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    Samuel prenait le train pour la première fois en compagnie de sa cousine Gabrielle. Ils se rendaient à Berthier pour rendre visite à leur grand-mère

    Au début Samuel était nerveux et il demandait à Gabrielle plein de question mais elle ne lui répondait pas toujours puisqu'elle lisait le dernier livre d'Harry Potter.

    Samuel se mit à regarder les passagers qui arrivaient dans le train.

    Un jeune couple monta dans le train. Il ne restait pas beaucoup de places dans le wagon et l'homme, qui portait une barbe demanda à Samuel si le banc en face de lui était pris et Samuel lui répondit " Oh non monsieur vous pouvez vous asseoir ici " Gabrielle, elle, était toujours plongée dans son livre et n'a même pas levé les yeux vers les nouveaux passagers…Samuel remarqua le gros ventre de la femme du barbu, elle allait avoir un enfant. Il le savait…

    " Merci jeune homme " lui dit le barbu. Samuel regarda la femme qui accompagnait le barbu puis s'endormit…

    Samuel rêvait qu'il faisait route vers Bethléem et qu'il avait croisé Joseph et sa femme Marie en route vers Bethléem

    " Vous allez loin comme cela " leur demandait-il?

    Nous allons à Bethléem et cela ne sera pas facile pour Marie qui est enceinte. La loi nous ordonne d'aller nous inscrire pour le recensement à l'autre bout du pays puisque ma famille vient de Bethléem "

    " Et vous ne pouvez pas attendre un peu avant? " lui dit Samuel

    " On ne peut pas vraiment attendre je pourrais avoir des problèmes après " lui dit Joseph

    " C'est pas juste pour vous dans ce cas-là " lui dit Samuel

    " Que ce soit juste ou pas on doit se rendre à Bethléem " lui dit Joseph

    " Il ne faut pas trop s'en faire lui dit Marie, je suis sûre que nous y arriverons "

    Samuel les regardait s'éloigner en se disant que cela allait leur prendre du temps pour arriver à Bethléem surtout que le petit âne, sur lequel était monté Marie, lui n'allait pas très vite

    Samuel entendit un TCHCHCHCHOU! TCHCHCHCHOU! Et il se réveilla

    Samuel ouvrit les yeux et remarqua l'homme barbu et sa femme qui lui souriait gentiment

    " Tu t'es endormi mon garçon lui dit la femme, tu dois être fatigué "

    Samuel lui a souri et dit " Le bruit que fait le train fait m'endort "

    Il y avait un nouveau passager qui était monté dans le train Samuel le regarde attentivement, C'était un gros homme chauve à l'air souriant…

    Gabrielle était toujours à lire son livre d'Harry Potter

    Samuel se rendormit…

    Il se retrouva à nouveau avec Marie et Joseph cette fois ils étaient arrivés à Bethléem. Ils cherchaient partout un endroit pour se loger mais nulle part il n'y avait de la place. Ils s'assirent au pied d'un puits l'air découragés. C'est alors que le gros homme chauve vient au puits

    " Vous m'avez l'air bien découragés vous deux, auriez-vous perdu quelque chose? "

    " Non lui répondit Joseph mais nous avons cherché un endroit où nous loger sans rien trouver. Ma femme que voici est enceinte et est sur le point d'accoucher "

    "A cause du recensement il y a plein de monde ici à Bethléem, j'ai jamais vu autant de monde ici. Il en vient de partout. Vous d'où venez-vous? "

    " Nous venons de Nazareth vous connaissez? " dit Joseph

    Non pas du tout, c'est où cela? dit le gros homme

    " C'est en Galilée répondit Joseph "

    " Aussi bien dire que c'est au bout du monde…Je comprends que vous soyez si fatigués. Allez je vous amène manger et il ne vous en coûtera pas un sous. Je suis Ozias l'aubergiste "

    Ozias les amena dans son auberge qui était pleine de monde. Ses employés n'arrêtait pas de l'appeler et Ozias était partout à la fois. " Il nous faudrait plus de bois pour le feu " dit un cuisinier " Oui je m'en occupe " dit Ozias

    " Comme vous pouvez le voir leur dit Ozias je suis occupé. Prenez place vous n'avez sûrement pas mangé beaucoup aujourd'hui. Je vais vous préparer un vrai régal "

    Marie et Joseph mangèrent le succulent repas que leur avait préparé Ozias.

    " Qu'en dites-vous? " leur dit-il avec son immense sourire

    " Très bon leur dit Marie "

    " Mais nous cherchons un endroit où loger pour la nuit " dit Joseph

    " Je vais essayer d'arranger cela " dit Ozias

    Un peu après Ozias revient l'air un peu gêné. " Je vous ai trouvé quelque chose mais c'est juste temporaire pour la nuit prochaine. Il y a, pas loin derrière mon auberge, une grotte qui me sert aussi d'entrepôt pour ma marchandise. Je vais y faire ajouter de la paille pour que cela soit plus chaud et aussitôt que j'ai une place de libre ici à l'auberge, elle sera pour vous "

    Ozias s'attendait à ce que Marie et Joseph soient fâchés contre lui mais il fut surpris de les voir sourire. " Au moins c'est un abris dit Joseph "

    Ozias les conduit à la grotte et leur organisa tout ce qu'il fallait pour que Marie et Joseph soient le plus confortablement installés et leur envoya une de ses servantes pour voir à ce qu'ils ne manquent de rien.

    TCHCHCHCHOU! TCHCHCHCHOU!

    Une nouvelle fois Samuel se réveilla au sifflement que faisait le train. Il vit le gros homme de son r êve qui était en réalité un passager du train demander à la femme enceinte si le voyage n'était pas trop fatiguant pour elle

    " Oh non, mais ce jeune homme dit-elle en désignant Samuel n'arrête pas de se réveiller au moindre coup de sifflet du train "

    " Tu fais un long voyage " dit l'homme à Samuel

    " Oui je vais à Berthier " dit Samuel

    " C'est encore loin " lui dit l'homme avec un grand sourire

    Deux autres passagers venaient de monter dans le wagon, tous deux avaient les cheveux très frisés et Samuel se dit : " Ils sont frisés comme de moutons " puis il se rendormit

    Une nouvelle fois il se retrouva à Bethléem dans la grotte qu'occupaient maintenant Marie et Joseph…Un tout petit bébé était dans les bras de Marie " Comme il est beau " dit Marie en le plaçant dans une mangeoire qui remplaçait le berceau où normalement le bébé aurait dû être placé.

    Soudain un groupe d'hommes entrèrent dans la grotte…

    Excusez-nous de vous déranger dit le plus vieux d'entre eux…

    " Entrez, entrez " leur dit Joseph

    Les hommes entrèrent et leur racontèrent ce qui c'était passé au débur de la nuit.

    " Un ange nous est apparu à nous quand nous étions auprès du feu à jaser et il nous a dit qu'ici même un Sauveur nous est né. Vous le reconnaîtrez nous dit-il parce que vous le trouverez couché dans une mangeoire "

    " Mais dit Joseph nous venons tout juste de le placer dans cette mangeoire…comment se fait-il qu'un ange à des kilomètres d'ici pouvait vous en avertir "

    " çà on ne le sait pas reprit un jeune berger mais tout ce que noous savons c'est que les anges nous ont dit de venir ici et que nous les bergers nous les avons écouté parce que nous n'avons pas l'habitude de voir des anges vous pouvez vous en douter "

    Les autres bergers se mirent à rire en entendant cela.

    Un autre berger prit de la laine qu'il portait dans son sac pour en faire une couverture à l'enfant

    " De cette façon il aura plus chaud " dit-il

    Les bergers restèrent un certain temps à regarder Jésus tout en souriant puis les quittèrent

    TCHCHCHCHOU! TCHCHCHCHOU!

    De nouveau Samuel se réveilla en sursaut. Le train arriva une nouvelle fois en gare.

    Samuel qui commençait à lire, essaya de lire le nom de la gare " Be dit-il, c'est la gare de Bethléem "dit-il encore un peu endormi

    " Non lui dit sa cousine Gabrielle en posant son livre ce n'est pas cela. C'est la gare de Berthier. Tu ne sais pas encore lire comme il faut

    Le jeune couple assis en face d'eux débarquèrent aussi à cette gare et avant qu'ils ne quittent le train…le contrôleur leur souhaita un : Joyeux Noël et le sifflet de la locomotive fit de nouveau un

    TCHCHCHCHOU! TCHCHCHCHOU!

    Joyeux Noël à tout le monde

     

                               Pierre-Paul Lafond, Pasteur de l’Église Unie de Bedford / Acton Vale

     

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        Je crois qu’il ne vient que le mercredi. En tout cas, chaque mercredi, je le vois.

        Lui et moi, on ne lit pas les mêmes choses.

        Moi, c’est plutôt les bandes dessinées. Je lis vite. En moins d’une heure, j’ai fini.

        Lui, il lit plus lentement. Et son livre est plus gros, aussi.

        C’est une histoire de guerre, de bataille. J’ai vu le titre.

        Elle a dû être longue, cette guerre. Peut-être qu’il y a une page par jour de guerre.

        Je ne sais pas.

        Je ne sais pas non plus pourquoi il lit ça. À quoi ça peut bien lui servir.

        Moi, je rigole souvent, ou du moins je souris, avec mes BD.

        Lui, parfois, il sort un mouchoir de sa poche et s’essuie les joues.

     

        Un jour, il a vu que j’avais remarqué, pour les larmes.

        Il a haussé les épaules. Il a dit « Les vieux yeux coulent un peu trop facilement ».

        J’ai pensé que ça n’expliquait pas tout.

     

        J’étais en retard, aujourd’hui.

        Lui, il se préparait à partir.

        Tous les gestes qu’il faisait, il les faisait lentement. Même s’essuyer les yeux.

        Il a mis son manteau, son écharpe, il a reposé le livre à sa place, dans le rayon.

        Avant de sortir, il a dit à la libraire :

        « Pourvu que vous ne le vendiez pas ! »

     

        Le mercredi suivant, je suis restée plus longtemps.

        J’ai lu deux bandes dessinées.

        J’ai même commencé un roman.

        Il n’est pas venu.

        J’ai peur qu’il soit malade. Je n’ai pas osé demander.

        Le livre, lui, il était à sa place. Je l’ai ouvert.

        Il n’y avait pas d’images. Juste quelques dessins gris. Des cartes de géographie.

        Il était lourd.

        J’ai pensé que c’était peut-être pour ça qu’il n’était pas là, le vieux. Trop lourd, ce livre.

     

        Il est revenu ! Il était assis dans son fauteuil habituel.

        Je suis restée longtemps, de nouveau.

        Quand il est parti, il s’est retourné, a dit au revoir et aussi :

        « J’espère que vous n’allez pas le vendre trop vite… »

        Je me demande pourquoi il ne l’achète pas, ce livre, s’il y tient tant.

     

        Les vacances approchent. La libraire accroche des petits bouts de Noël dans sa vitrine, sur le comptoir, elle dépose des petits bouts de Noël et des bonbons sur la table basse, devant le fauteuil du vieux monsieur. Moi aussi, j’ai eu le droit d’en prendre.

        Pour ouvrir le bonbon, il lui en a fallu, du temps.

     

        Noël, c’est dans trois jours ! Mais il n’y a pas de neige.

        Il est entré, il a enlevé son chapeau, son manteau, son écharpe. Il fixe les rayons de livres, il ne trouve pas celui qu’il cherche ; il pense peut-être qu’il s’est trompé de rangée, ou que ses vieux yeux…

        Je m’avance ; je regarde moi aussi, je dis : « Il n’est plus là. »

        Il me regarde.

        Il dit : « Ça devait bien arriver un jour. De toute façon, je n’en avais pas même lu la moitié. Qui sait si j’aurais eu le temps… »

        Je dis : « Vous devriez essayer les BD. C’est rigolo, et puis ça va plus vite. »

        La libraire s’approche. Elle demande :

        — C’est le livre sur la bataille de la Marne que vous cherchez ?

        — Oui, mademoiselle.

        — Il a été vendu. Ce matin. Pour Noël.

        — Ah oui, Noël, bien sûr.

        Moi, ce mot de Noël, ça me met toujours plein d’étoiles dans la tête. Lui, on aurait dit que ça lui avait déposé un gros sac sur le dos. Mais avec quoi dedans ?

        Il remet son chapeau, son manteau.

        — Eh bien au revoir, mademoiselle, et joyeux Noël…

        Elle lui tend un paquet, emballé dans du papier doré, avec de la ficelle rouge autour.

        — Joyeux Noël à vous…

        Elle ajoute :

        — Mais revenez quand même nous voir, de temps en temps.

        Il a souri, le vieux monsieur. On a tous souri, je crois.

        Et puis il est sorti, le paquet sous son bras.

     

        Finalement, il n’était pas si lourd que ça, ce livre.

     

     

    Sylvie Neeman

    Mercredi à la librairie

    Paris, Éditions Sarbacane, 2007

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          Un jour, il n’y a pas très longtemps, apparut dans le ciel un objet brillant comme une grosse étoile. Cet objet descendit lentement vers la terre. Au crépuscule il était comme un soleil rouge au-dessus des arbres. Une longue chevelure de feu traînait derrière lui : c’était une comète. Cette comète, traversant la nuit, incendia le pays. L’aube se leva sur une terre en cendres peuplée d’arbres noirs, et le peuple connut la misère.

         Dans ce pays, en ce temps-là, vivait un homme qu’on appelait le Veilleur, car ses yeux étaient toujours grands ouverts, toujours émerveillés. Il avait l’air d’être perpétuellement étonné d’être vivant. Quand vint la misère, lui seul, dans son village ravagé, refusa de désespérer.

         — Il faut vivre, et vivre, et vivre, disait-il aux moribonds.

         Mais comment leur redonner force et courage ?

      

         Il s’en alla un beau matin demander conseil à un vieil aveugle qui vivait seul, dans une grotte de la montagne. Au crépuscule le voici devant lui. L’homme vénérable dit ceci :

         — Celui qui parviendra à pêcher la perle d’émeraude cachée au fond du lac le plus profond des montagnes de Jade, celui-là pourra aider les hommes. Mais les montagnes de Jade sont très lointaines, la route est dangereuse, et la perle d’émeraude est gardée par une énorme araignée noire qui a tendu sa toile sur l’eau du lac.

         Le Veilleur écoute, les yeux écarquillés. Le vieil aveugle se gratte la barbe et dit encore :

         — Celui qui veut atteindre l’émeraude doit d’abord passer par le plateau des fleurs vénéneuses pour y conquérir l’aiguillon d’or de la reine des guêpes. Car cet aiguillon est la seule arme capable de tuer l’araignée noire.

         Le Veilleur n’y réfléchit pas longtemps. Avant même que l’aveugle ait fini de hocher la tête, il est parti à la conquête de la perle d’émeraude.

        

         Il marche de longues semaines. Un jour, traversant une forêt profonde, il entend un grand cri dans le feuillage. Une plume noire tombe sur son visage. Il lève la tête et voit une bataille d’oiseaux : un épervier plante son bec crochu dans la gorge d’un corbeau qui se débat sans espoir. Le Veilleur lance son bâton à travers les branches. L’épervier s’envole dans un grand froissement d’ailes. Le blessé descend, lentement, se pose sur l’épaule de l’homme qui entend alors ces mots dans sa tête : « Si tu as besoin de moi, un jour, appelle. Je viendrai. » Il se retourne vivement, le corbeau a disparu.

         Le Veilleur poursuit son chemin difficile. À grand-peine il sort de la forêt et découvre à l’horizon une haute montagne, dont le sommet est plat comme une table. À travers les broussailles, les buissons épineux, il grimpe trois jours et trois nuits. Il parvient enfin au sommet, les vêtements en lambeaux,  les pieds et les mains en sang.  Un  champ  de  fleurs  vénéneuses, nocturnes et rouges, s’étend devant lui, sous le soleil pâle. Au milieu du plateau se dresse un arbre mort. Sur la plus haute branche il aperçoit un magnifique nid de guêpes. « Comment l’atteindre, se dit le Veilleur. C’est maintenant que le corbeau me serait utile. » À peine a-t-il pensé ces mots qu’une nuée noire apparaît à l’horizon. Des milliers de corbeaux viennent à lui. Ils se mettent à tourbillonner autour de l’arbre mort, si vite qu’ils font dans le ciel une immense roue noire. Au centre de cette roue noire les guêpes affolées sont comme une poussière dorée.

         Le Veilleur, debout dans les fleurs rouges, regarde et s’émerveille. Un corbeau, enfin, vient se poser sur son épaule. Il tient dans son bec un aiguillon d’or. L’homme le prend, délicatement, et le contemple. Quand il relève la tête, les oiseaux déjà s’éloignent dans le ciel. La nuée de guêpes part à la dérive parmi les fleurs. Le Veilleur s’en va.

        

         Il parvient à la montagne de Jade après neuf jours et neuf nuits de marche. Il franchit des précipices, escalade des rocs vertigineux. Le voici au sommet, au bord du lac. À la surface tout à coup bouillonnante apparaît une gigantesque araignée noire. Ses gros yeux bombés, impassibles, regardent le Veilleur. Ses longues pattes maigres, velues, se posent en grinçant sur la rive. Des rochers s’écroulent dans l’eau, en avalanche. Le Veilleur tient fort, dans sa main, l’aiguillon d’or de la reine des guêpes. La gueule du monstre se dresse lentement vers lui. De toutes ses forces, il enfonce son arme étincelante dans l’œil énorme. L’araignée noire, prise d’épouvantables convulsions, recule, dégringole à flanc de montagne, se déchire parmi les rochers, disparaît au fond d’un précipice.

         Alors le Veilleur plonge dans le lac. Il descend infiniment dans l’eau glacée. Au fond, il voit briller enfin la perle d’émeraude. Il la saisit. Il la met dans sa bouche. Il remonte au soleil. Il tombe sur le rivage, à bout de forces. Il s’endort.

        

         Quand il se réveille, il se dresse sur la montagne et s’en va. Les rocs tremblent sous ses pieds. Il est devenu un géant. De sa bouche jaillissent des sources. Dans l’empreinte de ses pas poussent des prairies et des champs de blé sous la caresse de sa main. Il est maintenant un de ces grands vivants bienfaisants qui aident la Terre à vivre.

    Henri Gougaud

    L’Arbre à Soleils

     

    Vosges

     

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    Un ermite farouche habitait une grotte, en haut d’une montagne, aux confins dépeuplés d’un immense royaume. De son haut promontoire au grand ciel, il pouvait voir les portes du désert, la mer scintillant au loin, la course des astres, les migrations des animaux, le lent travail des éléments.  Il méditait beaucoup, sortait peu, se nourrissait de cueillettes, de miel doré, d’eau fraîche, et des chants du silence. Il se nommait Saham.

    Un jour, pourtant, malgré ses précautions, un berger l’aperçut. Intrigué, ce dernier le héla, et, le voyant s’enfuir, le poursuivit sur les pentes, à travers éboulis et fourrés épineux. L’homme était obstiné, Saham était agile. Il parvient à égarer le curieux dans un réseau de galeries, au cœur du roc. Sorti à grand-peine de là, le berger se rendit à la cour, et instruisit le roi de son aventure.

    -      C’est un humain bizarre, Majesté, vêtu de feuilles, et aussi leste qu’un lapin. Il est peut-être fou, ou saint, ou dangereuc, il a mis tant  d’ardeur à me fuir qu’il cache peut-être quelque chose.

    Iloussa le Magnifique fut piqué dans sa soif de nouveauté, il voulur voir. Une expédition fut montée, qui sous peine de mort, devait débusquer ce sauvage et l’amener à lui. Armés jusqu’aux yeux, les soldats encerclèrent la montagne, coupant toute retraite à l’ermite, et, parvenus devant la grotte, ils crièrent fortement :

    -      Homme sauvage, sors, nous avons ordre du roi Iloussa le Magnifique de te ramener à la cour.

    Saham parut, vit les armures, les filets prêts à l’attraper, les chaînes pour le ligoter, et déclara :

    -      Tout cela est inutile. Je vous suivrai de mon plein gré.

    Il se présenta au monarque, calme et digne, nullement impressionné par l’apparat de la cour. Iloussa à sa vue, sentit son âme s’emplir d’une étrange tendresse et lui demanda doucement :

    -      Qui es-tu ?

    -      Ma mère m’a nommé Saham, Majesté.

    -      Et que fais-tu tout seul dans la montagne ?

    -      J’écoute, et j’apprends

    Cet homme simple, presque nu, aimantait son regard et son cœur, comme une île intacte au milieu de la cour, on aurait dit que ses contours vibraient.

    -      Qu’as-tu appris, dis-moi ?

    -      Oh, quelques petites choses, Majesté, qui ne peuvent monter jusqu’à toi, puissant parmi les puissants.

    -      Je veux que tu m’enseignes ces choses.

    -      C’est impossible ici, Majesté, il y a trop d’écart entre nous. Mes humbles mots ne montent pas jusqu’à ton trône.

    -      Alors dis-moi où.

    -      Si tu veux vraiment apprendre, il faut que tu quittes la cour, que tu t’habilles simplement, que tu me suives, seul, et que tu m’obéisses en tous points. Es-tu prêt à cela ?

    -      Pendant combien de temps ?

    -      Personne ne peut le dire, cela dépend de toi. C’est un travail ardu, qui demande de la constance, sois conscient que si tu le fait jusqu’au bout, tu ne seras plus jamais le même. Laisse-moi repartir, maintenant.

    Le roi sans hésiter déposa sa lourde parure, confia son royaume, sa couronne, ses femmes à son frère cadet, laissa là chevaux et brocarts, et suivit l’anachorète. Il fut son élève docile.

    Dans le silence et le dénuement, il se rendit bien vite compte à quel point le monde de la cour est étriqué, et loin des choses essentielles. Il vit la mesquinerie des affaires humaines. Poursuivant assidûment ses efforts, il connut la grandeur de la création, ses cycles, et les suprêmes lois qui font tenir ensemble les choses et les espèces. Il reconnut chacune comme irremplaçable. Il apprit à respecter chaque brin d’herbe, chaque insecte, en ce qu’il a d’unique et de précieux.

    Il apprenait vite, pour un roi.

    Au bout de quelques moins, l’orgueil, l’avidité et le goût du pouvoir l’avaient quitté, comme des peaux mortes. Il se sentait infime, la moins utile des créatures, la plus insignifiante. Il s’en ouvrit à son maître.

    -      Bien, lui dit Saham, tes efforts t’ont mené au seuil de la sagesse. Avant d’en pénétrer les derniers arcanes, il te reste une épreuve à passer : va par le monde, et cherche un être ou une chose qui te soit inférieur. Tu ne reviendras pas avant.

    Iloussa partit, dans sa simple chemise de feuilles, et chercha dans les trois règnes, dans le ciel de la nuit, dans les bouges, dans les dires des anciens, parmi les hyènes et les vautours, ce qui pouvait valoir moins que lui.  Chardons, rameaux secs, charognes pourrissantes, chaque chose participait d’une chaîne et faisait œuvre utile. Il ne trouva rien qui fût moins digne que lui d’exister. Il revint piteux sur ses pas, après longtemps de quête.  Et c’est alors qu’il dut se soulager. Cela arrive à tout le monde.

    Il s’enfonça un peu dans les buissons, au bord de la route, et reconnut là une crotte, qu’il avait faite à l’aller, toute sèche et racornie.

    -      Et bien, voilà, j’ai trouvé, pensa-t-il. Je ne vaux certes pas moins que mes propres déjections.

    Et il tendit la main pour ramasser l’objet et le rapporter à son maître. Mille voix ténues, courroucées, s’élevèrent alors de l’étron noir :

    -      Ne nous touche pas, vil humain.  Sous le baiser de la lumière, nous étions graines odorantes, et puis tu es venu. Tu nous as cueillies, coupées, nous empêchant de nous reproduire, broyées, pilées, meurtries, pétries, tordues, bouillies, concassées, passées au feu, mâchées, attaquées de tes sucs, digérées. En traversant ton intérieur, nous t’avons nourri, loyalement, et après avoir bien profité de nous, tu nous as laissé là, toutes empuanties de toi. Les bêtes ont fui, à ton odeur, tes semblables nous ont jeté des regards pleins de dégoût, ils ont fait sur nous mille plaisanteries scabreuses, que nous n’avons pas méritées. Voici qu’enfin le vent, le soleil, nous ont purifiées de tes humeurs funestes, nous voilà propres et sèches, prêtes à fertiliser la terre, et tu veux de nouveau nous toucher ? Laisse-nous en paix, s’il te plaît, car nous craignons le pire à ton contact.

    Le roi Iloussa rentra tout abattu chez son maître.

    -       J’ai failli. Je n’ai rien trouvé qui vaille moins que moi.

    Et il lui raconta sa rencontre avec l’étron parlant.

    -      Tu as réussi ton épreuve, lui répondit Saham en souriant. Celui qui se sait la plus misérable des créatures a atteint la sagesse suprême. Ton apprentissage est terminé. Voici donc ta tâche, ici-bas : reprends ton métier de roi.  Si mon destin est de rester hors du monde, le tien est de régner. Tu seras incorruptible et bienveillant, tu feras respirer ta vertu à qui t’approche. Tu sauras qui aime, qui trompe, qui chante pour ne pas mourir. Tu seras un souverain qui se sait serviteur. Va. Les temps d’or et de miel, les temps de paix, d’amour, viendront, quand tous les rois auront fait ton chemin.

    L’homme qui m’a raconté cette histoire ajoute qu’on attend toujours, apparemment.

     

    Yveline Méhat   extrait de  Le Marchand de Pets parfumés et autres contes inconvenants.

     

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    Amuseurs de tout poil, ceci est une fable

    Pour votre grand profit.

    Un rural de naguère, les deux bras vigoureux mais la bourse légère, en plantant un poteau, fit s’envoler le fer de son marteau, tout droit dans la rivière.

    Il tempêta, pesta, se maudit, réfléchit, car ce gaillard n’était pas homme à pleurer sur sa misère.

    -      Je sais ce qu’il faut faire.

    Et d’un pas résolu il partit pour le bourg.

    Là, il n’y avait qu’une seule boutique, où l’on vendait de tout, gamelles, couvertures, jeux de cartes, lapins et cetera. Il entra. Un carillon tinta gaiement. Le marchand, derrière son comptoir, jovial et bedonnant, l’accueillit :

    -      Eh bien, on ne te voit pas souvent par ici, tu as besoin de quelque chose ?

    Sans embarras, le brassier répondit :

    -      Je te parie que j’éteins quinze bougies d’un seul pet.

    -      Ah, ça, j’aimerais bien le voir.

    -      Si j’y arrive, tu me donneras un marteau ?

    -      Ça le vaut bien, en convient l’épicier.

    Tout le jour confiné dans sa boutique sombre, il soupirait, parfois, de la monotonie des heures. Il aligna les lumignons, les alluma et attendit.

    C’était un talent qu’il avait, l’ouvrier, il ne s’en vantait guère d’ordinaires, mais bon. Il se plaça devant la file, et, les mains aux genoux, inspira l’air voulu, en se gonflant du bas. Avec adresse et précision il modula vers les flammèches un long zéphyr plein d’allégresse, qui les balaya d’un seul trait.

    -      Et en plus, ça ne sent rien : s’ébaubit le marchand, se tenant la panse à  eux mains. Ah, tu l’as bien mérité, ton marteau, voilà une fameuse histoire à raconter. Tu m’as réjoui la tripe, tiens, je te l’emballe ?

    A ce moment, l’homme lâcha une mitraille dep petits pets bien calibrés, sur un air de tarentelle.

    -      Quoi, il t’en reste encore ?

    -      C’est que j’aurais aussi besoin de quelques clous.

    Il en eut un plein paquet, de toutes les tailles.

    C’est ainsi, mes amis, que l’on paye en nature.

    Car ce dont Dieu nous a fait don,

    Faut pas qu’ce soit d’la confiture

    A des cochons.

    Yveline Méhat   extrait de  Le Marchand de Pets parfumés et autres contes inconvenants.

     

    prout


     
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