• Les poudres de Tancrède de Régine Raymond-Garcia

    Tancrède lançait ses tonnes de maléfices, accompagné de ses acolytes, les sacoches pleines à ras bord de poudre de convoitise pour les envieux et de poudre à canon pour les belliqueux. Ils en jetaient des mille et des cents. Beaucoup de poudre aux yeux pour les incrédules et de poudre d’escampette pour les voleurs à la tirette. Tancrède menait son groupe d’apprentis-mécréants qui lui obéissait au doigt et à l’œil. Il sema tellement de méchancetés que même ses anciens associés finirent par l’abandonner. Désormais seul, il marcha longtemps, réfléchit et parvint un jour jusqu’au village Sécoule.

    En entrant dans le village, il ressentit un malaise nouveau, un battement rapide au creux de son cœur. Il pensait à se reconvertir en… en… en… Il n’en avait aucune idée… Il ignorait qui devenir… Il avait toujours semé la zizanie dans le cœur des gens.
    Les Sécoulais étaient plongés dans un doux sommeil. Gaspard, qui avait un sacré flair et ne dormait que d’une oreille, renifla le cruel Tancrède passé par ici le mois dernier. Gaspard aboya très fort afin que tout le village l’entende. Il reconnaissait l’odeur du mécréant à des milles à la ronde. À cause de lui, les sœurs Mirabelle s’étaient fâchées. Il fallut six mois pour les réconcilier. Et les frères Grimaud s’ignoraient toujours, à cause d’une blessure d’amour. Les Sécoulais fermèrent à double tour portes et fenêtres, calfeutrèrent les cheminées, rentrèrent les animaux. Ils tremblaient des pieds à la tête.

     

     

     

    Tancrède cria haut et fort :

    « Ouvrez vos fenêtres, je ne vous ferai aucun mal. Voyez par vous-même, je suis seul. »

    Aucun Sécoulais ne bougea.

    Portes et fenêtres restaient closes. « Encore un stratagème de Tancrède ! », pensaient-ils. « Encore un subterfuge pour nous faire sortir et nous jeter ses poudres aux yeux, maléfiques et empoisonnées. »
    Jusqu’à maintenant, Tancrède s’amusait en terrorisant les gens mais aujourd’hui il n’en n’avait plus envie. Il remit son baluchon sur le dos à la recherche d’un village plus accueillant. Il marcha longtemps, remua ses pensées afin d’imaginer quel nouveau métier il pourrait exercer : Ébéniste ? Peintre ? Pompier ? Joueur de flûte ?
    Mais rien de tout cela ne le tentait… Il pensa même à redevenir le méchant Tancrède. Ça lui collait à la peau ce tempérament de mécréant !

    Il arriva au village Sépalas. Le coq en l’apercevant, trembla des pattes à la crête. Il cocoricota haut et fort « Attention Tancrède est de retour ! » pour alerter le village, puis se réfugia dans le poulailler. Les Sépalassiens fermèrent à double tour portes et fenêtres, calfeutrèrent les cheminées, rentrèrent les animaux. Tancrède ressentit le même malaise que la veille, un battement rapide au creux de son cœur, mélangé à quelque chose d’autre.
    Quelque chose de nouveau.
    Une nausée au bord des lèvres.

    « Ouvrez vos fenêtres, je ne vous ferai aucun mal. Voyez par vous-même, je suis seul. »

    Un Sépalassien courageux cria :
    — Va-t’en ! On ne veut pas de toi !
    — J’ai changé, je ne suis plus un mécréant !
    — Qui es-tu alors ?

    Tancrède réfléchit mais ne sut quoi répondre. Il toucha la poudre à canon dans sa sacoche et fut tenté de la jeter à tous les vents. Faire le méchant, c’est si facile ! Faire le méchant, c’est si grisant !
    Non, c’est décidé, il ne sèmera plus de poudre aux yeux pour les incrédules, de poudre de jalousie pour les envieux, de poudre d’escampette pour les voleurs à la tirette, ni de poudre à canon pour les belliqueux. Il remit son baluchon sur le dos, traversa les dunes, les steppes, les étangs, les montagnes, les rivières et les océans. Il arriva au village de Sétissi où personne ne l’avait jamais vu. Pourtant, un chameau cria « Tancrède est là ! ». Les Sétissites fermèrent à double tour portes et fenêtres, calfeutrèrent les cheminées, rentrèrent les animaux.
    Il ressentit le même malaise, un battement rapide au creux de son cœur, mélangé à quelque chose d’autre.
    Quelque chose de nouveau.
    Une nausée au bord des lèvres,
    Une peine à fleur de peau.

    « Ouvrez vos fenêtres, je ne vous ferai aucun mal. Voyez par vous-même, je suis seul. »

    Les Sétissites l’écoutèrent car c’étaient des gens tolérants.
    — Que veux-tu ?
    — Je veux fabriquer de la poudre d’argile pour les chevilles fragiles,
    Des kilos de poudre d’amande pour les gourmands,
    Des tonnes de poudre de riz pour les mamies,
    De la poudre colorée pour les feux d’artifice.

    Les Sétissites applaudirent.
    — Ici, il y a les matériaux nécessaires à la fabrication de toutes tes poudres.

    Il ressentit un battement rapide au creux de son cœur, mélangé à quelque chose d’autre.
    Quelque chose de nouveau.
    Un sourire au bord des lèvres,
    Une solidarité à fleur de peau,
    Une joie au creux de son cœur.

    Il n’y eut plus de chevilles fragiles, les gourmands furent repus, les mamies eurent un joli teint de pêche et les fêtes de Sétissi furent renommées pour leurs feux d’artifice. On vint de toutes les contrées pour les admirer. Parfois, des petites disputes éclataient. Mais la poudre de réconciliation faisait des miracles. Tancrède enseigna aux Sétissites l’art de créer des poudres miraculeuses qui fut transmis de génération en génération. Il vécut enfin heureux jusqu’à la fin de ses jours, entouré de nombreux amis fidèles et sa renommée s’étendit dans tous les villages alentour.

    Illustration de Pablo Vasquez

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 29 Juin 2020 à 07:15

    Il est magnifique, ce conte... pour enfants... mais pas que !!!!

    Très bonne journée et gros bisous

    2
    Lundi 29 Juin 2020 à 11:13

    bonjour Brigitte ,

    fabuleuse et belle petite histoire joli petit conte qui m'a tenue en haleine tout au long de cette belle histoire j'ai bien aimé gros bisous monette

     

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    3
    Mardi 30 Juin 2020 à 17:09

    Une bien histoire, j'aurais aimer l'écrire. Un beau rythme et de belle idées, un beau conte à lire et à écouter.

    merci Brigitte.

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