre au premier éclair, mais il resta dans la pénombre à observer l’orage.

          Bientôt, d’énormes gouttes vinrent s’écraser contre la vitre, et l’averse s’abattit avec une telle force sur la petite ville qu’on eût dit qu’une main furieuse déversait sur elle un gigantesque tonneau. Déchiré d’éclairs, le ciel d’encre résonnait de coups de tonnerre, de plus en plus proches, de plus en plus violents.

          Et soudain, le cœur de François cessa de battre : dans un vacarme assourdissant, la foudre venait de tomber sur son pommier ! Sous ses yeux, le tronc se fendit dans un long craquement.

          Puis la pluie vint laver sa blessure.

          Quand l’orage s’éloigna, il laissa derrière lui un bien triste spectacle. Le pommier, jadis si beau, était là, tout pantelant, plus biscornu encore que la vieille maison. Du haut des branches jusqu’aux racines, une longue cicatrice entaillait le tronc.

          « Ça fait mal, je sais », murmura François pour le consoler, tout en caressant l’écorce calcinée. L’arbre gémissait à voix basse. Et si les hommes savaient que les arbres pleurent, eux aussi, François aurait sans doute remarqué les perles d’eau qui scintillaient le long du tronc.

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          Le printemps suivant fut chaud et ensoleillé. Les oiseaux chantaient à tue-tête. Seule sur le ciel bleu, se détachait la triste silhouette sombre et noueuse du pommier. Des feuilles minuscules avaient bien repoussé sur ses branches, çà et là, ainsi que quelques fleurs dans lesquelles butinaient les abeilles comme autrefois.

          Mais l’arbre avait beau faire, il n’avait plus la force de retrouver sa beauté d’antan. Sa plaie béante le faisait souffrir dès qu’un rayon de soleil l’effleurait ou que le temps changeait.

          Mais ce n’était pas le pire…

          Ces derniers temps, les gens qui passaient s’arrêtaient souvent pour le regarder et, l’air dédaigneux, le traitaient d’horreur ou bien d’affreux épouvantail.

          « C’est une honte, il faut l’abattre ! » lança un jour une femme. Et quelqu’un renchérit, disant qu’il serait temps de le remplacer par un parking ou un joli gazon.

          Plus triste de jour en jour, l’arbre arrosait tant de ses larmes les quelques fleurs qui lui restaient qu’elles fanèrent plus vite encore. François était furieux d’entendre les gens parler ainsi.

          Il aimait son arbre tel qu’il était et, chaque soir, allait caresser son écorce tout en guettant le chant des oiseaux dans ses branches mortes.

          « Allez-vous-en ! » criait-il parfois, hors de lui, en chassant les mauvaises langues à grands coups de balai. Mais en vain.

          Le lendemain, d’autres passants s’arrêtaient et le critiquaient de plus belle.

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          Alors un jour, François se décida.

          De bon matin, il partit sur son vieux vélo rouillé, souriant si gaiement en pédalant que ses voisins s’en étonnèrent. Quelques heures plus tard, il revint chargé d’un gros paquet qu’il déposa au jardin. Puis il alla chercher sa pelle et se mit à creuser avec ardeur au pied du pommier, ne s’arrêtant pour se reposer que lorsque le trou fut bien profond. Et dans ce trou, François planta un tout jeune pommier qui arrivait à peine à la hauteur de sa barbe blanche.

          « Il s’est enfin décidé à arracher ce vieil arbre ! » se dirent les gens.

          Mais François se contenta de sourire. Il recouvrit les racines du petit arbre, l’arrosa avec soin, et alla ranger sa pelle.

          Printemps, étés, automnes, hivers se succédèrent à nouveau. François avait désormais le dos vouté et passait le plus clair de son temps assis à la fenêtre, le sourire aux lèvres.

          Au jardin, le petit pommier était devenu un arbre splendide qui portait tant de fruits que François ne pouvait plus les manger tout seul.

          Et le vieil arbre était toujours là, lui aussi, tout contre lui.

          Soutenu par les branches vigoureuses de son jeune voisin, il vivait là des jours heureux, paisible et tranquille.

     

          Chaque année, il voyait avec joie renaître quelques feuilles et des fleurs sur ses branches. Et il riait en secret quand un enfant, de temps à autre, volait aussi l’une de ses rares pommes qu’il lui restait.

          La plupart des gens, toujours pressés, passaient sans les voir. Mais parfois, quelqu’un s’arrêtait et les contemplait longuement, tous les deux.

          Un soir d’automne, le vieil arbre sentit soudain une main amie sur son écorce rugueuse.

          Le vieux François était venu le voir sans bruit.

          Tout bas, il lui parla.

          Alors, en silence, l’arbre inclina ses branches.

          Lui aussi l’avait senti : l’hiver approchait.

          Il était temps de se reposer.

          Tandis que les premiers flocons voltigeaient aux fenêtres et que François s’allongeait bien au chaud dans son lit, le vieil arbre s’assoupit au jardin.

     

          Et les deux amis s’endormirent en rêvant du printemps.

     

    Bruno Hächler

    L’ami pommier

    Zurich, Nord-Sud, 1999

    Source : https://contesarever.wordpress.com/2016/02/23/lami-pommier/

     

    L’ami Pommier

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    Il était une fois, dans des temps très anciens, des gens qui vivaient très heureux. Ils s'appelaient Timothée et Marguerite, et avaient deux enfants, Charlotte et Valentin. Ils étaient très heureux et avaient beaucoup d'amis. Pour comprendre à quel point ils étaient heureux, il faut savoir comment on vivait à cette époque-là.

    Chaque enfant, à sa naissance, recevait un sac plein de chaudouxdoux. Je ne peux pas dire combien il y en avait car on ne pouvait pas les compter. Ils étaient inépuisables. Lorsqu'une personne mettait la main dans son sac, elle trouvait toujours un chaudouxdoux. Les chaudouxdoux étaient très appréciés. Chaque fois que quelqu'un en recevait un, il se sentait chaud et doux de partout. Ceux qui n'en avaient pas régulièrement finissaient par attraper mal au dos, puis ils se ratatinaient, parfois même ils en mouraient.

    En ce temps-là, c'était très facile de se procurer des chaudouxdoux. Lorsque quelqu'un en avait envie, il s'approchait de toi et te demandait: " Je voudrais un chaudouxdoux!" Tu plongeais alors la main dans ton sac pour en sortir un chaudouxdoux de la taille d'un poing. Dès que le chaudouxdoux voyait le jour, il commençait à sourire et à s'épanouir en un grand et moelleux chaudouxdoux. Tu le posais alors sur l'épaule, la tête ou les genoux, et il se pelotonnait câlineusement contre la peau en donnant des sensations chaleureuses et très agréables dans tout le corps.

    Les gens n'arrêtaient pas d'échanger des chaudouxdoux et, comme ils étaient gratuits, on pouvait en avoir autant que l'on voulait. Du coup, presque tout le monde vivait heureux et se sentait chaud et doux.

    Je dis "presque", car quelqu'un n'était pas content de voir les gens s'échanger des chaudouxdoux. C'était la vilaine sorcière Belzépha. Elle était même très en colère. Les gens étaient tous si heureux que personne n'achetait plus ses filtres ni ses potions. Elle décida qu'il fallait que cela cesse et imagina un plan très méchant.

    Un beau matin, Belzépha s'approcha de Timothée et lui parla à l'oreille tandis qu'il regardait Marguerite et Charlotte jouer gaiement. Elle lui chuchota: "Vois-tu tous les chaudouxdoux que Marguerite donne à charlotte ? Tu sais, si elle continue comme cela, il n'en restera plus pour toi!" Timothée s'étonna: "Tu veux dire qu'il n'y aura plus de chaudouxdoux dans notre sac chaque fois que l'on en voudra un ?" "Absolument, répondit Belzépha, quand il n'y en a plus, c'est fini!"

    Et elle s'envola en ricanant sur son balai. Timothée prit cela très au sérieux, et désormais, lorsque Marguerite faisait don d'un chaudouxdoux à quelqu'un d'autre que lui, il avait peur qu'il ne lui en restera pas. Et si la sorcière avait raison ? Il aimait beaucoup les chaudouxdoux de Marguerite, et l'idée qu'il pourrait en manquer l'inquiétait profondément, et le mettait même en colère. Il se mit à la surveiller pour ne pas qu'elle gaspille les chaudouxdoux en en distribuant aux enfants ou à n'importe qui.


    Puis il se plaignit chaque fois que Marguerite donnait un chaudouxdoux à quelqu'un d'autre que lui. Comme Marguerite l'aimait beaucoup, elle cessa d'offrir des chaudouxdoux aux autres et les garda pour lui tout seul. Les enfants voyaient tout cela, et ils pensaient que ce n'était vraiment pas bien de refuser des chaudouxdoux à ceux qui vous en demandaient et en avaient envie. Mais eux aussi commencèrent à faire très attention à leurs chaudouxdoux. Ils surveillaient leurs parents attentivement, et quand ils trouvaient qu'ils donnaient trop de chaudouxdoux aux autres, il s'en plaignaient. Ils étaient inquiets à l'idée que leurs parents gaspillent les chaudouxdoux.

    La vie avait bien changé! Le plan diabolique de la sorcière marchait! Ils avaient beau trouver des chaudouxdoux à chaque fois qu'ils plongeaient la main dans leur sac, ils le faisaient de moins en moins et devenaient chaque jour plus avares.

    Bientôt tout le monde remarqua le manque de chaudouxdoux, et tout le monde se sentit moins chaud et moins doux. Les gens s'arrêtèrent de sourire, d'être gentils, certains commencèrent à se ratatiner, parfois même ils mouraient du manque de chaudouxdoux. Ils allaient de plus en plus souvent acheter des philtres et des potions à la sorcière. Ils savaient que cela ne servait à rien, mais ils n'avaient pas trouvé autre chose!

    La situation devint de plus en plus grave. Pourtant, la vilaine Belzépha ne voulait pas que les gens meurent. Une fois morts, ils ne pouvaient plus rien lui acheter! Alors elle mis au point un nouveau plan. Elle distribua à chacun un sac qui ressemblait beaucoup à un sac de chaudouxdoux, sauf qu'il était froid, alors que celui qui contenait les chaudouxdoux était chaud. Dans ces sacs, Belzépha avait mis des froids-piquants. Ces froids-piquants ne rendaient pas ceux qui les recevaient chauds et doux, mais plutôt froids et hargneux. Cependant, c'était mieux que rien. Ils empêchaient les gens de se ratatiner.
    A partir de ce moment-là, lorsque quelqu'un disait: "Je voudrais un chaudouxdoux", ceux qui craignaient d'épuiser leur réserve répondaient: "Je ne peux pas vous donner un chaudouxdoux, mais voulez-vous un froid-piquant?"

    Parfois, deux personnes se rencontraient en pensant qu'elles allaient s'offrir des chaudouxdoux mais l'une d'elles changeait soudain d'avis, et finalement elles se donnaient des froids-piquants.. Dorénavant, les gens ne mouraient presque plus, mais la plupart étaient malheureux, avaient froid et étaient hargneux. La vie devint encore plus difficile! Les chaudouxdoux, qui au début étaient disponibles comme l'air qu'on respire, devinrent de plus en plus rares. Les gens auraient fait n'importe quoi pour en obtenir. 

    Avant l'arrivée de la sorcière, ils se réunissaient souvent par petits groupes pour s'échanger des chaudouxdoux, se faire plaisir sans compter, sans se soucier de qui offrait ou recevait le plus de chaudouxdoux. Depuis le plan de Belzépha, ils restaient par deux et gardaient les chaudouxdoux l'un pour l'autre. Quand ils se trompaient en offrant un chaudouxdoux à une autre personne, ils se sentaient coupables, sachant que leur partenaire souffrirait du manque. Ceux qui ne trouvaient personne pour leur faire don de chaudouxdoux étaient obligés de les acheter et devaient travailler de longues heures pour les gagner.

    Les chaudouxdoux étaient devenus si rares que certains prenaient des froids-piquants qui, eux, étaient innombrables et gratuits. Ils les recouvraient de plumes un peu douces pour cacher les piquants et les faisaient passer pour des chaudouxdoux. Mais ces faux chaudouxdoux compliquaient la situation. Par exemple, quand deux personnes se rencontraient et échangeaient des faux chaudouxdoux, elles s'attendaient à ressentir une douce chaleur; mais au lieu de cela, elles se sentaient très mal. Comme elles croyaient s'être donné de vrais chaudouxdoux, plus personne n'y comprenait
    plus rien!

    Évidemment, comment comprendre que ces sensations désagréables étaient provoquées par les froids-piquants déguisés en chaudouxdoux? La vie était bien triste!... Timothée se souvenait que tout avait commencé quand Belzépha leur avait fait croire qu'un jour ils trouveraient leurs sacs de chaudouxdoux vides.

    Mais voilà ce qui se passa. Une jeune femme gaie et épanouie, aux formes généreuses, arriva alors dans ce triste pays. Elle semblait ne jamais avoir entendu parler de la méchante sorcière et distribuait des chaudouxdoux en abondance sans crainte d'en manquer. Elle en offrait gratuitement, même sans qu'on lui en demande. Les gens l'appelèrent Julie Doudoux, mais certains la désapprouvèrent parce qu'elle apprenait aux enfants à donner des chaudouxdoux sans avoir peur d'en manquer. Les enfants l'aimaient beaucoup parce qu'ils se sentaient bien avec elle. Eux aussi se mirent à distribuer de nouveau des chaudouxdoux comme ils en avaient envie.

    Les grandes personnes étaient inquiètes et décidèrent de passer une loi pour protéger les enfants et les empêcher de gaspiller leurs chaudouxdoux. Cette loi disait qu'il était défendu de distribuer des chaudouxdoux à tort et à travers.

    Désormais il faudrait un permis pour donner des chaudouxdoux. Malgré cette loi, beaucoup d'enfants continuèrent à échanger des chaudouxdoux chaque fois qu'ils en avaient envie et qu'on leur en demandait. Et comme il y en avait beaucoup, beaucoup d'enfants, presqu'autant que de grandes personnes, il semblait que les enfants allaient gagner. 

    A présent, on ne sais pas encore comment çà va finir... Est-ce que les grandes personnes, avec leur loi, vont arrêter l'insouciance des enfants ? Vont-elles se décider à suivre l'exemple de la jeune femme et des enfants et prendre le risque en supposant qu'il y aura toujours autant de chaudouxdoux que l'on voudra ? Se souviendront-elles des jours heureux que leurs enfants veulent retrouver, du temps où les chaudouxdoux existaient en abondance parce qu'on les donnait sans compter ?

     

                                                            source : http://claudesteiner.com/fuzzyfr.htm

    Ce joli conte a été créé par le psychothérapeute Claude Steiner et illustré par Pef. Au travers de cette histoire il explique aux enfants les relations entre les gens, la vertu de la générosité. Cela leur apprend les valeurs essentielles complètement perverties aujourd'hui par le pouvoir et l'argent. Ses mêmes valeurs de partage, de don de soi, d'ouverture aux autres qui amènent au bonheur partagé. Les chauddoudoux sont toutes ces petites choses qu'on offre avec gentillesse pour faire plaisir : un sourire, unc caresse, un compliment, une écoute, une épaule.... Les recevoir fait du bien mais les donner aussi. Tout ça est tout chaud et tout doux.

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    Un jour, un homme s’était retrouvé en possession d’un arc exceptionnel. Fabriqué dans un  vieux morceau de santal rouge, il était en bois plein et tout à la fois solide et flexible : son maniement était exceptionnel.

    L’homme était tombé en pâmoison devant son arc. Mais dans le même temps, il estimait qu’il n’était pas assez beau, trop sobre. Il demanda donc au plus habile artisan du pays de l’agrémenter d’une scène de chasse.

    L’artisan déploya tout son talent pour graver cette scène de chasse, et force fut de constater que le résultat était au rendez-vous : la scène ainsi gravée était d’une vraisemblance frappant. On distinguait des chevaux en plein course à la poursuite du gibier, des cavaliers tirant des flèches avec leur arc, le soleil et le paysage : rien n’y manquait. De magnifiques fioritures venaient compléter le tout, gravées sur toute la surface restante de l’arc.

    L’homme était ravi du résultat : son arc était désormais parfait. Il s’en empara, positionna une flèche, tira avec énergie la corde à lui. Et, patatras, l’arc se brisa : l’excès de fioritures, en fragilisant son bois, avait eu raison de lui.

     

    L’arc était certes devenu magnifique, mais ce qui faisait sa force avait été sacrifié sur l’autel de la beauté. Combien de fois nous-mêmes ne sacrifions-nous pas nos dispositions naturelles sur l’autel des apparences ? Voilà qui s’appelle perdre de vue l’essentiel pour s’attacher aux détails.

    Yu Dan « le bonheur selon Tchouang-tseu »

     

    Le bel arc

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     Imagine que chaque matin, une banque t’ouvre un compte de quatre-vingt-six mille quatre cents dollars. Mais elle t’impose deux règles : tout ce que tu n’as pas dépensé dans la journée te sera enlevé le soir. Tu ne peux pas tricher ni virer cet argent sur un autre compte, tu ne peux que le dépenser, tout en sachant qu’au réveil la banque créditera à nouveau ton compte de quatre-vingt-six mille quatre cents dollars pour la journée.  Deuxième règle, la banque peut interrompre ce « jeu » sans préavis ; à n’importe quel moment elle pourra te dire que c’est fini, qu’elle ferme le compte et qu’il n’y en aura pas d’autres. Alors, consciente de cette situation, que ferais-tu ?

    (…) tu t’empresserais de dépenser chaque cent à te faire plaisir et à offrir quantité de cadeaux aux gens que tu aimes. Tu ferais en sorte d’utiliser chaque dollar pour apporter du bonheur dans ta vie et dans celle de ceux qui t’entourent. Or, mon trésor, cette banque magique existe : c’est le temps ! Chaque matin, au réveil, nous sommes crédités de quatre-vingt-six mille quatre cents secondes de vie pour la journée, et lorsque nous nous endormons le soir, il n’y a pas de report. Ce qui n’a pas été vécu dans la journée est perdu, hier n’est plus. Chaque matin, cette magie recommence. Nous jouons avec cette règle incontournable : la banque peut fermer notre compte à n’importe quel moment ? Sans aucun préavis et s’emparer de notre existence.

    (…) que comptes-tu faire de tes quatre-vingt-six mille quatre cents secondes ?

     

                                                           Extrait du « sceptre de Dieu » d’André Journo

     


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  • La grenouille et le mille-pattes


     

    Une grenouille ayant observé un mille-pattes en plein déplacement lui demanda, piquée de curiosité : « Regarde-moi, j’ai quatre pattes qui se partagent le travail, deux devant et deux derrière ; grâce à elles, j’avance en faisant des bonds. Mais toi, j’ai beau te regarder, je ne comprends pas comment tu fonctionnes ; de tes mille pattes, laquelle avance en premier ? » 

    Saisi par la question, le mille-pattes s’arrêta net, incapable d’aller plus avant.   

    Il lui répondit : « Ne pose plus jamais cette question, ni à moi ni à n’importe quel autre mille-pattes que tu rencontreras. Je ne sais pas quelle patte  avance en premier. Dès que je commence à y réfléchir, plus aucune de mes pattes ne veut bouger. Je reste alors là incapable d’avancer. »

    (…) Tchouang-tseu dit : « celui qui possède une grande chose ne doit pas chercher à la gouverner ».

    Inutile de s’attacher à la forme, inutile de vouloir forcer ; il faut suivre sa nature. 

     

    Yu Dan « le bonheur selon Tchouang-tseu »

     

    La grenouille et le mille-pattes

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