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La bonne du curé de Honorin Boichot
Il y a des années bénies des dieux et qui cependant font le désespoir du paysan. J’en veux pour exemple celle qui égrène ses jours en même temps que je parlote avec vous. A mon âge, on ne voit plus guère loin, à peine si je distingue le bout de mes croquenots. Aussi bien, c’est bien suffisant pour voir ce que l’on voit de nos jours. J’entre à petits pas dans la nuit, sans regrets. Souventes fois, mon voisin qui ne parle que par proverbes me conseille :
- Bougre de toi ! Va-t-en donc consulter Sainte Claire de la chapelle des Cerneux, elle s’y entend pour les maux d’yeux.
Que voulez-vous, la vieillesse a ses misères qui sont quelquefois des privilèges. Le Bon Dieu a pensé toute chose, pour le pas du cheval, il a créé la lanterne et pour la voiture automobile, le phare ! C’est-y pas une preuve, ça !
La jeunesse, elle, court le monde, besille comme un troupeau de génisses qui a des mouches, à la recherche d’un ailleurs qui en définitive, n’est pas différent de notre chez nous. On n’arrive à rien en courant après tout, c’est bien connu. Alors, je chemine en « mon par dedans » le long des haies de mon enfance retrouvant les parfums d’un temps évanoui où la sagesse et le respect faisaient qu’on vivait en harmonie avec la nature. Le paysan d’aujourd’hui ne voit dans la nature qu’un outil à extraire des bénéfices, il n’est plus le gardien de la terre et des traditions, il est devenu une grosse barrique qui roule, qui roule en écarbouillant tout sur son passage. Notre époque, foncièrement matérialiste défriche autant les esprits que la campagne.
Où en étais-je ? Je me pose la question et c’est ma Victorine qui me remet sur la droite route.
- ça fait une bonne heure que t’asticote les paysans, à croire que tu ne l’as jamais été ! Tu vas faire tant bien qu’on ne pourra plus sortir de chez nous. Déjà que la femme du Chioni me regarde de travers ! De t’entendre, j’en ai la tête tout élourdie !
Je file doux dans mes pensées et ma Victorine, soulagée, s’en va gratter au jardin. Mon voisin dirait :
- La femme comme l’écho doit répondre dès qu’on l’interroge, mais ne doit pas comme l’écho, avoir toujours le dernier mot ;
L’hiver qui était entré en mouton est ressorti en loup. A Noël les flocons n’étaient que moucherons, ce qui faisait dire : si l’hiver ne se fait pas, l’année à venir sera des plus catastrophiques. Les rates mangeront tous les champs. D’un coup au moitan de janvier, la neige a effacé le paysage : elle a gommé les murgers, les clôtures, les haies et transformé les pré-bois en une armée de fantômes. On para au plus pressé en ouvrant de petites tranchées jusqu’aux boîtes aux lettres, histoire de ne pas se couper du monde. Mais tout le monde était logé à la même enseigne. Comme je me faisais du mouron pour ma toiture, mon voisin trouva le proverbe rassurant :
- T’en fais donc pas l’Honorin, quand il neige large, il ne neige pas haut.
Ce fut un véritable hiver d’antan et croyez-moi, les pelles furent tout à fait dérouillées. Chaque matin, on décombrait la neige de la nuit et on se retrouvait sur la grand-route, pour parler su temps, le menton sur le moignon de la pelle.
- Année neigeuse, année fructueuse.
On retrouvait le sourire.
- Pardi, faut que l’hiver se fasse et croyez-moi, vaut mieux voir un loup sur son tas de fumier en février qu’une vache au pré.
On pitonnait dans nos tranchées en se hélant joyeusement. On était revenu cinquante ans en arrière, du temps qu’on tirait le diable par la queue et qu’on avait besoin des mains des voisins. La concorde régnait au hameau et du coup furent oubliées les petites querelles de voisinage qui se transforment vite en haines tenaces, si on n’y prend garde. La Célénie finit par rapatasser ses pantets que le chien de l’Auguste avait déniappé, le Nan-Nan ne parla plus guère du taureau de Daidai que ce gouilland laissait baguenauder et qui sautait murs et barres et… il régna alors une grande sérénité, une vraie fraternité depuis longtemps rangée au clou des souvenirs qui fit, qu’en cette période de concorde, on était plus pendu à la péclette du voisin qu’à la queue de ses vaches. On suça notre graisse au chaudot des poêles de la Clélie, de la Célénie, de la Zélie à jouer aux cartes et à refaire un monde meilleur.
Toutes les bonnes choses ont une fin, les jeunes eurent vite des fourmis dans les jambes. Nous les vieux, on aurait bien continué de cirer les chaises des unes et des autres mais à force de seriner qu’ils n’auraient plus le temps de semer le fumier et le purin, les jeunes mirent le brondon à tous et tout un chacun regagna ses pénates pour rebeuiller derrière le carreau.
Ce fut alors une vraie sarabande de tracteurs, d’épandeurs et de cuves à lisier : le sabbat que préside le diable dans la forêt des Tennes au Rocher des Sorcières mène moins de boucan ! Ce ne fut que patinage, glissade, accrochage, tire-bouille, emmârage et j’en passe, sans oublier les litanies des jurons qu’on se serait cru aux Rogations. Ils patassèrent, rebaussèrent et tripèrent ainsi quelques jours entre leurs tracteurs et l’écurie où le vêlage des vaches avait repris, ce qui faisait dire à mon voisin :
- Ces paysans, tout de même à part semer leur merde et tirer au cul, je me demande ce qu’ils font.
Ne répéter pas ce j’écris à ma Victorine et dites-lui bien que ces paroles-là n’engage que mon voisin et que bien évidemment je ne les partage pas, mais tout de même , c’est une pierre qui va bien à ma faux.
Derrière mon carreau, j’ai compté les chevaux à la disposition du jeune au Nan-nan, sacré charogne, il ne se mouche pas dans ses doigts. Nom de tonnerre, cent cinquante chevaux pour soixante quinze hectares et si je m’empâture pas dans les retenues, ça fait deux chevaux pour un hectare et moi qui ai tenu ma ferme avec deux chevaux pour quinze hectares, mais deux Comtois, pas des haridelles américains ! C’est quand même vrai qu’ils ont bon temps !
Quand ils eurent bien tout tripé, l’hiver a reviré d’un coup et le printemps montra le bout de ses pousses. Même le coucou en eut le bec cloué ! Le temps s’immobilisa dans une douceur printanière et à nouveau les tracteurs freguillèrent. On hersa, on barra, on lâcha les vaches. L’année avait un mois d’avance. Chez nous, ce n’est pas normal, on n’a pas l’habitude de reboucher du vieux foin :
- Réserve du foin pour la neige du coucou.
Mais cette année avait décidé de faire fi des proverbes de mon voisin et un temps à ravir les anges s’installa. On ne savait plus que faire d’autant plus, qu’une chaleur du feu de Dieu tapait dur et commençait à assécher les ruisseaux. La terre se craquelait et l’herbe ne poussait plus. On commençait par déchanter. De dépit, le grand du Firmin mit au fourneau Le Messager Boiteux qui annonçait un printemps pluvieux. C’est alors qu’on parla de la grande sécheresse de 1893 et de son cortège d’horreurs : les hommes tombaient comme des mouches, le feu dans la tête, on devait abattre des troupeaux entiers qui bramaient devant des râteliers vides, partout le sec.
- Lâ-moi, qu’allons-nous devenir ?
Ils se lamentèrent mais que pouvions-nous y faire. On ne peut pas aller contre le temps, à moins de poser une réclamation auprès du bureau de Dieu ! Ils s’enfermèrent devant leur ordinateur et eurent tout le loisir de remplir leurs demandes de subventions : mieux vaut tenir que courir. On a plus de chance d’être entendu par le gouvernement que par Dieu. Quoique. Mon voisin qui en connaît des vertes et des pas mûres m’a raconté l’autre jour qu’en 1893 la misère était si grande et la religion si puissante, qu’on avait organisé une procession dans les champs de la commune en grande pompe, et même qu’il fallut allonger le pas au retouur, un orage grondait déjà derrière le bois.
A ce propos, mon voisin qui ne passe pas pour un saint, loin s’en faut, refait l’histoire à sa façon :
- C’est au retour de cette procession mémorable que se passa le drame.
Je fis l’âne pour avoir du son
- Le drame ? Je croyais que Dieu avait intercédé en faveur des paysans.
- Certes, Monsieur le curé était un saint homme, il ne vivait que pour sa religion et pour tous, il était l’exemple à suivre et tu sais à cette époque par chez nous, on ne badinait pas avec les principes. On ne couchait pas avec sa femme pour la bagatelle, mais pour faire de bons chrétiens :
- Prenez, Marie, la position agréable à Dieu, nous allons faire un bon chrétien.
Il le dit sans rire, çà doit pour sûr être vrai.
Donc, Monsieur le curé qui était bon comme du bon pain et aussi innocent sur les choses de la vie qu’un nouveau-né, avait invité les servants de messe, les porteurs de croix et de dais ainsi que les thuriféraires et j’en passe, à partager son repas : une choucroute maison. Sitôt la messe dite, tout ce petit monde partit s’installer à la cure et attendait le bénédicité. Monsieur le Curé, après avoir accueilli ses hôtes alla faire un tour à la cuisine : il aimait ce moment où soulevant le couvercle des casseroles, il humait le fumet des plats que sa bonne, la Marthe lui mitonnait. C’était une fameuse cuisinière très appréciée de Monsieur le curé, d’autant plus qu’elle avait l’art d’accommoder les restes pour économiser quelques sous.
On vit revenir le curé, la mine chafouine. Il n’avait trouvé aucune trace de repas, seulement le fourneau froid. Seigneur Dieu ! On visita les chambres du premier, le bacul de la réserve de bois, les goguenots au fond du jardin, rien, un terrible silence répondait aux appels. Monsieur le Curé priait, le ventre des paroissiens criait famine. C‘est alors que la lumière fut ! Monsieur le curé partit comme un coup de fusil et son cri ne présagea rien de bon. Il revient blanc comme le pantet de sa chemise tout en bégayant :
- Marthe ! Marthe ! Elle a chu dans les escaliers de la cave et s’est fendue le crâne du haut en bas.
L’assistance tomba à genoux, les uns se raclant le garguillot, les autres piaunant les saints. Déjà Monsieur le curé arrivait avec les saintes huiles.
Mais le sacristain qui chantait depuis toujours les enterrements, plus habitué que les autres à la mort était descendu à la cave entre temps et on entendait du bas sa grosse voix de ténor qui suppliait Monsieur le Curé de ne pas descendre. Bientôt, il remonta de la cave en soutenant la bonne du curé sous les aisselles. Elle portait bien à rire, va, avec sa perruque de choucroute sur la tête. On sut le fin mot de l‘histoire, plus tard. Faut dire qu’à cette époque, les femmes ne mettaient pas de culottes et qu’on voulant se pencher sur le tonneau pour y racler la choucroute, notre Marthe, était tombée la tête par-dessus cul dans le tonneau, les jupons relevés…
Pour en revenir à mon propos, que j’ai suspendu le temps de retourner mon jardin, il s’est bien écoulé un mois et de l’eau a coulé sous le pont de Montbéliardot. L’année qui s’annonce est exceptionnelle, l’herbe est si grasse que les paysans ont déjà graissé les faucheuses. Je vais tout de même laisser le dernier mot à mon voisin :
- On dit que les paysans se plaignent toujours, pas tant que cela, j’ai seulement recensé trois cas où ils demandent des aides, quand la récolte est mauvaise, quand elle est excédentaire et enfin quand elle est normale !
Honorin Boichot (la Racontotte n°68)
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Tags : cure, bonne
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Commentaires
Jolie histoire.
Bonne journée Brigitte.
Christian