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L'oursonne de Jacques Salomé
Il était une fois une oursonne, qui contrairement aux autres oursonnes de son village qui, elles, jouaient à la dînette, à sauter à la corde ou à chat perché, avait passé une partie de son enfance à garder les enfants ours du voisinage. Vous savez, c'est une habitude chez les ours, chaque fois que des parents ours voulaient sortir, rendre visite à des amis, aller au cinéma ou passer un week-end en amoureux, ils confiaient leurs enfants à cette petite ourse, qui faisait donc la gardienne d'enfants.
C'est ainsi qu'elle passa l'essentiel de sa jeunesse et même de son adolescence à prendre soin d'enfants qui n'étaient pas les siens. Elle s'occupait d'eux avec beaucoup d'amour, de compétence et de gravité. Toute petite, elle avait souvent pensé:
"Quand je serai femme, quand j'aurai des enfants à moi, je ne les confierai à personne d'autre, je m'en occuperai moi-même!"
Cette petite ourse avait grandi, s'était mariée, et malgré son grand désir, n'avait jamais pu avoir d'enfants avec son mari. En fait c'est son mari qui ne pouvait concevoir. Aussi décidèrent-ils d'adopter et de recueillir dans leur belle maison des oursons abandonnés. Eux qui étaient des ours blancs, vivant près du pôle, ils accueillirent des ours bruns, qu'ils allèrent chercher dans le Sud. Ils adoptèrent ainsi trois oursons superbes à la peau tout ensoleillée, aux grands yeux brillants qui, je dois le dire, s'adaptèrent assez bien au climat plus rigoureux qui régnait près du pôle.
L’ourse tout au fond d'elle n'avait pas renoncé à son rêve, à son désir d'avoir un enfant à elle.
Elle fit beaucoup de démarches, tenta d'expérimenter les nouvelles méthodes de procréation assistée, se débattit entre rêve et désirs, persévéra et échoua.
Elle ne put avoir d'enfant.
Plus les années passèrent et plus son désir devenait vivace et même impérieux. Elle hésita beaucoup, parla avec son mari d'une idée qui eût pu paraître une folie: faire un enfant avec un autre ours. Son mari, par amour, accepta en lui disant :
"Malgré nos 3 enfants du Sud, c'est d'un enfant à toi, porté et sorti de ton ventre, que tu as besoin. Je n'ai pas le droit de te priver de cela, va dans ta démarche si c'est bien ton désir, si tu n'entres pas dans le désir d'un autre, en faisant cela. Fais-le vraiment, si tu trouves un autre ours qui a suffisamment d'amour pour lui aussi accepter cette situation à venir, de ne pas élever son propre enfant, de te le confier, pour que nous l'élevions toi et moi ensemble..."
Ils se dirent et se dirent bien d'autres choses encore, car ce projet touchait à des enjeux intimes, sensibles et délicats. Et je ne peux moi-même en dire plus car je ne sais rien des amours chez les ours du pôle, ils sont discrets même si leurs sentiments sont aussi intenses que chez les hommes.
Quelques mois plus tard, l'ourse se trouva, tout étonnée et ravie, un peu inquiète aussi, enceinte.
Pour la 1ère fois de sa vie, elle portait un bébé ours dans son ventre. Mais quelques semaines plus tard, elle fit une 1ère fausse couche. Plus tard une 2ème. Et la succession de tous ces événements l'interrogea beaucoup.
- Peut-être est-ce son corps qui lui disait à sa façon:
"Malgré ton désir de mettre au monde un enfant qui soit de toi, je ne me sens pas capable de t'accompagner plus loin."
- Peut-être aussi ce bébé ours nouvellement conçu pensait-il, dans le ventre même de sa maman, qu'il allait déchirer un couple? Ou réveiller chez le géniteur qui avait donné sa semence de vieilles blessures insupportables à la seule idée que son enfant serait élevé par un autre que lui, et cela malgré son accord de départ?
- Peut-être que l'ourse redoutait tout au fond d'elle-même cette naissance, qui allait la confronter à une position nouvelle, celle de maman et de mère d'un enfant à elle!
- Peut-être aussi que l'ourse, dont je conte l'histoire, avait surtout besoin de faire la preuve qu'elle était capable de concevoir, seulement concevoir, mais pas d'avoir à nourrir, à élever un petit ours pendant des années?
- Peut-être aussi restait-elle fidèle à sa mission de ne devoir élever et s'occuper que des enfants des autres.
Je ne sais rien de plus. Les ours ont des fidélités qui échappent à la compréhension des humains.
Je pense avec émotion à cette ourse et à son mari, qui tentèrent avec tant d'amour et de persévérance l'impossible. Je pense à elle, loyale à sa propre histoire et en même temps respectueuse de la vie, qui ne pouvait s'incarner directement en elle.
Conte illustré avec les petits banquisards du blog
Tags : ours, enfant, autre, desir
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Commentaires
Merci cette belle surprise ... nos petits nounours espiègles et parfois coquins et taquins à l'honneur d'une belle histoire ... vraiment sympa et bien vu !
Bah dans une histoire d'oursonne, je ne pouvais pas manquer de les solliciter pour illustrer le conte :D