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    Un ermite farouche habitait une grotte, en haut d’une montagne, aux confins dépeuplés d’un immense royaume. De son haut promontoire au grand ciel, il pouvait voir les portes du désert, la mer scintillant au loin, la course des astres, les migrations des animaux, le lent travail des éléments.  Il méditait beaucoup, sortait peu, se nourrissait de cueillettes, de miel doré, d’eau fraîche, et des chants du silence. Il se nommait Saham.

    Un jour, pourtant, malgré ses précautions, un berger l’aperçut. Intrigué, ce dernier le héla, et, le voyant s’enfuir, le poursuivit sur les pentes, à travers éboulis et fourrés épineux. L’homme était obstiné, Saham était agile. Il parvient à égarer le curieux dans un réseau de galeries, au cœur du roc. Sorti à grand-peine de là, le berger se rendit à la cour, et instruisit le roi de son aventure.

    -      C’est un humain bizarre, Majesté, vêtu de feuilles, et aussi leste qu’un lapin. Il est peut-être fou, ou saint, ou dangereuc, il a mis tant  d’ardeur à me fuir qu’il cache peut-être quelque chose.

    Iloussa le Magnifique fut piqué dans sa soif de nouveauté, il voulur voir. Une expédition fut montée, qui sous peine de mort, devait débusquer ce sauvage et l’amener à lui. Armés jusqu’aux yeux, les soldats encerclèrent la montagne, coupant toute retraite à l’ermite, et, parvenus devant la grotte, ils crièrent fortement :

    -      Homme sauvage, sors, nous avons ordre du roi Iloussa le Magnifique de te ramener à la cour.

    Saham parut, vit les armures, les filets prêts à l’attraper, les chaînes pour le ligoter, et déclara :

    -      Tout cela est inutile. Je vous suivrai de mon plein gré.

    Il se présenta au monarque, calme et digne, nullement impressionné par l’apparat de la cour. Iloussa à sa vue, sentit son âme s’emplir d’une étrange tendresse et lui demanda doucement :

    -      Qui es-tu ?

    -      Ma mère m’a nommé Saham, Majesté.

    -      Et que fais-tu tout seul dans la montagne ?

    -      J’écoute, et j’apprends

    Cet homme simple, presque nu, aimantait son regard et son cœur, comme une île intacte au milieu de la cour, on aurait dit que ses contours vibraient.

    -      Qu’as-tu appris, dis-moi ?

    -      Oh, quelques petites choses, Majesté, qui ne peuvent monter jusqu’à toi, puissant parmi les puissants.

    -      Je veux que tu m’enseignes ces choses.

    -      C’est impossible ici, Majesté, il y a trop d’écart entre nous. Mes humbles mots ne montent pas jusqu’à ton trône.

    -      Alors dis-moi où.

    -      Si tu veux vraiment apprendre, il faut que tu quittes la cour, que tu t’habilles simplement, que tu me suives, seul, et que tu m’obéisses en tous points. Es-tu prêt à cela ?

    -      Pendant combien de temps ?

    -      Personne ne peut le dire, cela dépend de toi. C’est un travail ardu, qui demande de la constance, sois conscient que si tu le fait jusqu’au bout, tu ne seras plus jamais le même. Laisse-moi repartir, maintenant.

    Le roi sans hésiter déposa sa lourde parure, confia son royaume, sa couronne, ses femmes à son frère cadet, laissa là chevaux et brocarts, et suivit l’anachorète. Il fut son élève docile.

    Dans le silence et le dénuement, il se rendit bien vite compte à quel point le monde de la cour est étriqué, et loin des choses essentielles. Il vit la mesquinerie des affaires humaines. Poursuivant assidûment ses efforts, il connut la grandeur de la création, ses cycles, et les suprêmes lois qui font tenir ensemble les choses et les espèces. Il reconnut chacune comme irremplaçable. Il apprit à respecter chaque brin d’herbe, chaque insecte, en ce qu’il a d’unique et de précieux.

    Il apprenait vite, pour un roi.

    Au bout de quelques moins, l’orgueil, l’avidité et le goût du pouvoir l’avaient quitté, comme des peaux mortes. Il se sentait infime, la moins utile des créatures, la plus insignifiante. Il s’en ouvrit à son maître.

    -      Bien, lui dit Saham, tes efforts t’ont mené au seuil de la sagesse. Avant d’en pénétrer les derniers arcanes, il te reste une épreuve à passer : va par le monde, et cherche un être ou une chose qui te soit inférieur. Tu ne reviendras pas avant.

    Iloussa partit, dans sa simple chemise de feuilles, et chercha dans les trois règnes, dans le ciel de la nuit, dans les bouges, dans les dires des anciens, parmi les hyènes et les vautours, ce qui pouvait valoir moins que lui.  Chardons, rameaux secs, charognes pourrissantes, chaque chose participait d’une chaîne et faisait œuvre utile. Il ne trouva rien qui fût moins digne que lui d’exister. Il revint piteux sur ses pas, après longtemps de quête.  Et c’est alors qu’il dut se soulager. Cela arrive à tout le monde.

    Il s’enfonça un peu dans les buissons, au bord de la route, et reconnut là une crotte, qu’il avait faite à l’aller, toute sèche et racornie.

    -      Et bien, voilà, j’ai trouvé, pensa-t-il. Je ne vaux certes pas moins que mes propres déjections.

    Et il tendit la main pour ramasser l’objet et le rapporter à son maître. Mille voix ténues, courroucées, s’élevèrent alors de l’étron noir :

    -      Ne nous touche pas, vil humain.  Sous le baiser de la lumière, nous étions graines odorantes, et puis tu es venu. Tu nous as cueillies, coupées, nous empêchant de nous reproduire, broyées, pilées, meurtries, pétries, tordues, bouillies, concassées, passées au feu, mâchées, attaquées de tes sucs, digérées. En traversant ton intérieur, nous t’avons nourri, loyalement, et après avoir bien profité de nous, tu nous as laissé là, toutes empuanties de toi. Les bêtes ont fui, à ton odeur, tes semblables nous ont jeté des regards pleins de dégoût, ils ont fait sur nous mille plaisanteries scabreuses, que nous n’avons pas méritées. Voici qu’enfin le vent, le soleil, nous ont purifiées de tes humeurs funestes, nous voilà propres et sèches, prêtes à fertiliser la terre, et tu veux de nouveau nous toucher ? Laisse-nous en paix, s’il te plaît, car nous craignons le pire à ton contact.

    Le roi Iloussa rentra tout abattu chez son maître.

    -       J’ai failli. Je n’ai rien trouvé qui vaille moins que moi.

    Et il lui raconta sa rencontre avec l’étron parlant.

    -      Tu as réussi ton épreuve, lui répondit Saham en souriant. Celui qui se sait la plus misérable des créatures a atteint la sagesse suprême. Ton apprentissage est terminé. Voici donc ta tâche, ici-bas : reprends ton métier de roi.  Si mon destin est de rester hors du monde, le tien est de régner. Tu seras incorruptible et bienveillant, tu feras respirer ta vertu à qui t’approche. Tu sauras qui aime, qui trompe, qui chante pour ne pas mourir. Tu seras un souverain qui se sait serviteur. Va. Les temps d’or et de miel, les temps de paix, d’amour, viendront, quand tous les rois auront fait ton chemin.

    L’homme qui m’a raconté cette histoire ajoute qu’on attend toujours, apparemment.

     

    Yveline Méhat   extrait de  Le Marchand de Pets parfumés et autres contes inconvenants.

     

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    lemarchanddepets Dans une collection dirigée par Henri Gougaud, c’est le titre de ce livre de contes un peu particuliers qui m’a interpelé. Pour en parler je ne pourrais mieux dire et plus élégamment que la 4ème de couverture.

    « Quand les impertinences du corps se font poésie, voici venir le marchand de pets parfumés son chapelet d’émanations, griseries et paillardises délicieuses et ses compagnons d’(in)fortune aromatique…

    Contes inconvenants, contes édifiants, contes à rire et à déguster, sous la plume enlevée, musicale et odorante d’Yveline Méhat »

    Drôle, une inconvenance élégamment dite, des contes d’une poésie scatologique. Surprenant. D’aucuns reconnaitront au passage des références, des inspirations de contes anciens ou de contes d’autres pays. Un livre à lire pour sourire dans ce monde pas toujours aimable.

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    Amuseurs de tout poil, ceci est une fable

    Pour votre grand profit.

    Un rural de naguère, les deux bras vigoureux mais la bourse légère, en plantant un poteau, fit s’envoler le fer de son marteau, tout droit dans la rivière.

    Il tempêta, pesta, se maudit, réfléchit, car ce gaillard n’était pas homme à pleurer sur sa misère.

    -      Je sais ce qu’il faut faire.

    Et d’un pas résolu il partit pour le bourg.

    Là, il n’y avait qu’une seule boutique, où l’on vendait de tout, gamelles, couvertures, jeux de cartes, lapins et cetera. Il entra. Un carillon tinta gaiement. Le marchand, derrière son comptoir, jovial et bedonnant, l’accueillit :

    -      Eh bien, on ne te voit pas souvent par ici, tu as besoin de quelque chose ?

    Sans embarras, le brassier répondit :

    -      Je te parie que j’éteins quinze bougies d’un seul pet.

    -      Ah, ça, j’aimerais bien le voir.

    -      Si j’y arrive, tu me donneras un marteau ?

    -      Ça le vaut bien, en convient l’épicier.

    Tout le jour confiné dans sa boutique sombre, il soupirait, parfois, de la monotonie des heures. Il aligna les lumignons, les alluma et attendit.

    C’était un talent qu’il avait, l’ouvrier, il ne s’en vantait guère d’ordinaires, mais bon. Il se plaça devant la file, et, les mains aux genoux, inspira l’air voulu, en se gonflant du bas. Avec adresse et précision il modula vers les flammèches un long zéphyr plein d’allégresse, qui les balaya d’un seul trait.

    -      Et en plus, ça ne sent rien : s’ébaubit le marchand, se tenant la panse à  eux mains. Ah, tu l’as bien mérité, ton marteau, voilà une fameuse histoire à raconter. Tu m’as réjoui la tripe, tiens, je te l’emballe ?

    A ce moment, l’homme lâcha une mitraille dep petits pets bien calibrés, sur un air de tarentelle.

    -      Quoi, il t’en reste encore ?

    -      C’est que j’aurais aussi besoin de quelques clous.

    Il en eut un plein paquet, de toutes les tailles.

    C’est ainsi, mes amis, que l’on paye en nature.

    Car ce dont Dieu nous a fait don,

    Faut pas qu’ce soit d’la confiture

    A des cochons.

    Yveline Méhat   extrait de  Le Marchand de Pets parfumés et autres contes inconvenants.

     

    prout


     
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  • le3DVarius

     

     

    Entièrement réalisé par une imprimante 3D, le 3DVarius est un extraordinaire violon électrique. Après trois années de développement, deux prototypes le 3DVarius est né. Il est fabriqué en résine d’epoxy transparente et cela lui confère un son d’une très haute qualité. Le corps du violon est constitué d’une seule pièce qui n’entrave jamais les ondes sonores. Et en plus l’instrument est magnifique. (photo de l’instrument) J’avoue que le son m’enchante au plus haut point et j’ai hâte de l’entendre aussi bien dans le registre classique que moderne.

     

    https://www.youtube.com/watch?v=gF0pOUBS3sg

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    740538quattendentlessinges.jpg Algérie, une jeune fille est retrouvée assassinée et cruellement mutilée. L’enquête est confiée au commissaire Nora. Dans ce pays où la femme est encore considérée comme étant une inférieure, elle aura fort à faire en s’imposant dans ce monde d’hommes où le machisme a loi. Mais elle aura fort à faire aussi tant la corruption règne jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat.  C’est toute la société qui est gangrénée et ceux qui dirigent en réalité le pays sont les rhobas, ces richissimes puissants se comportant en Seigneurs et infligeant leur loi à coup de pots-de-vin, menaces et meurtres. Et à Alger le maître est Haj Hamerlaine.  Or la jeune femme assassinée n’est autre que sa petite fille. Gravitent autour de cette enquête une multitude de rapaces prêts à tout pour se tailler la part du lion. Et parmi ces rapaces le puissant journaliste Ed Dayem qui fait la pluie et le beau temps, qui démolit ou encense à tour de bras selon son envie ou celle du Rhoba.

    Un roman plein de noirceur, un véritable thriller que nous offre Yasmina Khadra. Il dénonce la corruption, l’empire du crime dans ce pays qu’il aime. Quelle place reste-t-il au peuple dans un pays où la dignité humaine est piétinée par une caste sans foi, ni loi ? C’est un véritable polar politique qui nous tient en haleine par les rebondissements successifs. J’ai aimé.

    J'ai relevé cette citation qui m'a paru juste à propos de la puissance des journalistes qui peuvent faire ou défaire une réputation, voire une vie.

    « Le journalisme-information est une obsolescence. C’est l’ère du journalisme-opinion. C’est toi qui formates les esprits. Tu as le pouvoir de dévoiler le secret des dieux et de l’instruction, de rendre la sentence avant les juges et d’exécuter le suspect avant le bourreau. Il est dans tes prérogatives d’atomiser les géants, de déifier les charlatans, de rabaisser le génie à ras les paillassons, de pendre haut et court n’importe qui. Chaque matin, les gens se précipitent sur notre canard pour s’abreuver de ton encre. Ta chronique les intéresse, elle est leur vérité… Ton pouvoir n’a pas de limite… Alors dis, sévis, ébranle les trônes, déclenche les guerres, corse les polémiques et refais l’homme à ton image puisque ta parole est d’Evangile et ton verdict aussi implacable que le Jugement dernier. »

     

    CITATIONsurlejournalismeYKhadra

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