• Le mystère des vipères

    Elle cherchait quelque chose dans le recoin de la cour, parmi les affaires, en fouillant entre les arbustes, quand soudain elle sentit à la main droite un coup sec et brûlant. "J'ai été mordue !" s'exclama-t-elle effrayée en rentrant vite dans la maison, une expression de terreur sur le visage. 

    Elle prit un bâton et ressortit aussitôt dans la cour. Je la vis arpenter le périmètre pas à pas, et tracer sur le sol un cercle dont je compris qu'il avait des attributs magiques. "De cette manière, elle ne s'échappera pas si c'est une vipère", se dit-elle tout haut à elle-même. 

    Pourtant dona Candelaria Rosado s'y connaissait bien en vipères. Elle tenait ce savoir de sa mère, une guérisseuse de Tzucacab, aujourd'hui défunte. Mais c'était sa soeur, dona Elena Rosado, qui avait appris le mieux le métier : sa mort fut fort déplorée en son temps, parce qu'elle était la seule de la région à savoir guérir une morsure mortelle. 

    Quelle étrange relation y a-t-il entre les hommes et les vipères ? Maman m'a raconté un jour que les serpents, de quelque espèce qu'ils soient, restent complètement affaiblis, abattus, immobilisés quand les approche une femme enceinte. Comme dans l'iconographie mariale, la vipère apparaît soumise aux pieds de la parturiente. 

    Le villageois voit dans ces créatures redoutables un élément magique : si elles enlèvent la vie, elles peuvent aussi la prolonger. 

    Dans le café de Peto où il servait les repas, mon père vit un jour  avec étonnement des nouveaux-venus habitant la forêt décapiter un serpent à sonnettes. L'un d'eux recueillit dans de petits verres le sang qui jaillissait et le servit à ses commensaux qui ressemblaient aux membres  d'une secte. 

    Tous burent le sang du reptile : "On dit que cela prolonge la vie", m'expliqua mon père. Bien des années plus tard j'ai su que l'on croyait aussi que cela stimulait l'ardeur sexuelle. Et ces derniers mois, j'ai appris que certains hommes prennent des gélules de crotale pour améliorer et prolonger leurs érections. 

    Don José Diaz Bolio a postulé la vertu "mathématique" du serpent à sonnettes ; le simple campagnard a aussi soupçonné son pouvoir musical, comme le montre la croyance répandue selon laquelle une guitare sourde acquiert une résonance incomparable si l'on dépose dans sa caisse une queue de crotale. 

    Papa a survécu à deux morsures de vipères La plus grave fut celle d'une vipère fer-de-lance (la nauyaca ou "quatre nez"). Dans le chicle, comme on disait alors, les hommes vivaient dans des campements.  Leur travail consistait à entailler les sapotilliers, en faisant des rigoles pour que la sève précieuse s'écoule dans les récipients. Mais auparavant, le journalier devait élaguer les rameaux épais de l'arbre qu'il escaladait à la force du poignet pour atteindre la branche la plus haute. 

    "Quand je suis arrivé à la cime, et que j'ai tendu le bras pour m'accrocher, j'ai vu la vipère enroulée sur le tronc, mais je n'ai rien pu faire pour éviter l'attaque. A peine l'avais-je vue qu'u même instant j'ai senti à la main la morsure de feu", me raconta-t-il. 

    Il tomba de l'arbre et fut immédiatement secouru par ses amis. Ils lui firent avaler, l'un après l'autre, tous les comprimés d'une plaquette de Mejoralito (pilule bien connue, petite soeur du Mejoral) et lavèrent à l'eau la blessure qui se violaçait rapidement. 

    Il n'y avait pas dans la jungle de remède pour cette morsure. Il fallait vite l'emmener et le conduire à la localité la plus proche, qui était à plusieurs heures de distance. Des gouttes de sang perlaient sur sa peau quand ils l'installèrent à plat ventre sur un cheval et galopèrent hors de la forêt en direction du chef-lieu, Peto, où un sérum antivenimeux approprié el sauva. 

    Les vipères comptent parmi les périls les plus redoutables auxquels est confronté le paysan qui défriche et désherbe sa milpa à l'aide d'une petite fourche avec laquelle il remue les broussailles et cherche les tiges qu'il coupera d'un coup. Pour se protéger, certains aïeuls qui connaissent bien ce danger ont l'habitude de travailler en mâchant un tabac sylvestre local (k'uuts), et ils s'enduisent les pieds et les chevilles avec la salive que produit la mastication, pour que l'odeur fasse fuir les reptiles venimeux. Quelque chose de cette croyance survit chez le paysan quand il dit que fumer a cet effet sur les vipères.

    Avoir un chat, des canards ou des oies à la maison ne combat pas seulement les souris : cela garde aussi les serpents à distance. Quand j'étais petit, j'ai vu la lutte d'un vipère et d'un chat. Le serpent était enroulé autour du cou du chat. Le félin l'avait attrapé à la tête et le mordait fermement, une scène inoubliable qui se produisit sur le muret de ma première maison. Bien sûr le chat l'emporta, mais je ne sais ce qui s'est passé ensuite entre lui et le serpent : les adultes m'ont obligé à quitter la scène. 

    Cela n'est rien en comparaison du cas de Dzulo, un modeste paysan qu i vit encore à Mérida. Né à Tiholop, il a rencontré souvent des serpents à sonnettes et a survécu à quatre morsures mortelles. 

    Des herboristes expérimentés l'ont soigné avec beaucoup de difficulté, et il a fui sa terre natale après la quatrième morsure. Un jmeen l'avait averti : "La vipère te connaît maintenant, elle t'a flairé, elle te cherche pour achever son oeuvre. Mieux vaut t'en aller d'ici si tu veux vivre."

    Et il commença son exode, qu'il n'a pas encore achevé. 

     

                                                                      José Natividad Ic Xec

                                                          La Femme sans tête - et autres histoires mayas (extrait) 

     

        

    Le mystère des vipères

     Dans La Femme sans tête - et autres histoires mayas, l'auteur José Natividad Ic Xec  retranscrit 27 contes et récits traditionnels mayas recueillis  auprès de sa famille et des anciens de son village. 

    Dépaysement garanti 

     

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 1er Juillet 2021 à 22:31

    Les vipères  ne sont pas mes copines , ça me donne la chair de poule rien que d'y penser 

    Bonne soirée Brigitte 

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    2
    Jeudi 1er Juillet 2021 à 22:57

    Tous ces récits me font froid dans le dos car j'ai une peur bleue des serpents; pourtant à la campagne et surtout l'été,on en rencontre souvent mais chaque fois c'est une véritable frayeur, à en faire ensuite des cauchemars.

    Bon je vais lire quelque chose de gai avant de m'endormir !

    Bonne nuit Brigitte 

    3
    Vendredi 2 Juillet 2021 à 06:27

    Heureusement qu'il n'y avait pas de photos ou de film... j'ai la phobie des serpents (quelle que soit la "variété") depuis mon enfance et j'ai même du mal à regarder des photos dans des livres... Si c'est à la télé, je détourne le regard... en vrai, c'est la panique !

    Très bonne journée et gros bisous.

    4
    Vendredi 2 Juillet 2021 à 16:47
    Renée

    Vipère j'en ai vu gamine mais jamais mordue par contre vu aussi Cobra mamba noir et vert et ce dans nos jardin Kenya Sénégal ça fou bien la trouille surtout là-bas...Bisous

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