• Une ordonnance embarrassante de Pierre Mathiot

    Par une belle nuit, mais bien tard, arrive à Beaucourt, un homme d’un village voisin chercher le médecin pour qu’il vienne voir sa femme bien malade, disait-il. Le médecin ne pouvant pas avoir d’explications sur la maladie dut se rendre vers la malade. En voyant le cas qui n’était pas bien grave, il fit une ordonnance tout de même, mais comme il avait oublié son calepin, il demanda du papier à l’homme de la maison…. Vu qu’il n’avait pas d’enfant qui allait à l’école, il n’avait ma foi, rien de cela.

    Aller réveiller l’instituteur à cette heure, il n’y fallait pas penser !  Enfin le médecin eut une idée : donnez-moi un peu de votre blanc de mur, j’écrirai sur votre porte ce qu’il faut donner à votre malade. Demain vous le ferez transcrire sur du papier pour le donner à l’apothicaire.

    Le lendemain, on réunissait les voisins, le maire et puis l’instituteur pour transcrire l’ordonnance. L’un dit : « C’est du latin ». L’autre dit : « C’est du grec ». Personne ne connaissait ce langage et ne voulait prendre la responsabilité de le transcrire. Comment faire ? Grand embarras. C’est le maire qui a eu la bonne idée : Dépendez la porte et portez-la chez l’apothicaire.

    On met la porte sur une brouette qui râlait tout le long de la route faute de graisse et voici notre homme qui arrive chez l’apothicaire et le met au courant de l’affaire.

    En riant sous cape, se mordant les lèvres pour ne pas éclater, l’apothicaire donne la potion en disant de remporter l’ordonnance.  « Je ne saurais, je suis épuisé de l’avoir amenée, j’enverrai quelqu’un de plus fort que moi pour la prendre. Je cours vite soulager ma femme. »

    En rentrant il la trouva guérie.

    Personne ne voulut aller chercher la brouette qui resta bien quinze jours dans la pharmacie pour faire rire les gens de Beaucours.

                                           Pierre Mathiot ( L’homme de là-bas)

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    Les sages de l’Orient apportèrent l’or, l’encens et la myrrhe pure.

    Le premier est Gaspar.

    Derrière lui est agenouillé Melchior.

    Derrière eux, il y a le Maure, le noir Balthazar.

    Cependant, une vieille légende raconte que, lorsque vous viviez sur la terre, et que vous avez fait votre pèlerinage à Bethléem, arrivés dans l’étable, vous avez déposé vos trésors devant l’Enfant et sa Mère, mais que l’Enfant n’a pas voulu sourire. Marie était honorée par l’encens, qui brûlait comme elle l’avait vu brûler dans le temple de Jérusalem où elle avait passé sa jeunesse, et, les yeux pleins de larmes, elle cacha la myrrhe dans son sein.

    L’enfant ne tendit pas ses petites mains vers l’or éclatant ; la fumée le fit tousser ; et il se détourna de la myrrhe.

    Les trois saints rois se relevèrent et prirent congé, avec le sentiment des gens qui n’ont pas été appréciés selon leur mérite.

    Quand la tête et le cou de leurs dromadaires eurent disparu derrière les montagnes, quand le dernier tintement de leur harnais eut expiré sur la route de Jérusalem, alors parut le quatrième roi, Artaban.

    Sa patrie était le Pays que baigne le Golfe Persique ; il en avait apporté trois perles précieuses. Il devait les donner au roi qui était né à l’Occident, et dont lui aussi avait vu l’étoile un soir dans la roseraie de Shiraz.

    Il s’était levé et avait tout abandonné.

    Le roi de Perse prit son trésor le plus rare, ses trois perles blanches qui étaient aussi grosses que des œufs de pigeon ; il les mit dans sa ceinture et résolut de chercher le lieu au-dessus duquel brillait l’étoile.

     

    Il le découvrit... mais il arriva trop tard. Les trois autres rois étaient venus, et ils étaient partis. Il arrivait trop tard... et les mains vides... il n’avait plus de perles.

     

    Il ouvrit lentement les portes de l’étable où se trouvait le Fils de Dieu. Le jour tombait, l’étable devenait sombre ; une légère odeur d’encens flottait encore comme dans une église après les vêpres. Joseph retournait la paille de la crèche pour la nuit, l’Enfant Jésus était sur les genoux de sa mère. Elle le berçait doucement et, à mi-voix, chantait une de ces berceuses qu’on entend le soir quand on se promène dans les rues de Bethléem.

     

    Lentement, en hésitant, le roi de Perse s’avança puis il se jeta aux pieds de l’Enfant et de sa mère. Lentement, en hésitant, il commença à parler :

     

    Seigneur, dit-il, je viens à part des autres rois qui t’ont tous rendu hommage et dont tu as reçu les dons. J’avais aussi une offrande pour toi, trois perles précieuses, grosses comme un œuf de pigeon, trois vraies perles de la Mer Persique.

     

    Je ne les ai plus.

    Je suis venu à part des trois autres rois. Ils marchaient devant moi sur leurs dromadaires ; je suis resté en arrière dans une hôtellerie sur le bord du chemin. J’ai eu tort. Le vin me tentait, un rossignol chantait et me rappela Shiraz... J’ai décidé d’y passer la nuit. Quand j’entrai dans la salle des voyageurs, j’aperçus un vieillard tremblant de fièvre étendu sur le banc du poêle. Nul ne savait qui il était. Sa bourse était vide ; il n’avait pas d’argent pour payer le médecin et les soins qui lui étaient nécessaires. Il devait être jeté dehors le lendemain s’il mourait auparavant, le pauvre !

     

    Seigneur, c’était un homme très vieux, brun et sec, avec une barbe blanche embroussaillée ; il me rappelait mon père. Seigneur, pardonne-moi, j’ai pris une perle dans ma ceinture et l’ai donnée à l’aubergiste, pour qu’il lui procure un médecin et lui assure les soins et, s’il mourait, une tombe en terre bénie.

     

    Le lendemain je suis reparti. Je poussais mon âne autant que possible afin de rejoindre les trois autres rois. Leurs dromadaires avançaient lentement, et j’avais l’espoir de les atteindre. Le chemin suivait une vallée déserte où d’énormes rochers se dressaient épars entre le taillis de térébinthes et de genêts en fleurs d’or. Soudain, j’ai entendu des cris venant d’un fourré. Je sautai de ma monture et trouvai des soldats qui s’étaient emparés d’une jeune femme et s’apprêtaient à lui faire violence. Ils étaient trop nombreux, je ne pouvais songer à me battre avec eux. Oh ! Seigneur, pardonne-moi encore cette fois ; je mis la main à ma ceinture, pris ma seconde perle et achetai sa délivrance. Elle me baisa les mains et s’enfuit dans les montagnes avec la rapidité d’un chevreuil.

     

    A présent il ne me restait plus qu’une perle, mais au moins je voulais te l’apporter, Seigneur !

    Il était plus de midi. Avant le soir je pouvais être à Bethléem à tes pieds. Alors je vis une petite ville à laquelle les soldats d’Hérode avaient mis le feu et qui brûlait. On ne pouvait presque pas distinguer les flammes dans l’éclatante lumière du soleil, mais on voyait l’air trembler comme il tremble dans le désert.

     

    Je m’approchai et trouvai des soldats exécutant les ordres d’Hérode et tuant tous les garçons de deux ans et au-dessous. Près d’une maison en feu, un grand soldat balançait un petit enfant nu qu’il tenait par une jambe. L’enfant criait et se débattait.

    Le soldat disait :

    « Maintenant, je le lâche, disait-il à la mère, et il va tomber dans le feu. Il fera un bon rôti de cochon ».

    La mère poussa un cri perçant. Seigneur, pardonne-moi ! Je pris ma dernière perle et la donnai au soldat pour qu’il rendit l’enfant à sa mère. Il le lui rendit ; elle le saisit, le pressa contre elle, ne dit pas merci, mais s’enfuit, tel un chien qui a trouvé un os.

     

    Seigneur, c’est pourquoi me voilà les mains vides. Pardonne-moi, pardonne.

     

    Le silence régna dans l’étable quand le roi eut achevé sa confession. Pendant un instant il resta le front appuyé contre le sol ; enfin il osa lever les yeux. Joseph avait fini de retourner la paille et s’était approché. Marie regardait son fils qui était contre son sein.

    Dormait-il ?

    Non, l’Enfant-Jésus ne dormait pas. Lentement, il se tourna vers le roi de Perse. Son visage rayonnait ; il étendit ses deux petites mains vers les mains vides. Et l’Enfant Jésus sourit.

    Source

     

    Le 4è Mage

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    Le conte des trois arbres

    Il était une fois en haut d’une montagne, trois beaux petits arbres habités chacun par un très grand rêve.

    Le premier arbre regardait souvent les étoiles

    « Comme elles brillent, disait-il, on dirait de vrais diamants. Quand je voudrais habiter une pierre brillante comme une étoile. Voilà je serai le plus beau coffre à trésor du monde. »

    Le deuxième arbre regardait souvent la rivière tout en bas. Elle aussi brillait au clair de lune. Mais lui rêvait surtout de l’océan.

    « Un jour, dit-il, je voudrais naviguer sur l’océan et transporter des rois très puissants. Je serai le voilier le plus fort du monde. »

    Le troisième petit arbre regardait tantôt la vallée, tantôt le ciel.

    « Moi, plus tard, dit-il, je ne veux pas quitter cette montagne mais je veux grandir si haut que lorsque les gens lèveront les yeux pour me regarder, ils penseront à Dieu. Oui je serai le plus grand arbre du monde. »  

     

    Les années passèrent, les printemps se multiplièrent et les petits arbres devinrent grands.  

    Et un jour trois bûcherons gravirent la montagne.

    Le premier bûcheron regardait le premier arbre et dit :

    « Il est très beau, voilà ce qu’il me faut. »

    « Enfin, s’exclama le premier arbre, je vais bientôt abriter un trésor. »

    Le deuxième bûcheron regarda le deuxième arbre et dit :

    « Il est très fort. Voilà ce qu’il me faut. »

    « Ouf, ce n’est pas trop tôt, s’exclama le second arbre, je vais bientôt naviguer et transporter des rois tout-puissants. »

    Le troisième bûcheron regarda le troisième arbre et dit :

    « Il est très élancé, voilà ce qu’il me faut. »

    « Quelle pitié, pensa le troisième arbre. » et il se mit à bouder.

     

    Le premier arbre fut vraiment très joyeux lorsque le bûcheron l’apporta chez le charpentier. Pensez donc, un coffre à trésor. Mais le charpentier en fit une mangeoire pour les animaux…

    Le deuxième arbre était tout sourire quand le bûcheron l’emmena au chantier naval. A nous les océans. Mais les ouvriers en firent un petit bateau de pêche juste bon à transporter les poissons du lac.

    Le troisième arbre était encore plus morose quand le bûcheron le laissa chez lui pour en faire des poutres et les entassait dans la cour.

    « Qu’ai-je donc fait au bon Dieu moi qui ne demandait qu’une chose : rester sur la montagne et me rapprocher de lui. »

    Bien des jours s’écoulèrent et bien des nuits et les rêves des petits arbres s’éloignèrent au fil des saisons…

     

    Pourtant une nuit, le premier arbre fut réveillé lorsqu’une jeune femme déposa son nouveau-né dans la mangeoire…  

    « J’aurais bien aimé lui faire un berceau » disait l’homme.

    Mais la mère répondit : « Ne te tracasse pas. Cette mangeoire est magnifique. »

    Et comme une étoile éclairait la mangeoire de tout son éclat, le premier petit arbre sut qu’il renfermait le plus grand trésor du monde.

    Une autre nuit, bien des années plus tard, un étrange passager s’assit dans une vieille barque au milieu des pêcheurs. Et il s’était endormi, lorsqu’un violent orage éclata. Le petit arbre, qui pourtant en avait vu d’autres, croyait bien sa dernière heure arrivée, lorsque le passager s’éveilla, se leva et tendit les bras vers la mer. Et comme la tempête se calmait aussitôt le second petit arbre sut qu’il transportait le plus grand roi du monde.

    A quelques temps de là, un vendredi, le troisième arbre, toujours inconsolable, fut très étonné qu’on vienne retirer ses poutres de la pile de bois. Mais quelle désagréable sensation de traverser la ville sous des huées. Et bien pire encore, de sentir qu’on cloue sur vous les mains et les pieds d’un homme. Pendant deux jours il n’en dormit pas. Mais quelle ne fut pas son étonnement lorsqu’au petit matin du dimanche, un rameau fleurissait au croisement de ses bras.

    Le troisième arbre sut qu’il était grand et que personne au monde n’avait été aussi proche de Dieu.

     

    https://www.youtube.com/watch?v=lQ7oVAcWkv8

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  • Résultat de recherche d'images pour "le sapin dessin animé conte d'andersen"

     

    Voilà un conte qui nous raconte l'histoire d'un petit sapin jamais content de ce qu'il a et toujours à la quête d'un mieux. Il était tellement insatisfait qu'il en a oublié de regarder autour de lui... et de profiter du temps présent.

     

    https://www.youtube.com/watch?v=iqKQomEMS7A

     

    Là-bas, dans la forêt, il y avait un joli sapin. Il était bien placé, il avait du soleil et de l'air ; autour de lui poussaient de plus grands camarades, pins et sapins. Mais lui était si impatient de grandir qu'il ne remarquait ni le soleil ni l'air pur, pas même les enfants de paysans qui passaient en bavardant lorsqu'ils allaient cueillir des fraises ou des framboises.
    « Oh ! si j'étais grand comme les autres, soupirait le petit sapin, je pourrais étendre largement ma verdure et, de mon sommet, contempler le vaste monde. Les oiseaux bâtiraient leur nid dans mes branches et, lorsqu'il y aurait du vent, je pourrais me balancer avec grâce comme font ceux qui m'entourent. »
    Le soleil ne lui causait aucun plaisir, ni les oiseaux, ni les nuages roses qui, matin et soir, naviguaient dans le ciel au-dessus de sa tête.
    L'hiver, lorsque la neige étincelante entourait son pied de sa blancheur, il arrivait souvent qu'un lièvre bondissait, sautait par-dessus le petit arbre - oh ! que c'était agaçant ! Mais, deux hivers ayant passé, quand vint le troisième, le petit arbre était assez grand pour que le lièvre fût obligé de le contourner. Oh ! pousser, pousser, devenir grand et vieux, c'était là, pensait-il, la seule joie au monde.
    En automne, les bûcherons venaient et abattaient quelques-uns des plus grands arbres. Cela arrivait chaque année et le jeune sapin, qui avait atteint une bonne taille, tremblait de crainte, car ces arbres magnifiques tombaient à terre dans un fracas de craquements.
    Où allaient-ils ? Quel devait être leur sort ?
    Au printemps, lorsque arrivèrent l'hirondelle et la cigogne, le sapin leur demanda :
    - Savez-vous où on les a conduits ? Les avez-vous rencontrés ?
    Les hirondelles n'en savaient rien, mais la cigogne eut l'air de réfléchir, hocha la tête et dit :
    - Oui, je crois le savoir, j'ai rencontré beaucoup de navires tout neufs en m'envolant vers l'Egypte, sur ces navires il y avait des maîtres-mâts superbes, j'ose dire que c'étaient eux, ils sentaient le sapin.
    - Oh ! si j'étais assez grand pour voler au-dessus de la mer ! Comment est-ce au juste la mer ? A quoi cela ressemble-t-il ?
    - Euh ! c'est difficile à expliquer, répondit la cigogne.
    Et elle partit.
    - Réjouis-toi de ta jeunesse, dirent les rayons du soleil, réjouis-toi de ta fraîcheur, de la jeune vie qui est en toi.
    Le vent baisa le jeune arbre, la rosée versa sur lui des larmes, mais il ne les comprit pas.
    Quand vint l'époque de Noël, de tout jeunes arbres furent abattus, n'ayant souvent même pas la taille, ni l'âge de notre sapin, lequel, sans trêve ni repos, désirait toujours partir. Ces jeunes arbres étaient toujours les plus beaux, ils conservaient leurs branches, ceux-là, et on les couchait sur les charrettes que les chevaux tiraient hors de la forêt.
    - Où vont-ils? demanda le sapin, ils ne sont pas plus grands que moi, il y en avait même un beaucoup plus petit. Pourquoi leur a-t-on laissé leur verdure?
    - Nous le savons, nous le savons, gazouillèrent les moineaux. En bas, dans la ville, nous avons regardé à travers les vitres, nous savons où la voiture les conduit. Oh ! ils arrivent au plus grand scintillement, au plus grand honneur que l'on puisse imaginer. A travers les vitres, nous les avons vus, plantés au milieu du salon chauffé et garnis de ravissants objets, pommes dorées, gâteaux de miel, jouets et des centaines de lumières.
    - Suis-je destiné à atteindre aussi cette fonction ? dit le sapin tout enthousiasmé. C'est encore bien mieux que de voler au-dessus de la mer. Je me languis ici, que n'est-ce déjà Noël ! Je suis aussi grand et développé que ceux qui ont été emmenés l'année dernière. Je voudrais être déjà sur la charrette et puis dans le salon chauffé, au milieu de ce faste. Et, ensuite ... il arrive sûrement quelque chose d'encore mieux, de plus beau, sinon pourquoi nous décorer ainsi. Cela doit être quelque chose de grandiose et de merveilleux ! Mais quoi ?... Oh ! je m'ennuie ... je languis ...
    - Sois heureux d'être avec nous, dirent l'air et la lumière du soleil. Réjouis-toi de ta fraîche et libre jeunesse.
    Mais le sapin n'arrivait pas à se réjouir. Il grandissait et grandissait. Hiver comme été, il était vert, d'un beau vert foncé et les gens qui le voyaient s'écriaient : Quel bel arbre !
    Avant Noël il fut abattu, le tout premier. La hache trancha d'un coup, dans sa moelle ; il tomba, poussant un grand soupir, il sentit une douleur profonde. Il défaillait et souffrait.
    L'arbre ne revint à lui qu'au moment d'être déposé dans la cour avec les autres. Il entendit alors un homme dire :
    - Celui-ci est superbe, nous le choisissons.
    Alors vinrent deux domestiques en grande tenue qui apportèrent le sapin dans un beau salon. Des portraits ornaient les murs et près du grand poêle de céramique vernie il y avait des vases chinois avec des lions sur leurs couvercles. Plus loin étaient placés des fauteuils à bascule, des canapés de soie, de grandes tables couvertes de livres d'images et de jouets ! pour un argent fou - du moins à ce que disaient les enfants.
    Le sapin fut dressé dans un petit tonneau rempli de sable, mais on ne pouvait pas voir que c'était un tonneau parce qu'il était enveloppé d'une étoffe verte et posé sur un grand tapis à fleurs ! Oh ! notre arbre était bien ému ! Qu'allait-il se passer ?
    Les domestiques et des jeunes filles commencèrent à le garnir. Ils suspendaient aux branches de petits filets découpés dans des papiers glacés de couleur, dans chaque filet on mettait quelques fondants, des pommes et des noix dorées pendaient aux branches comme si elles y avaient poussé, et plus de cent petites bougies rouges, bleues et blanches étaient fixées sur les branches. Des poupées qui semblaient vivantes - l'arbre n'en avait jamais vu - planaient dans la verdure et tout en haut, au sommet, on mit une étoile clinquante de dorure.
    C'était splendide, incomparablement magnifique.
    - Ce soir, disaient-ils tous, ce soir ce sera beau.
    « Oh ! pensa le sapin, que je voudrais être ici ce soir quand les bougies seront allumées ! Que se passera-t-il alors ? Les arbres de la forêt viendront-ils m'admirer ? Les moineaux me regarderont-ils à travers les vitres ? Vais-je e rester ici, ainsi décoré, l'hiver et l'été ? »
    On alluma les lumières. Quel éclat ! Quelle beauté ! Un frémissement parcourut ses branches de sorte qu'une des bougies y mit le feu : une sérieuse flambée.
    - Mon Dieu ! crièrent les demoiselles en se dépêchant d'éteindre.
    Le pauvre arbre n'osait même plus trembler. Quelle torture ! Il avait si peur de perdre quelqu'une de ses belles parures, il était complètement étourdi dans toute sa gloire ... Alors, la porte s'ouvrit à deux battants, des enfants en foule se précipitèrent comme s'ils allaient renverser le sapin, les grandes personnes les suivaient posément. Les enfants s'arrêtaient - un instant seulement -, puis ils se mettaient à pousser des cris de joie - quel tapage ! - et à danser autour de l'arbre. Ensuite, on commença à cueillir les cadeaux l'un après l'autre.
    « Qu'est-ce qu'ils font ? se demandait le sapin. Qu'est-ce qui va se passer ? »
    Les bougies brûlèrent jusqu'aux branches, on les éteignait à mesure, puis les enfants eurent la permission de dépouiller l'arbre complètement. Ils se jetèrent sur lui, si fort, que tous les rameaux en craquaient, s'il n'avait été bien attaché au plafond par le ruban qui fixait aussi l'étoile, il aurait été renversé.
    Les petits tournoyaient dans le salon avec leurs jouets dans les bras, personne ne faisait plus attention à notre sapin, si ce n'est la vieille bonne d'enfants qui jetait de-ci de-là un coup d'œil entre les branches pour voir si on n'avait pas oublié une figue ou une pomme.
    - Une histoire ! une histoire ! criaient les enfants en entraînant vers l'arbre un gros petit homme ventru.
    Il s'assit juste sous l'arbre.
    - Comme ça, nous sommes dans la verdure et le sapin aura aussi intérêt à nous écouter, mais je ne raconterai qu'une histoire. Voulez-vous celle d'Ivède-Avède ou celle de Dumpe-le-Ballot qui roula en bas des escaliers, mais arriva tout de même à s'asseoir sur un trône et à épouser la princesse ?
    L'homme racontait l'histoire de Dumpe-le-Ballot qui tomba du haut des escaliers, gagna tout de même le trône et épousa la princesse. Les enfants battaient des mains. Ils voulaient aussi entendre l'histoire d'Ivède-Avède, mais ils n'en eurent qu'une. Le sapin se tenait coi et écoutait.
    « Oui, oui, voilà comment vont les choses dans le monde », pensait-il. Il croyait que l'histoire était vraie, parce que l'homme qui la racontait était élégant.
    - Oui, oui, sait-on jamais ! Peut-être tomberai-je aussi du haut des escaliers et épouserai-je une princesse !
    Il se réjouissait en songeant que le lendemain il serait de nouveau orné de lumières et de jouets, d'or et de fruits.
    Il resta immobile et songeur toute la nuit.
    Au matin, un valet et une femme de chambre entrèrent.
    - Voilà la fête qui recommence ! pensa l'arbre. Mais ils le traînèrent hors de la pièce, en haut des escaliers, au grenier... et là, dans un coin sombre, où le jour ne parvenait pas, ils l'abandonnèrent.
    - Qu'est-ce que cela veut dire ? Que vais-je faire ici ?
    Il s'appuya contre le mur, réfléchissant. Et il eut le temps de beaucoup réfléchir, car les jours et les nuits passaient sans qu'il ne vînt personne là-haut et quand, enfin, il vint quelqu'un, ce n'était que pour déposer quelques grandes caisses dans le coin. Elles cachaient l'arbre complètement. L'avait-on donc tout à fait oublié ?
    «C'est l'hiver dehors, maintenant, pensait-il. La terre est dure et couverte de neige. On ne pourrait même pas me planter ; c'est sans doute pour cela que je dois rester à l'abri jusqu'au printemps. Comme c'est raisonnable, les hommes sont bons ! Si seulement il ne faisait pas si sombre et si ce n'était si solitaire ! Pas le moindre petit lièvre. C'était gai, là-bas, dans la forêt, quand sur le tapis de neige le lièvre passait en bondissant, oui, même quand il sautait par-dessus moi ; mais, dans ce temps-là, je n'aimais pas ça. Quelle affreuse solitude, ici ! »
    « Pip ! pip ! » fit une petite souris en apparaissant au même instant, et une autre la suivait. Elles flairèrent le sapin et furetèrent dans ses branches.
    - Il fait terriblement froid , dit la petite souris. Sans quoi on serait bien ici, n'est-ce pas, vieux sapin?
    - Je ne suis pas vieux du tout, répondit le sapin. Il en y a beaucoup de bien plus vieux que moi.
    - D'où viens-tu donc ? demanda la souris, et qu'est-ce que tu as à raconter ?
    Elles étaient horriblement curieuses.
    - Parle-nous de l'endroit le plus exquis de la terre. Y as-tu été ? As-tu été dans le garde-manger ?
    - Je ne connais pas ça, dit l'arbre, mais je connais la forêt où brille le soleil, où l'oiseau chante.
    Et il parla de son enfance. Les petites souris n'avaient jamais rien entendu de semblable. Elles écoutaient de toutes leurs oreilles.
    - Tu en as vu des choses ! Comme tu as été heureux !
    - Moi ! dit le sapin en songeant à ce que lui-même racontait. Oui, au fond, c'était bien agréable.
    Mais, ensuite, il parla du soir de Noël où il avait été garni de gâteaux et de lumières.
    - Oh ! dirent encore les petites souris, comme tu as été heureux, vieux sapin.
    - Mais je ne suis pas vieux du tout, ce n'est que cet hiver que j'ai quitté ma forêt ; je suis dans mon plus bel âge, on m'a seulement replanté dans un tonneau.
    - Comme tu racontes bien, dirent les petites souris.
    La nuit suivante, elles amenèrent quatre autres souris pour entendre ce que l'arbre racontait et, à mesure que celui-ci parlait, tout lui revenait plus exactement.
    « C'était vraiment de bons moments, pensait-il. Mais ils peuvent revenir, ils peuvent revenir ! Dumpe-le-Ballot est tombé du haut des escaliers, mais il a tout de même eu la princesse ; peut-être en aurai-je une aussi. »
    Il se souvenait d'un petit bouleau qui poussait là-bas, dans la forêt, et qui avait été pour lui une véritable petite princesse.
    - Qui est Dumpe-le-Ballot ? demandèrent les petites souris.
    Alors le sapin raconta toute l'histoire, il se souvenait de chaque mot ; un peu plus, les petites souris grimpaient jusqu'en haut de l'arbre, de plaisir.
    La nuit suivante, les souris étaient plus nombreuses encore, et le dimanche il vint même deux rats, mais ils déclarèrent que le conte n'était pas amusant du tout, ce qui fit de la peine aux petites souris ; de ce fait, elles-mêmes l'apprécièrent moins.
    - Eh bien , merci, dirent les rats en rentrant chez eux. Les souris finirent par s'en aller aussi, et le sapin soupirait.
    - C'était un vrai plaisir d'avoir autour de moi ces petites souris agiles, à écouter ce que je racontais. C'est fini, ça aussi, mais maintenant, je saurai goûter les plaisirs quand on me ressortira. Mais quand ?
    Ce fut un matin, des gens arrivèrent et remuèrent tout dans le grenier. Ils déplacèrent les caisses, tirèrent l'arbre en avant. Bien sûr, ils le jetèrent un peu durement à terre, mais un valet le traîna vers l'escalier où le jour éclairait.
    «Voilà la vie qui recommence », pensait l'arbre, lorsqu'il sentit l'air frais, le premier rayon de soleil ... et le voilà dans la cour.
    Tout se passa si vite ! La cour se prolongeait par un jardin en fleurs. Les roses pendaient fraîches et odorantes par-dessus la petite barrière, les tilleuls étaient fleuris et les hirondelles voletaient en chantant : « Quivit, quivit, mon homme est arrivé ! » Mais ce n'était pas du sapin qu'elles voulaient parler.
    - Je vais revivre, se disait-il, enchanté, étendant largement ses branches. Hélas ! elles étaient toutes fanées et jaunies. L'étoile de papier doré était restée fixée à son sommet et brillait au soleil... Dans la cour jouaient quelques enfants joyeux qui, à Noël, avaient dansé autour de l'arbre et s'en étaient réjouis. L'un des plus petits s'élança et arracha l'étoile d'or.
    - Regarde ce qui était resté sur cet affreux arbre de Noël, s'écria-t-il en piétinant les branches qui craquaient sous ses souliers.
    L'arbre regardait la splendeur des fleurs et la fraîche verdure du jardin puis, enfin, se regarda lui-même. Comme il eût préféré être resté dans son coin sombre au grenier ! Il pensa à sa jeunesse dans la forêt, à la joyeuse fête de Noël, aux petites souris, si heureuses d'entendre l'histoire de Dumpe-le- Ballot.
    « Fini ! fini ! Si seulement j'avais su être heureux quand je le pouvais. »
    Le valet débita l'arbre en petits morceaux, il en fit tout un grand tas qui flamba joyeusement sous la chaudière. De profonds soupirs s'en échappaient, chaque soupir éclatait. Les enfants qui jouaient au-dehors entrèrent s'asseoir devant le feu et ils criaient : Pif ! Paf ! à chaque craquement, le sapin, lui, songeait à un jour d'été dans la forêt ou à une nuit d'hiver quand les étoiles étincellent. Il pensait au soir de Noël, à Dumpe-le-Ballot, le seul conte qu'il eût jamais entendu et qu'il avait su répéter... et voilà qu'il était consumé ...
    Les garçons jouaient dans la cour, le plus jeune portait sur la poitrine l'étoile d'or qui avait orné l'arbre au soir le plus heureux de sa vie. Ce soir était fini, l'arbre était fini, et l'histoire, aussi, finie, finie comme toutes les histoires.

     

     

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    Il y a des années bénies des dieux et qui cependant font le désespoir du paysan. J’en veux pour exemple celle qui égrène ses jours en même temps que je parlote avec vous. A mon âge, on ne voit plus guère loin, à peine si je distingue le bout de mes croquenots. Aussi bien, c’est bien suffisant pour voir ce que l’on voit de nos jours. J’entre à petits pas dans la nuit, sans regrets. Souventes fois, mon voisin qui ne parle que par proverbes me conseille :

    - Bougre de toi ! Va-t-en donc consulter Sainte Claire de la chapelle des Cerneux, elle s’y entend pour les maux d’yeux.

    Que voulez-vous, la vieillesse a ses misères qui sont quelquefois des privilèges. Le Bon Dieu a pensé toute chose, pour le pas du cheval, il a créé la lanterne et pour la voiture automobile, le phare ! C’est-y pas une preuve, ça !

    La jeunesse, elle, court le monde, besille comme un troupeau de génisses qui a des mouches, à la recherche d’un ailleurs qui en définitive, n’est pas différent de notre chez nous. On n’arrive à rien en courant après tout, c’est bien connu. Alors, je chemine en « mon par dedans » le long des haies de mon enfance retrouvant les parfums d’un temps évanoui où la sagesse et le respect faisaient qu’on vivait en harmonie avec la nature. Le paysan d’aujourd’hui ne voit dans la nature qu’un outil à extraire des bénéfices, il n’est plus le gardien de la terre et des traditions, il est devenu une grosse barrique qui roule, qui roule en écarbouillant tout sur son passage. Notre époque, foncièrement matérialiste défriche autant les esprits que la campagne.

    Où en étais-je ? Je me pose la question et c’est ma Victorine qui me remet sur la droite route.

    - ça fait une bonne heure que t’asticote les paysans, à croire que tu ne l’as jamais été ! Tu vas faire tant bien qu’on ne pourra plus sortir de chez nous. Déjà que la femme du Chioni me regarde de travers ! De t’entendre, j’en ai la tête tout élourdie !

    Je file doux dans mes pensées et ma Victorine, soulagée, s’en va gratter au jardin. Mon voisin dirait :

    - La femme comme l’écho doit répondre dès qu’on l’interroge, mais ne doit pas comme l’écho, avoir toujours le dernier mot ;

    L’hiver qui était entré en mouton est ressorti en loup. A Noël les flocons n’étaient que moucherons, ce qui faisait dire : si l’hiver ne se fait pas,  l’année à venir sera des plus catastrophiques. Les rates mangeront tous les champs. D’un coup au moitan de janvier, la neige a effacé le paysage : elle a gommé les murgers, les clôtures, les haies et transformé les pré-bois en une armée de fantômes. On para au plus pressé en ouvrant de petites tranchées jusqu’aux boîtes aux lettres, histoire de ne pas se couper du monde. Mais tout le monde était logé à la même enseigne. Comme je me faisais du mouron pour ma toiture, mon voisin trouva le proverbe rassurant :

    - T’en fais donc pas l’Honorin, quand il neige large, il ne neige pas haut.

    Ce fut un véritable hiver d’antan et croyez-moi, les pelles furent tout à fait dérouillées. Chaque matin, on décombrait la neige de la nuit et on se retrouvait sur la grand-route, pour parler su temps, le menton sur le moignon de la pelle.

    - Année neigeuse, année fructueuse.

    On retrouvait le sourire.

    - Pardi, faut que l’hiver se fasse et croyez-moi, vaut mieux voir un loup sur son tas de fumier en février qu’une vache au pré.

    On pitonnait dans nos tranchées en se hélant joyeusement. On était revenu cinquante ans en arrière, du temps qu’on tirait le diable par la queue et qu’on avait besoin des mains des voisins. La concorde régnait au hameau et du coup furent oubliées les petites querelles de voisinage qui se transforment vite en haines tenaces, si on n’y prend garde. La Célénie finit par rapatasser ses pantets que le chien de l’Auguste avait déniappé, le Nan-Nan ne parla plus guère du taureau de Daidai que ce gouilland laissait baguenauder et qui sautait murs et barres et… il régna alors une grande sérénité, une vraie fraternité depuis longtemps rangée au clou des souvenirs qui fit, qu’en cette période de concorde, on était plus pendu à la péclette du voisin qu’à la queue de ses vaches. On suça notre graisse au chaudot des poêles de la Clélie, de la Célénie, de la Zélie à jouer aux cartes et à refaire un monde meilleur.

    Toutes les bonnes choses ont une fin, les jeunes eurent vite des fourmis dans les jambes. Nous les vieux, on aurait bien continué de cirer les chaises des unes et des autres mais à force de seriner qu’ils n’auraient plus le temps de semer le fumier et le purin, les jeunes mirent le brondon à tous et tout un chacun regagna ses pénates pour rebeuiller derrière le carreau.

    Ce fut alors une vraie sarabande de tracteurs, d’épandeurs et de cuves à lisier : le sabbat que préside le diable dans la forêt des Tennes au Rocher des Sorcières mène moins de boucan ! Ce ne fut que patinage, glissade, accrochage, tire-bouille, emmârage et j’en passe, sans oublier les litanies des jurons qu’on se serait cru aux Rogations. Ils patassèrent, rebaussèrent et tripèrent ainsi quelques jours entre leurs tracteurs et l’écurie où le vêlage des vaches avait repris, ce qui faisait dire à mon voisin :

    - Ces paysans, tout de même à part semer leur merde et tirer au cul, je me demande ce qu’ils font.

    Ne répéter pas ce j’écris à ma Victorine et dites-lui bien que ces paroles-là n’engage que mon voisin et que  bien évidemment je ne les partage pas, mais tout de même , c’est une pierre qui va bien à ma faux.

    Derrière mon carreau, j’ai compté les chevaux à la disposition du jeune au Nan-nan, sacré charogne, il ne se mouche pas dans ses doigts. Nom de tonnerre, cent cinquante chevaux pour soixante quinze hectares et si je m’empâture pas dans les retenues, ça fait deux chevaux pour un hectare et moi qui ai tenu ma ferme avec deux chevaux pour quinze hectares, mais deux Comtois, pas des haridelles américains ! C’est quand même vrai qu’ils ont bon temps !

    Quand ils eurent bien tout tripé, l’hiver a reviré d’un coup et le printemps montra le bout de ses pousses. Même le coucou en eut le bec cloué ! Le temps s’immobilisa dans une douceur printanière et  à nouveau les tracteurs freguillèrent. On hersa, on barra, on lâcha les vaches. L’année avait un mois d’avance. Chez nous, ce n’est pas normal, on n’a pas l’habitude de reboucher du vieux foin :

    - Réserve du foin pour la neige du coucou.

    Mais cette année avait décidé de faire fi des proverbes de mon voisin et un temps à ravir les anges s’installa. On ne savait plus que faire d’autant plus, qu’une chaleur du feu de Dieu tapait dur et commençait à assécher les ruisseaux. La terre se craquelait et l’herbe ne poussait plus. On commençait par déchanter. De dépit, le grand du Firmin mit au fourneau Le Messager Boiteux qui annonçait un printemps pluvieux. C’est alors qu’on parla de la grande sécheresse de 1893 et de son cortège d’horreurs : les hommes tombaient comme des mouches, le feu dans la tête, on devait abattre des troupeaux entiers qui bramaient devant des râteliers vides, partout le sec.

    - Lâ-moi, qu’allons-nous devenir ?

    Ils se lamentèrent mais que pouvions-nous y faire. On ne peut pas aller contre le temps, à moins de poser une réclamation auprès du bureau de Dieu ! Ils s’enfermèrent devant leur ordinateur et eurent tout le loisir de remplir leurs demandes de subventions : mieux vaut tenir que courir. On a plus de chance d’être entendu par le gouvernement que par Dieu. Quoique. Mon voisin qui en connaît des vertes et des pas mûres m’a raconté l’autre jour qu’en 1893 la misère était si grande et la religion si puissante, qu’on avait organisé une procession dans les champs de la commune en grande pompe, et même qu’il fallut allonger le pas au retouur, un orage grondait déjà derrière le bois.

    A ce propos, mon voisin qui ne passe pas pour un saint, loin s’en faut, refait l’histoire à sa façon :

    - C’est au retour de cette procession mémorable que se passa le drame.

    Je fis l’âne pour avoir du son

    - Le drame ? Je croyais que Dieu avait intercédé en faveur des paysans.

    - Certes, Monsieur le curé était un saint homme, il ne vivait que pour sa religion et pour tous, il était l’exemple à suivre et tu sais à cette époque par chez nous, on ne badinait pas avec les principes. On ne couchait pas avec sa femme pour la bagatelle, mais pour faire de bons chrétiens :

    - Prenez, Marie, la position agréable à Dieu, nous allons faire un bon chrétien.

    Il le dit sans rire, çà doit pour sûr être vrai.

    Donc, Monsieur le curé qui était bon comme du bon pain et aussi innocent sur les choses de la vie qu’un nouveau-né, avait invité les servants de messe, les porteurs de croix et de dais ainsi que les thuriféraires et j’en passe, à partager son repas : une choucroute maison. Sitôt la messe dite, tout ce petit monde partit s’installer à la cure et attendait le bénédicité. Monsieur le Curé, après avoir accueilli ses hôtes alla faire un tour à la cuisine : il aimait ce moment où soulevant le couvercle des casseroles, il humait le fumet des plats que sa bonne, la Marthe lui mitonnait. C’était une fameuse cuisinière très appréciée de Monsieur le curé, d’autant plus qu’elle avait l’art d’accommoder les restes pour économiser quelques sous.

    On vit revenir le curé, la mine chafouine. Il n’avait trouvé aucune trace de repas, seulement le fourneau froid. Seigneur Dieu ! On visita les chambres du premier, le bacul de la réserve de bois, les goguenots au fond du jardin, rien, un terrible silence répondait aux appels. Monsieur le Curé priait, le ventre des paroissiens criait famine. C‘est alors que la lumière fut ! Monsieur le curé partit comme un coup de fusil et son cri ne présagea rien de bon. Il revient blanc comme le pantet de sa chemise tout en bégayant :

    - Marthe ! Marthe ! Elle a chu dans les escaliers de la cave et s’est fendue le crâne du haut en bas.

    L’assistance tomba à genoux, les uns se raclant le garguillot, les autres piaunant les saints. Déjà Monsieur le curé arrivait avec les saintes huiles.

    Mais le sacristain qui chantait depuis toujours les enterrements, plus habitué que les autres à la mort était descendu à la cave entre temps et on entendait du bas sa grosse voix de ténor qui suppliait Monsieur le Curé de ne pas descendre. Bientôt, il remonta de la cave en soutenant la bonne du curé sous les aisselles. Elle portait bien à rire, va, avec sa perruque de choucroute sur la tête. On sut le fin mot de l‘histoire, plus tard. Faut dire qu’à cette époque, les femmes ne mettaient pas de culottes et qu’on voulant se pencher sur le tonneau pour y racler la choucroute, notre Marthe, était tombée la tête par-dessus cul dans le tonneau, les jupons relevés…

     

    Pour en revenir à mon propos, que j’ai suspendu le temps de retourner mon jardin, il s’est bien écoulé un mois et de l’eau a coulé sous le pont de Montbéliardot. L’année qui s’annonce est exceptionnelle, l’herbe est si grasse que les paysans ont déjà graissé les faucheuses. Je vais tout de même laisser le dernier mot à mon voisin :

    - On dit que les paysans se plaignent toujours, pas tant que cela, j’ai seulement recensé trois cas où ils demandent des aides, quand la récolte est mauvaise, quand elle est excédentaire et enfin quand elle est normale !

     

                            Honorin Boichot (la Racontotte n°68)

     

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