• Histoire du lion et de ses compagnons avec l’homme

     

    Un lion habitait une forêt et il s’y sentait bien seul. Un matin, il décida d’explorer les montagnes pelées, de l’autre côté de la forêt, à la recherche d’un ami. Arrivé au sommet des montagnes, il inspecta l’horizon et vit s’élever dans la grande plaine grise un nuage de poussière. A l’intérieur du nuage, un drôle d’animal aux grandes oreilles galopait et ruait dans tous les sens. C’était un âne. Mais le lion n’avait jamais vu d’âne, c’est pourquoi il demanda :

    - Qui es-tu ?

    Et il ajouta – car ce point aussi le tracassait :

    - Pourquoi courais-tu si vite ?

    - Je suis l’âne, répondit le drôle d’animal en secouant ses grandes oreilles. Et si je galopais ainsi, c’était pour échapper à l’homme.

    - L’homme ? Qui est-ce ? Et pourquoi voulais-tu lui échapper ?

    - Chaque matin que le soleil fait, sans même que j’aie le temps de m’ébrouer, vloum ! un bât sur le dos. Ensuite, vloum ! deux grands sacs qui m’écorchent les flancs. Et voilà l’homme qui grimpe là-dessus ! Moi, je suffoque, je n’arrive même pas à lever une patte, et tu crois qu’il s’en soucie ? Ah oui ! Il me pique de son bâton pointu et m’oblige à l’emmener où il lui plaît.

    Le lion n’aurait jamais pensé qu’il existait un animal aussi méchant.

    - C’est vraiment affreux ! s’exclama-t-il. Reste donc avec moi, je te protégerai. Justement, je cherchais des amis.

    Et ils partirent ensemble, très contents l’un de l’autre.

    Ils marchaient au hasard dans la grande plaine grise lorsqu’ils virent monter du bout de l’horizon un tourbillon de poussière. Un dromadaire arrivait vers eux de toute la vitesse de ses grosses pattes. Ce fut l’âne qui le reconnut, car le lion n’en avait jamais vu. Il contempla avec un peu d’étonnement la  bizarre bosse qui surmontait le dos de l’animal.

    - Salut, dromadaire ! dit l’âne. Où vas-tu si vite ?

    - Ouf ! souffla le dromadaire. Je crois que je lu ai enfin échappé.

    - A qui ? demanda le lion.

    - A l’homme, ce maudit !

    - Encore lui ! Il est donc bien redoutable si même toi tu le crains. Tu parais pourtant de taille à te défendre.

    - Redoutable ? C’est pire que cela ! Chaque jour, à l’heure où le soleil dort encore, il me fixe entre les mâchoires un morceau de fer qui me scie les lèvres et les joues. Ensuite il y tend une bride, et à la bride il attache une charrue, lourde comme vingt de mes bosses ! Et je dois tirer pendant qu’il appuie de toutes ses forces sur la charrue et l’enfonce dans le sol. Ce n’est qu’hier que j’ai pu m’enfuir.

    - Et bien, reste avec nous, proposa le lion. Nous parcourons le monde à la recherche d’amis et je vous protégerai.

    Ils traversèrent la grande plaine grise et rencontrèrent le cheval. Puis le mulet. Ces deux-là avaient aussi beaucoup à se plaindre de l’homme et ils ne s’en privèrent pas…

    Un jour que l’âne était parti se promener tout seul, ses compagnons le virent revenir si affolé qu’il s’emmêla les pattes et s’étala par terre.

    - Je l’ai vu ! hurlait-il. Il nous cherche sûrement.

    Personne n’eut besoin de demander qui l’âne avait vu.

    - Aide-nous, lion ! criait l’âne. Tu as promis de nous protéger.

    - Oui, oui, tu as promis ! reprirent les autres en chœur. Et tu es fort, toi, tu ne crains personne !

    Le lion ne se sentait pas fort du tout. Il aurait bien aimé pouvoir refuser mais ses amis avaient une si grande confiance en lui. Il fut donc obligé de partir à la recherche de l’homme. Il s’éloigna, avançant avec prudence, surveillant les alentours d’un œil méfiant, regardant autour de lui, mais il oublia de regarder devant lui et tomba dans un trou profond. Un peu étourdi, penaud, il se demanda comment il allait sortir de là. Dans l’espoir que ses amis l’entendent, il se mit à siffloter, grogna de plus en plus fort, et enfin lança un énorme rugissement. Une tête ronde apparut dans l’ouverture du trou :

    - Eh bien, mon pauvre, que t’arrive-t-il ?

    - Tu le vois, je suis  tombé ! Peux-tu m’aider à sortir ?

    La tête ronde lui jeta une longue corde. Le lion eu du mal à remonter le long des parois, ses griffes glissaient sur la corde, mais la tête ronde tenait ferme et le lion se retrouva au bord du trou. Il commença par s’en éloigner – on ne sait jamais –  et examina celui qui venait de le tirer de ce mauvais pas.

    - On dit qu’il ne faut pas juger les gens sur leur apparence, et on a raison. Tu sembles fragile, pourtant tu m’as sauvé d’un grand danger.

    - Cela n’et rien, répondit la tête ronde. Il faut bien s’entraider. D’ailleurs, tu pourras peut-être m’être utile un jour.

    Il s’apprêtait à partir mais le lion le retint.

    - Attends ! Fais autre chose pour moi. Je cherche l’homme. Saurais-tu par hasard où il se trouve ?

    - Rien de plus facile. Il est en face de toi. Je suis l’homme.

    Le lion en fut muet d’étonnement et se sentit de nouveau très fort.

    - Toi, l’homme ! Eh bien, mon pauvre ami, tu n’as pas de chance. Je dois te punir et c’est pour cela que je te cherchais.

    - Me punir ? De quoi s’il te plaît ?  Je ne te connais pas, je ne t’ai fait aucun mal.

    - C’est vrai, ce sont mes amis que tu as maltraités. L’âne, le dromadaire, le cheval et le mulet m’ont chargé de les venger et je le leur ai promis.

    - Tu oublies quelque chose : je viens de e sauver d’un grand danger. Tu voudrais me punir après cela ? Peut-on rendre le mal pour le bien ?

    Interloqué, le lion hésita.

    - Sais-tu ? reprit l’homme. Nous allons partir tous les deux et nous soumettrons le cas à la première personne que nous rencontrerons. Elle jugera entre nous.

    - Bien raisonné, approuva le lion.

    Et ils se mirent en route pour chercher  la réponse à cette question : Peut-on rendre le mal pour le bien ?

    La première personne qu’ils rencontrèrent fut un chien sloughi. Il était très vieux, très maigre, n’avait plus de dents et leur parut très sage. Le lion et l’homme s’expliquèrent, puis interrogèrent leur juge :

    - Qu’en penses-tu ? Peut-on rendre le mal pour le bien ?

    Le sloughi répondit :

    - Quand j’étais jeune, j’étais au service de l’homme et je chassais pour lui le chacal. Alors, il me nourrissait de couscous ; il enlevait de sa bouche les meilleurs morceaux de viande pour me les donner. Et j’ai vieilli. Mon souffle s’est raccourci, mes pattes se sont alourdies. Quand le chacal a commencé à se jouer de moi, l’homme m’a dit : « À quoi sers-tu désormais ? Tu ne mérites mêle pas une croûte de pain. Va-t’en ! » Et il m’a chassé, moi qui l’avais fidèlement servi. Voilà pourquoi je vous dis, à vous qui me l’avez demandé : Oui, l’homme rend le mal pour le bien, l’homme n’est qu’un traître ! Je donne raison au lion.

    Le lion se retourna vers l’homme mais celui-ci leva un doigt en souriant et, s’adressant au sloughi :

    - Oublierais-tu que tu ne peux être juge et partie ? Tu as à te plaindre de l’homme, et la colère t’aveugle. La justice ne peut pas être aveugle. Je refuse ton jugement et demande un autre juge.

    Le lion dut reconnaître que l’homme avait raison et que le sloughi ne pouvait être impartial. Ils le laissèrent à sa tristesse et s’en furent chercher ailleurs la réponse à cette question : peut-on rendre le mal pour le bien ?

    La deuxième personne qu’ils rencontrèrent fut une vieille vache. Elle broutait une herbe rare en se traînant sur ses pattes fatiguées. Ils s’expliquèrent, attendirent sa réponse. Après avoir ruminé quelques brins d’herbe, elle dit :

    - Quand j’étais jeune, j’étais au service de l’homme et je lui donnais des veaux et du lait. Alors, il me conduisait à de gras pâturages ; il m’apportait chaque soir de l’herbe qui me servait de litière. Et j’ai vieilli. Mon lait s’est tari, mon ventre s’est flétri. L’homme m’a dit : « A quoi sers-tu désormais ? Tu ne mérites même pas une croûte de pain.  Va-t’en ! » Et il m’a chassé, moi qui l’avais fidèlement servi. O vous qui me l’avez demandée, voici ma réponse : Oui, l’homme rend le mal pour le bien, l’homme n’est qu’un traître ! Je donne raison au lion.

    L’homme refusa aussi ce deuxième jugement. Le lion accepta de tenter une autre expérience, mais il avertit l’homme ;

    - Di le troisième est encore du même avis, je considérerai que c’est moi qui ai raison et je m’acquitterai de ma vengeance. J’ai bien peur qu’on ne puisse trouver sur terre personne qui n’ait à se plaindre de toi …

    Ils marchèrent donc et finirent par rencontrer un hérisson qui chauffait ses piquants au soleil. Ils s’assirent, lui expliquèrent ce qu’ils attendaient de lui. Le hérisson s’étira paresseusement, bâilla largement et déclara enfin :

    - Hmmm… J’ai dû rester trop longtemps au soleil. J’ai la tête lourde et ne comprends pas très bien. Pouvez-vous recommencer ?

    On recommença. Le hérisson s’écria :

    - Non ! C’est trop difficile ainsi. Et ma tâche est terriblement délicate. Nous allons tout reprendre depuis le début. Conduisez-moi à l’endroit où vous vous êtes rencontrés.

    Ce qu’ils firent.

    - Voilà le trou dans lequel je suis tombé, dit le lion. C’est de là que l’homme m’a sorti.

    - Mais… comment a-t-il pu te sortir de là ? s’étonna le hérisson.

    L’homme s’approcha et prit la corde.

    - Je lui ai jeté cette corde-ci.

    Et il la jeta au fond en la tenant ferme par l’autre bout.

    - Et moi, reprit le lion, je m’y suis accroché et je suis remonté. Comprends-tu maintenant ?

    - Je comprends mieux, dit le hérisson. Mais ce que je ne comprends pas, c’est comment tu as pu tomber dans ce trou.

    - C’est simple, expliqua le lion, agacé. Je marchais en regardant autour de moi et…

    - Comment cela, en regardant autour de toi ?

    - Eh bien, en regardant autour de moi !

    - Montre-le-moi, alors !

    Le lion se mis à marcher en regardant autour de lui et… il tomba dans le trou !  Un peu étourdi, il se secoua, puis s’apprêta à saisir la corde en disant au hérisson :

    - J’espère que tu as compris à présent, tête dure !

    - J’ai parfaitement compris ! répondit le hérisson.

    - Et moi aussi ! dit l’homme, qui jeta la corde au fond du trou en riant.

    Le lion aussi avait compris, mais trop tard !

    L’homme et le hérisson s’en allèrent sans lui accorder un regard ni écouter une plainte. Ils marchèrent un moment en silence, puis l’homme se tourna vers le hérisson.

    - Sais-tu petit hérisson, que j’ai eu beaucoup de chance de te trouver ? Tu m’as sauvé la vie. Et sais-tu autre chose ? Tu vas pouvoir sauver celle de mon fils.

    L’homme raconta que le médecin avait prescrit comme remède à la maladie qui consumait son fils un bouillon de hérisson. Cela faisait des jours qu’il en cherchait un.

    - Oui, oui, dit le hérisson en se grattant le bout du nez. Ton médecin est un grand médecin. Mais tu comprendras que je t’indique quelqu’un d’autre que moi pour faire ton bouillon ! Je connais un trou où nichent des bébés hérissons. Ils sont tendres, ils feront un meilleur remède pour ton fils.

    Le hérisson conduisit donc l’homme vers un trou, non loin de là.

    - C’est ici. Tâte-les et choisis le plus gras.

    - Me prendrais-tu pour un imbécile ? entre d’abord, et fais-les sortir.

    - Comme tu voudras.

    Or au fond de ce trou vivait un serpent. Le hérisson se mit en boule, piqua durement le serpent et le poussa hors du trou en criant à l’homme :

    - En voilà un beau ! Attrape-le !

    Comme les serpents n’aiment pas beaucoup qu’on les dérange au fond de leur trou, l’homme fut mordu. Il se releva en criant et prit ses jambes à son cou. Peut-être même court-il encore.

    Le hérisson se déroula et repartit tranquillement vers son trou à lui. Il en avait vu d’autres !

    Quant au lion, on raconte que ses compagnons l’ont retrouvé et qu’ils ont repris leurs voyages. Mais il y a un nom qu’il ne faut surtout jamais prononcer devant eux …

    Extrait de « Avec la rivière mon conte s’en est allé » de Jocelyne LAABI –.

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  •  

    Deux frères avaient connu des fortunes très différentes. L’un possédait argent, maison et boutique, l’autre bataillait chaque jour pour un quignon de pain. Le riche était insouciant et égoïste. Jamais il ne s’enquérait de son frère. Le pauvre était si orgueilleux que pour rien au monde il ne lui aurait demandé son aide. Mais sa vie était si difficile, il se tourmentait tant pur sa malheureuse famille, qu’il fut atteint par une étrange maladie de langueur.

    Le vieux médecin qu’il consulta comprit vite les raisons de cette maladie. Le remède était entre les mains du riche. Il le fit venir, lui apprit l’état de son frère. Lui seul, expliqua-t-il, pouvait lui apporter la guérison : il devait lui procurer une plume du plus mauvais oiseau, une feuille de la plus mauvaise plante et une branche du plus mauvais arbre.

    Le riche partit donc en quête des étranges remèdes à cette étrange maladie. Mais d’abord il fallait réfléchir. Le plus mauvais oiseau ? Certainement pas le rossignol, qui chantait si bien. Alors l’aigle et ses serres redoutables ?  Ou bien le vautour ? Après mûre réflexion, il décida que le plus mauvais des oiseaux ne pouvait être que le hibou, avec ses gros yeux ronds et ses habitudes nocturnes. Il alla le trouver et lui exposa sa requête : une simple plume pour guérir son frère.

    - Moi, Mauvais ? répondit dédaigneusement le hibou. Pas du tout ! Je vis la nuit, et alors ? C’est parce que je suis myope ! Je suis utile, moi. Je vous débarrasse, toi et tes semblables, des rats et des souris qui envahissent vos maisons. Et toi, es-tu utile ? Qui aides-tu ?

    Le riche battit en retraite et partit à la recherche de la plus mauvaise plante. Il n’hésita pas longtemps : c’était forcément le cactus, le traître inaccessible qui se barricade derrière ses épines.

    - Moi mauvais ? s’exclama le cactus. Et depuis quand ? Où l’assoiffé égaré dans le désert peut-il espérer trouver de l’eau sinon dans mes tiges ? Je suis utile, moi. Et toi, es-tu utile à quelqu’un ? Tu ne sers à rien, ni à personne !

    Le riche désespérait de pouvoir guérir son frère. Pour se reposer un peu, il s’arrêta sous un chêne plusieurs fois centenaire, si haut qu’il touchait presque le ciel.

    - Hélas ! se plaignit-il. Je n’ai trouvé ni le plus mauvais oiseau ni la plus mauvaise plante. Alors, comment trouverais-je le plus mauvais arbre pour lui demander une de ses branches ?

    Le chêne pencha vers lui sa ramure.

    - Sers-toi, lui dit-il. J’ai aussi peu de cœur que toi. J’ai placé mes glands si haut que personne ne peut les atteindre, et ainsi ils ne servent à personne.

    Alors seulement le riche comprit la leçon.

    Extrait de « Avec la rivière mon conte s’en est allé » de Jocelyne LAABI –.

     

    Le Riche et le pauvre de Jocelyne Laabi

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  • La création du Grand Chariot

     

    Dans la plaine, au temps où la paix régnait entre les maîtres du paysage, il était une fois cinq loups, tous frères, qui erraient en bande pour le plaisir et leur pitance. Quand ils chassaient, ils partageaient toujours leurs prises avec le Navajo Coyote. Un soir, Coyote les vit qui regardaient le ciel. « Qu’est-ce que vous regardez là-haut, frères ? » s’enquit-il.

    « Oh, rien ! » répondit le plus âgé des loups. Le lendemain, Coyote les découvrit à nouveau, tous les cinq plus un louveteau qui apprenait la vie, en train de regarder le ciel. Il les questionna, par rang d’âge. Le premier hocha simplement la queue et la tête. Le second ne voulut rien dire et tous les autres l’imitèrent gentiment. Le silence à la fois amical et ferme se poursuivit de la sorte pendant quelques soirées. Aucun ne voulait dire à leur ami Navajo, qu’ils connaissaient pourtant depuis des lustres, ce qu’ils observaient tous avec constance. De crainte qu’il ne mette son grain de sel dans leurs affaires – on a beau être amis et se fréquenter quotidiennement, il est des secrets que l’on préfère préserver. Un soir, Coyote insista pourtant auprès du plus jeune de la bande pour qu’il dise de quoi il s’agissait et ce qu’ils cherchaient tous dans le ciel. Ce dernier -ci se tourna vers les autres : « A quoi bon nous taire, disons donc à notre frère ce que nous voyons là-haut. Il ne va certainement pas s’en mêler, c’est un ami en qui nous avons confiance comme pour tous les partages passés »

    Ils s’exprimèrent sans dissiper le mystère : « Là-haut, tout là-haut, il y a deux animaux, inaccessibles.

    - Eh bien, allons-y pour voir, répondit le Navajo en souriant, comme si nous partions de concert à la chasse.

    - Aller là-haut ? Comment serait-ce possible ? Nul animal connu ne peut nous transporter et nous ne savons pas à quel dieu demander de l’aide…

    - Rien de plus simple, répondit Coyote le Navajo. Je vais vous montrer. »

    Coyote puisa dans son carquois un grand nombre de flèches et commença à les décocher dans le ciel. La première resta accrochée au ciel ; la seconde se ficha dans la première, et ainsi de suite, si bien qu’elles formaient ensemble une échelle reliant le ciel à la terre. « Maintenant, nous pouvons facilement monter là-haut pour voir » dit Coyote.

    Le plus vieux des loups ouvrit l’escalade, emmenant son chien. Il était suivit des quatre autres loups, et enfin de Coyote. Le louveteau fut prié d’attendre au pied de l’escalier de flèches colorées. Ils grimpèrent tout le jour et jusque tard dans la nuit. Toute la journée suivante, ils grimpèrent encore. Ils grimpèrent pendant des jours et des nuits, et atteignirent enfin le ciel. Ils s’arrêtèrent dans le ciel et contemplèrent les deux animaux que les loups avaient aperçus d’en bas : deux grizzlis.

    « N’approchez pas, prévient Coyote. Ils vous mettraient en pièces. » Mais les deux plus jeunes loups s’étaient déjà rapprochés, bientôt suivis de deux moins jeunes. Seul le plus âgé restait en arrière. Quand les loups s’approchèrent des ours, il ne se passa rien. Les loups s’assirent en silence, oreilles dressées, et examinèrent calmement les ours ; et les ours, assis aussi, toisaient les loups. Quand il vit qu’il n’y avait pas de danger, le vieux loup vient rejoindre les autres et s’assit là avec son chien.

    Coyote, lu, n’approcha pas davantage. Il n’avait pas une grande confiance dans les ours ; même s’il trouvait que la scène était bien belle et apaisante à voir, et qu’ils avaient tous une bien belle allure, paisiblement assis et se toisant presque amicalement. Le Navajo pensait aussi qu’il avait fort envie de les laisser ensemble, pour que tout le monde puisse les voir. Et quand les gens verront ce tableau de paix dans le ciel, ils s’en iront, en répétant que je suis l’homme à l’origine de ce tableau, et ils me loueront jusqu’à la fin des temps.

    Il laissa donc les loups et les grizzlis à leur paix et à leur contemplation réciproque, et entreprit de revenir sur terre, regrettant fugitivement de laisser ses vieux amis de chasse et de courses. Sur le chemin du retour, il arracha les flèches une à une derrière lui : ainsi, personne ne pourrait plus redescendre. Revenu sur la terre, il contempla, admiratif, la coexistence qu’il avait laissé en haut. Et qui n’a jamais changé depuis. De nos jours, on appelle cette constellation le Grand Chariot. En regardant bien, on voit que trois loups composent le timon, et que le plus vieux, celui du milieu, a toujours son chien à ses pieds. Les deux jeunes loups forment l’avant du chariot, et les deux grizzlis l’arrière, qui pointe vers l’étoile Polaire.

    De voir comme cela était beau, Coyote eut envie de remplir le ciel d’étoiles. Il disposa donc des étoiles partout en motifs célestes schématisant le tableau ; puis pour utiliser ce qui lui restait, il traça la Voie lactée.

    Quand il eut fini son ouvrage, Coyote manda Alouette, sa sœur Navajo. « Raconte à tous, je te prie, quand je ne serai plus de ce monde, que cette ordonnance des étoiles qu’ils voient au firmament, c’est moi qui l’ai conçue ; c’est mon œuvre. Dis-leur aussi que j’ai voulu que l’on se souvienne de l’amitié entre les loups et l’homme, et aussi que les animaux, après s’être craints mutuellement, découvrent toujours, un jour, qu’ils ne sont pas des ennemis. »

                         Extrait de  Le Roman du Loup de Claude-Marie VADROT

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  • Le chant du loup

     

    Je voulais donner quelque chose de mon passé à mon petit-fils. Alors, je l’ai emmené dans la forêt, dans un lieu tranquille et sauvage.

    Assis à mes pieds, il m’écoutait lui dire la puissance qui était donnée à chaque créature. Il ne bougeait pas un muscle pendant que j’expliquais comment la forêt nous avait toujours tout fourni : nourriture, abri, confort et croyances. Il était effrayé quand je lui racontais comment le loup était devenu notre protecteur, et excité quand je lui disais que je lui chantais le chant sacré du loup.

    Dans mon chant, j’implorais le loup de venir et de présider avec nous pendant que j’accomplissais la cérémonie du loup pour que le lien entre mon petit-fils et le loup soit éternel.

    Je chantais. Dans ma voix, l’espoir se répercutait dans chaque battement de cœur.

    Je chantais.

    Dans mes mots étaient les pouvoirs hérités de mes ancêtres.

    Je chantais.

    Dans le creux de ma main se trouvait une graine de sapin – le chaînon de la création.

    Je chantais.

    Devant mes yeux étincelait l’amour.

    Je chantais.

    Et le chant flottait sur les rayons du soleil, d’arbre en arbre.

    Quand j’eus fini, c’était comme si le monde entier écoutait avec nous pour entendre la réponse espérée du loup.

    Nous avons attendu un long moment mais rien n’est venu.

    Je chantais à  nouveau, humblement mais avec autant de conviction que je pouvais, jusqu’à ce que ma gorge me fasse mal et à en perdre la voix.

    Tout à coup, j’ai réalisé pourquoi aucun loup n’avait entendu mon chant sacré ; il n’en restait plus !  Mon cœur se remplissait de larmes.

    Je ne pouvais plus donner à mon petit-fils la confiance au passé, à notre passé.

    Enfin, je ne pouvais que lui murmurer : « C’est fini ! »

    « Puis-je rentrer à la maison ? »  demanda-t’il, regardant sa montre pour voir s’il pouvait encore être à l’heure pour ne pas rater son émission de télévision favorite.

    Je l’ai regardé disparaître et j’ai pleuré en silence.

    Tout est bien fini !

     

                         Extrait de  Le Roman du Loup de Claude-Marie VADROT

     

    https://www.youtube.com/watch?v=7KHMehblpE0

     

    Le chant du loup

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  •  

    La mise en place du monde – Légende amérindienne

     

    Kaïla était le dieu du ciel, au-dessus des forêts immenses et des plaines glacées du Nord. Comme tous les dieux qui se respectent, il avait créé un homme et une femme puis il les avait lassés se débrouiller, sans leur faire croire qu’ils étaient au paradis. Ils étaient complètement seuls, complètement libre. L’homme et la femme observèrent le monde autour d’eux : pas un cri d’oiseau, pas une trace sur le sol, pas même un moustique pour leur taquiner les oreilles. Bientôt la femme en eut assez de n’avoir que son homme à regarder ; elle commença à s’ennuyer.  Alors elle fit un trou dans la glace et se mit à pêcher… Une pêche miraculeuse ! Un à un, elle tira du trou les animaux de la terre, depuis les gobies, ces petits poissons qui remontent les rivières du Grand Nord, jusqu’aux perdrix des neiges, blanches l’hiver et brunes l’été. Le dernier qu’elle extirpa vers le monde dut le caribou ; elle eut du mal à le hisser hors du trou tant son dos était puissant, tant sa ramure était lourde !

    A ce moment-là, Kaïla, qui observait tout du haut du ciel, jugea qu’il était temps d’intervenir : ceci est mon plus beau cadeau, dit-il à la femme. Le caribou te fera vivre, toi et ta famille : grâce à lui, vous ne manquerez de rien. La femme s’empressa de lâcher le caribou et lui ordonna de se répandre partout sur sa terre pour former de grands troupeaux à travers les forêts immenses et les plaines glacées.

    Ainsi fut dit, ainsi fut fait.

    Les caribous se multiplièrent, les hommes aussi. Les hommes chassèrent les caribous, mangèrent du caribou, fabriquèrent des tentes et des chaussures avec sa peau. Armés d’arcs et de flèches, les chasseurs tiraient de loin les animaux les plus appétissants dont les cuissots faisaient de magnifiques rôtis pour la tribu tout entière. Mais …. A force de tuer les plus belles bêtes, il ne resta bientôt que les malades, les boiteux, les maigrelets dont personne ne voulait.

    Vouant que ses enfants commençaient à avoir faim, que le cuir de ses chaussures s’usait, la femme se mit à pleurer. Et Kaïla, du haut du ciel, vit ses larmes. Je t’avais donné un beau cadeau que tu as gaspillé, dit-il, mais dans ma grande générosité, je vais encore essayer d’arranger tes affaires.

    Il alla voir Amarok, l’esprit des loups, qui habitait le ciel non loin de lui, et lui demanda d’envoyer des loups sur la terre pour nettoyer les troupeaux de caribous. Surtout, insista-t-il qu’ils usent de leurs griffes et de leurs dents, qu’ils aiguisent  leur faim… qu’ils dévorent tous les malingres, les malades et  les contrefaits ! Les bêtes saines sauront bien leur résister et les hommes auront à nouveau du beau gibier !  Les loups se mirent en chasse.

    Du sommet des collines, les hommes les regardèrent.

    Après s’être rassemblée dans la forêt, la meute s’avança à la queue leu leu et sans un bruit vers le troupeau décimé par la maladie qu’ils se transmettaient. Les caribous qui ruminaient tranquillement se levèrent, frémissants, et se rapprochèrent les  uns des autres, les adultes tournés vers l’extérieur afin de protéger les faibles et les petits. Les loups, intelligents grâce aux dieux, savaient ce qu'ils avaient à faire : ils s’élancèrent pour écarter les rangs, éloigner les mâles vigoureux. A plusieurs, ils réussirent à isoler une jeune bête malade. Elle perdit vite ses forces et se laissa encercler par la meute ! Les loups se rapprochèrent, les crocs en avant, puis ils bondirent. Le caribou tomba. Du haut de la colline les hommes avaient compris : de haut du ciel Kaïla cligna de l’œil et, en bas, la femme sourit.

    Depuis ce jour très ancien, l’esprit d’Amarok plane sur le Grand Nord et les Inuits, ainsi que tous les Indiens avec les espèces semblables, laissent les loups chasser en paix, car ils savent que la bonne santé des caribous dépend de leurs coups de dents.

         Extrait de  Le Roman du Loup de Claude-Marie VADROT

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