• Masco et le petit savoyard

     

    Monsieur de Caumont est un poète nancéen, dont le nom et la notoriété n’ont pas franchi les limites régionales ni même le fil des siècles. C’est pourtant grâce à lui que l’on retrouve trace d’une histoire extraordinaire qui date de la fin de l’année 1709. L’aventure se déroule en Lorraine, dans la propriété du comte René de Vandemont. Cet aristocrate est un passionné d’animaux. Il fait construire près de son château une fosse pour recueillir et maintenir en captivité des ours attrapés vivants. Les Vosges regorgent encore de ces plantigrades qui parfois causent des dommages aux troupeaux. René de Vandemont a notamment capturé un gros mâle qu’il surnomme Masco.

    C’est donc au cœur du terrible hiver 1709 que se déroule l’histoire. Transi de froid, un enfant originaire de Savoie qui vit en ramonant les cheminées n’a d’autres solutions pour espérer rester en vie que de pénétrer dans la cage de l’ours Masco. Pour quelle raison l’animal ne s’attaque pas au garçonnet ? Mystère… Loin de le maltraiter, il l’accueille et l’invite à se blottir contre son épaisse fourrure. Le lendemain matin, Masco laisse partir l’enfant qui revient le soir même retrouver son sauveteur.

    De caresse en signes d’affection, c’est une véritable complicité qui se tisse entre les deux. Bien vite, c’est tous les soirs que l’enfant vient retrouver son compère auprès duquel il trouve refuge et même une portion de repas que l’ours lui réserve.

    Un soir, le gardien apporte la pitance quotidienne légèrement en retard, sous le regard furibond de son pensionnaire. L’ours reste immobile et ses yeux étincelants dans la pénombre démontrent une certaine contrariété. Emmitouflé dans la fourrure soyeuse de son protecteur, le petit garçon dort à poings fermés. Craignant qu’en se déplaçant pour prendre son repas, on ne lui enlève l’enfant, Masco décide de ne pas bouger d’un pouce tout en marquant son hostilité. Cette histoire d’amour quasi-filial entre un animal et un garçonnet aurait pu durer longtemps si l’ours ne s’était pas éteint prématurément d’une cause que l’on déclara inconnue.

    Alfred Brehm, célèbre naturaliste et zoologiste allemand du XIXe siècle, immortalisera cette histoire vraie dans un recueil de dessins où il illustrera cette aventure hors du commun.

                                              Pascal Assemat – Ces animaux qui ont marqué la France

     

    La légende continue ici : La porterie du palais des Ducs

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    Un roi africain avait un ami d’enfance qui était très proche de lui. Cet ami avait une habitude curieuse : quel que soit l’évènement qui lui arrivait dans la vie, positif ou négatif, il disait « C’est génial ! »

    Un jour le roi et son ami partirent à la chasse. Son ami prépara les fusils pour le roi mais il fit sans doute une bêtise car un des fusils explosa dans les mains du roi et le priva de son pouce.

    Au moment où cet accident arriva, l’ami dit, comme d’habitude, « C’est génial ! »

    A cela le roi, qui était vraiment en colère, lui dit « Non, ce n’est pas génial du tout » et en donna la preuve à son ami en le jetant en prison.

    Un an plus tard, le roi chassait hors de son royaume et des cannibales le capturèrent et le firent prisonnier dans leur village. Ils l’attachèrent à un tronc, mirent du bois autour de lui, et s’apprêtèrent à le faire griller vif pour le manger.

    Mais, au moment où ils allaient mettre le feu, ils s’aperçurent qu’il lui manquait un pouce. Une de leurs croyances étant qu’en le mangeant il leur arriverait la même chose, ils détachèrent le roi et le laissèrent partir.

    Sur le chemin du retour, exténué, choqué, il se souvint des circonstances dans lesquelles il avait perdu son pouce.

    A peine arrivé, il se fit conduire à la prison pour parler avec son ami.

     

    « Tu avais raison, mon ami, dit-il, c’était génial que je perde mon pouce. »

    Et il raconta ce qui lui était arrivé à son ami. « Je te supplie de me pardonner de t’avoir laissé croupir en prison si longtemps. C’était mal de ma part de t’avoir fait cela. »

    Son ami lui répondit : « Mais non, c’était génial au contraire ! »

    « Qu’est-ce que tu veux dire ? Comment le fait de te jeter en prison, toi, mon ami, pourrait-il être génial ? »

    « Si je n’avais pas été en prison, j’aurais été avec toi. Et ils m’auraient mangé. »

     

    Le pouce du roi

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  • Les araignées mélomanes
     

    Qui ne connait pas, dans son entourage, une personne qui éprouve une peur incontrôlable en présence des araignées ? Elles véhiculent des images que notre subconscient réprouve et déteste. Elles paraissent sales, veules et velues, méchantes et toujours prêtes à fondre sur nous pour nous piquer (mordre en l'occurrence)  ! Pourtant, l’histoire de France a retenu les aventures de personnages célèbres aimant, adorant voire idolâtrant ces prédateurs de l’ombre.

    La première se passe au début du règne de Louis XIV En 1661, le Roi Soleil décide de faire arrêter pour malversations son surintendant des finances, le grand Nicolas Fouquet. Dans sa chute, l’homme entraîne avec lui son ami et premier commis Paul Pellisson-Fontanier qui est envoyé directement à la Bastille. Là, il va rester durant quatre longues années pour « félonie » et acte d’allégeance à un Fouquet en disgrâce.

    C’est en compagnie d’un détenu basque que ce secrétaire originaire de Béziers, dans l’Hérault, passe sa détention. Pour tromper l’ennui des jours sans fin, Paul Pellisson-Fontanier s’intéresse aux allées et venues d’une autre pensionnaire… une araignée. A force de l’observer, il décide de l’apprivoiser et chasse pour elle. Il dépose ainsi moult mouches et autres insectes près d’un soupirail où elle a élu domicile. Pendant ce temps, l’autre compagnon d’infortune joue de la musette pour rompre lui aussi la monotonie de son incarcération.

    A chaque fois que le Basque entonne une ritournelle, l’araignée sort de sa cachette et court sur sa toile semblant associer la mélodie à la livraison du repas. Petit à petit, elle vient prendre directement la proie que lui présente Pellisson sur ses genoux. Devenue familière, elle se met à suivre son bienfaiteur partout dans sa cellule, reconnait sa voix et vient le rejoindre dès qu’il l’appelle ! Cette histoire extraordinaire et véridique prendra fin un jour de visite du gouverneur de la Bastille. Dès qu’il s’enquiert de savoir quelles sont les occupations quotidiennes de Pellisson, il n’a alors qu’une idée en tête… faire tomber l’araignée pour l’écraser du talon !

    Le poète Jacques Delille lui dédiera même un poème :

    Un geôlier, au cœur dur, au visage sinistre

    Indigné du plaisir que goûte un malheureux,

    Foule aux pieds son amie, et l’écrase à ses yeux.

    L’insecte était sensible et l’homme fu barbare :

    O tigre impitoyable et digne du Tartare,

    Digue de présider au tourment des pervers,

    Va, Mégère l’attend au cachot des enfers !

    Jules Michelet, dans son livre l’Insecte, raconte une autre histoire touchante du même acabit. Berthomé, violoniste brillant et célèbre en 1800, en est l’un des deux protagonistes. Tout jeune enfant, on le cloître littéralement dans ses appartements afin qu’il étudie en toute tranquillité. Dans sa réclusion, Berthomé, âgé d’à peine huit ans, a pour seule compagnie un animal minuscule à … huit pattes.

    Chaque fois que le garçonnet joue de son instrument, l’araignée s’avance à pas feutrés depuis un angle de la pièce. Etendant lentement chacune de ses articulations, le petit arthropode parvient en toute impunité à rejoindre le pupitre. Sans aucune objection de la part de l’enfant, elle va jusqu’à grimper sur le bras du violoniste qui tien l’archet. C’est ainsi qu’agrippée solidement, elle se balance au rythme des mouvements lestes et étudiés du jeune prodige. Seule admise à l’écouter, on la croirait subjuguée par le virtuose, palpitante et fébrile.

    Un matin, la belle-mère de Berthomé vient écouter le musicien répéter ses arpèges. A la vue de ce modeste invertébré posé sur le bras de l’enfant, la réaction soudaine de la marâtre ne lui laisse aucune chance et une pantoufle a raison de sa courte existence ! Berthomé en perd connaissance, sera malade trois mois durant en approchant la mort à plusieurs reprises.

    Le dernier récit relatant les prédispositions de ces arachnides à la musique concerne l’astronome Joseph de Lalande. Ce célèbre scientifique du XVIIIe siècle, découvreur d’étoiles et personnage excentrique, est directeur de l’Observatoire de Paris. Il a pris l’habitude de rendre visite à une connaissance avec laquelle il partage l’amour de la musique. A chaque fois, une araignée a décidé de se joindre au concert. Lorsque la dame en question joue du clavecin, l’animal descend le long de son fil, suspendu au plafond, et s’arrête à quelques centimètres pour mieux en écouter les mélodies.

    Amusée par la bestiole, la musicienne l’a prise en sympathie allant jusqu’à faire apposer un écriteau sur la porte du vestibule. Il y est mentionné l’interdiction formelle d’enlever les toiles d’araignées ! Un soir où la concertiste s’adonne à son passe-temps favori, Lalande aperçoit la fileuse qui descend en rappel. En un éclair, il fond sur elle, l’attrape et la plonge dans sa tabatière. Il y a toujours un peu de sucre au fond de ce récipient. Mais ce n’est pas pour nourrir la pauvre malheureuse. C’est juste pour la rendre… plus succulente ! Car ce farfelu est coutumier du fait. Ne sachant comment attirer l’attention sur lui, il s’était mis un jour à manger des araignées dont la saveur lui rappelait la noisette. S’apercevant que le public en redemandait, et afin de varier les plaisirs, il se délectait aussi de chenilles ! Pour amuser le Tout-Paris, il essayera même de manger des souris mais sans succès…. Elles étaient plus coriaces que les tendres araignées.

                            Pascal Assemat – Ces animaux qui ont marqué la France

     

    Les araignées mélomanes

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  • L’eau de vie javanaise

     

    Rude métier que de travailler dans les chemins de fer au XIXe siècle. Dans La bête humaine de Zola et dans le film qu’en a tiré Jean Renoir en 1938 avec Jean Gabin, on peut avoir un aperçu des conditions de vie de ces cheminots. L’hiver, l’usage veut que l’on se retrouve autour d’une flambée en plein air pour déguster du vin chaud.  En plus de ragaillardir les forçats du rail, cette boisson permet de se donner un peu de baume au cœur et de tisser des liens entre collègues. Pour le feu, on récupère le bois de casse, des planches de wagon accidenté ou du charbon chapardé dans les locomotives.

    Pour le vin, on se sert directement dans les tonneaux de chêne ! Les trains ont désormais remplacé la route et le fleuve pour transporter les Bourgognes, Bordeaux ou Beaujolais du Pays. Il est donc aisé d’aller tirer en douce le jus de la treille dans des chargements en stationnement, en gare de triage par exemple. La technique est simple. Muni d’un petit vilebrequin, le cheminot perce délicatement le fût et recueille le breuvage dans un récipient destiné à cet usage. Puis, il enfonce en force un bouchon qui, en se gonflant de vin, obture complètement le tonneau. Impossible de déceler la supercherie ! Les négociants attribuent en général cette perte à la fameuse « part des anges » le volume d’alcool qui s’évapore au fil du temps…

    En cet hiver 1861, le froid redouble d’intensité et les regroupements autour des brasiers sont fréquents. Ce jour-là, les cheminots présents dégustent une eau-de-vie particulièrement goûteuse, au bouquet inimitable… Elle a été dénichée quelques heures auparavant par le chef de train qui a découvert une sorte de tonneau de grosse contenance dans le wagon. En regardant son étiquette de transport, il a lu sa provenance : Java, en Indonésie. Un peu d’exotisme à la portée de tous ! N’y tenant plus, grelottant de froid, le chef de train décide de tester cet alcool. Armé du fameux vilebrequin, il commence sa besogne, et un liquide ambré, d’un goût très subtil, s’écoule dans son seau. Six cheminots sont ensuite conviés à se délecter de deux litres de cette fameuse eau-de-vie, très parfumée. Malgré les commentaires et les clapets sous la langue pour tester, sa composition secrète, probablement à base d’épices inconnues, n’arrive pourtant pas à être percée.

    Puis c’est de nouveau le départ et tout le monde embarque avec au fond de l’estomac et dans l’haleine des relents mielleux de ce nectar javanais. Enfin arrivée à destination, la cargaison est débarquée puis réceptionnée par le destinataire, un professeur de médecine réputé en France. Avant d’embarquer sa marchandise, il demande à vérifier le contenu pour émettre des réserves au cas où la « pièce » aurait été détériorée ou abîmée pendant le voyage.

    On ouvre donc avec moult précautions ce qui se révèle être une sorte de sarcophage empli effectivement d’alcool. Un sourire de contentement éclaire alors le visage du professeur… avant que celui des sept agents ne se décompose sous l’effet du choc.  Au fond du tonneau, recroquevillé, le cadavre d’un orang-outan entier flotte dans un état de conservation remarquable… L’histoire, racontée par le grand écrivain Henri Vincenot, fera dans les mois qui suivent, et pour longtemps, le tour de France des gares et des dépôts de cheminots.

    A votre santé !

    Pascal Assemat – Ces animaux qui ont marqué la France

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  • L’âne Boronali

     

    La scène se passe au 22 rue des Saules. C’est un cabaret comme il en existe des dizaines dans le Paris de la Belle Epoque, juste avant la première Guerre Mondiale. André Gill, un caricaturiste de renom, en a imaginé le logo, un lapin sautant hors d’une casserole bien vite surnommé « Le lapin à Gill », le cabaret prend rapidement le nom qui le rendra célèbre « Le Lapin Agile ». Mais l’histoire étonnante qui s’y déroule en cette année 1910 n’a rien à voir avec le tendre animal dont on fait des civets.

    Frédéric Gérard, dit le « père Frédé », est l’un des instigateurs d’une supercherie artistique qui fera grand bruit en France. Patron du cabaret, casquette de breton vissée sur le front, pipe au bec et barbe blanche, il fait chanter des inconnus désargenté qui se retrouvent dans un esprit de camaraderie et de franche rigolade. C’est un personnage truculent, véritable icône du lieu, qui attire peintres, écrivains, poètes de Paris. On retrouve ainsi attablés Utrillo, Picasso, Modigliani, Apollinaire, Caran d’Ache, Braque, et aussi un certain Dorgelès. Le père Frédé fait souvent crédit à ces artistes sans le sou ou leur demande une œuvre contre quelques verres. Des amitiés se créent mais aussi parfois certaines inimitiés.

    Ainsi, le journaliste et écrivain Roland Dorgelès n’aime pas trop les œuvres de Picasso. Il est en révolte contre cette nouvelle école futuriste et trop innovante à son goût. Afin de démonter cette tendance cubiste qui ne lui sied guère, il échafaude un plan machiavélique.

    Avec quelques-uns de ses amis proches (Depaquit, Warnod, Gentil et Girieux), il imagine un superbe canular qu’il fait contrôler et constater par un homme de loi, le 8 mars 1910. Ce jour là, dans la cour attenante au cabaret, il fait venir Lolo, l’âne du père Frédé. Entouré d’une foule d’habitués, de gens du voisinage et de Maître Paul-Henri Brionne, huissier de justice, il dispose différents seaux de peinture, place une toile sur un chevalet et attache un pinceau à la queue de Lolo. Mystère…

    Un tas de foin est également placé devant l’animal afin qu’il reste en place et montre quelques signes de contentements, nécessaires à l’accomplissement de sa tâche… ou de son œuvre.

    Tournant le dos au tableau, l’âne est laissé « libre » de toute inspiration. On plonge sa queue dans les différents récipients de peinture et grâce aux balancements continus et irréguliers de ce « pinceau animal », un tableau prend naissance sur la toile !

    Après réflexion, la croûte est baptisée Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique. Les auteurs de la farce imaginent aussi le nom et le pedigree du peintre : Joachim-Raphaël Boronali, artiste né à Gènes et théoricien du nouveau mouvement artistique l’Excessivisme.

    Quelques jours après sa réalisation, l’œuvre est exposée au Salon des Indépendants. Le succès est considérable et certains critiques d‘art enthousiastes font des éloges de cette peinture. Le quotidien Le Matin publie aussi un article élogieux. La toile trouve acquéreur pour 20 louis d’or.

    Quelques jours plus tard, les comparses révèlent la supercherie dans la presse, photographies et constat d’huissier à l’appui, ce qui fera rire la France entière… Pourtant, les joyeux affabulateurs avaient laissé un précieux indice qui aurait pu éventer le canular. Les amateurs d’anagramme auraient pu deviner que Boronali n’est autre que Aliboron, l’âne décrit par Jean de la Fontaine, autre conteur bien connu pour ses… fables !

    Aujourd’hui, la célèbre toile est visible à l’espace culturel Paul Bedu à Milly-la-Fotêt, dans l’Essonne.

    Pascal Assemat – Ces animaux qui ont marqué la France

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