• Adieu de Antoine de Latour

    Tu pars !... deux jours hélas, et tu n'es plus pour nous 
    Qu'un de ces souvenirs solitaires et doux 
     Dont le cœur s'empare en silence. 
    Pourquoi donc venais-tu si tu devais nous fuir ? 
    Hélas ! mes jours sereins au nonchalant loisir 
     Ne renaîtront pas de l'absence.

    Ah ! je devais penser (mais comment le pouvoir 
    Quand je laissais mes yeux s'égarer chaque soir 
     Sur cette place où tu reposes) 
    Que l'amour ici-bas n'a que de courts instants, 
    Que la vie est un songe, et qu'avec le printemps 
     Hélas ! s'en vont toutes les roses.

    Tu t'en vas donc aussi !... Pars, s'il est quelque bord 
    Où tu sois plus aimée, où plus d'âmes d'abord 
     Recherchent ton heureux empire, 
    Où tu puisses ravir, sans effort et sans art, 
    Plus de regards d'amour avec un seul regard, 
     Plus de cœurs avec un sourire.

    Tu pars ! je les maudis ces lieux où tu n'es plus, 
    Et cependant jamais ne furent répandus 
     Plus de trésors sur les campagnes, 
    Jamais Dieu n'épancha de son sein paternel 
    Parfums plus purs aux fleurs, plus mol azur au ciel, 
     Plus douce rosée aux montagnes.

    Tu parus, aussitôt tout s'embellit de toi ; 
    Tu parus, et le jour devint plus doux pour moi, 
     Et la nuit devint plus sereine... 
    Adieu, gloire, avenir ! Oh ! j'aurais tout donné 
    Pour sentir un moment sur mon front incliné 
     L'ombre de tes cheveux d'ébène.

    Tu n'étais pas venue et déjà cependant 
    Je ne sais quel parfum de ton nom s'exhalant 
     Allait devant ta renommée ; 
    Et le jour où sur moi s'abaissèrent tes yeux... 
    Où t'avais-je donc vue ? En quel songe des cieux ? 
     Je crus déjà t'avoir aimée.

    Oh ! comme lentement vont se traîner les mois ! 
    Plus de brise dans l'air, plus d'ombre sous les bois, 
     De rêverie au bord des fleuves !... 
    Encore si ta voix eût laissé sur mon cœur 
    Tomber un de ces mots d'ineffable douceur 
     Qui consolent les âmes veuves !

    Ce mot eût fait éclore un magique univers 
    Où pour l'entretenir de mes regrets si chers 
     J'aurais enseveli ma vie ; 
    Ainsi pour se bercer d'une image d'amour 
    Le cygne sous son aile en attendant le jour, 
     Ramène sa tête endormie.

    Mais pas même ce mot ! A l'heure du départ 
    Ma furtive douleur s'exhalant à l'écart 
     Évitera jusqu'à ta vue, 
    Et quand de ton exil tu reviendras enfin, 
    Ton œil indifférent retrouvera le mien 
     Sans y chercher la bienvenue.

     

    Antoine de Latour 

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 24 Avril 2019 à 08:01
    Très beau. Bonne journée Pestoune.
    2
    smara
    Jeudi 25 Avril 2019 à 13:47

    Ce texte d'une infinie mélancolie me fait penser à une chanson de Labrinth : " Jealous " 

    "... It's hard for me to say, I'm jealous of the way
    You're happy without me.." 

      • Jeudi 25 Avril 2019 à 17:45

        C'est dur à dire pour moi, je suis jaloux de la façon dont

        Tu es heureux sans moi.

         

        J'irai écouter cette chanson que je ne connais pas. En tout cas si la traduction est bonne, c'est un sentiment que je comprends.

        J'aime l'opposition de sens du C'est dur à dire avec le dévoilement du sentiment. On a conscience que l'on se doit d'être heureux du bonheur de ceux qu'on aime. On voudrait être celui qui offre ce bonheur. On voudrait tout donner de soi pour sublimer l'autre. Mais quand son bonheur se passe sans nous,  on ressent un vide, un sentiment d'injustice, voire de cruauté. 

         

        Pour moi ce texte parle de la mort qui ravit ceux que l'on aime, du vide qu'ils laissent, de la place qu'ils prennent encore, de cette attente perpétuel, cet appel du coeur sans réponse.  Et quand il reviendra de son exil, c'est qu'on l'y aura rejoint.  Chacun ressent les textes différemment et c'est ça qui en fait sa richesse.  Et un même texte lu à différentes périodes de la vie, prendra un tour différent pour nous aussi. 

    3
    smara
    Jeudi 25 Avril 2019 à 19:03

    oui , la traduction est bonne : c'est dur de l'avouer mais je suis jaloux de te voir heureuse sans moi . 

    Et ton explication est aussi comme ça que je comprends cette phrase .

    ce qui me capture c'est cette fin de poème . "quand  tu reviendras enfin" : à la fois l'idée d'une longue attente et la certitude d'un retour puis : " ton oeil indifférent retrouvera le mien sans y chercher la bienvenue "  :l'indifférence comme un glas . 

     

      • Jeudi 25 Avril 2019 à 19:26

        Cet exil, un ailleurs où nos espoirs, nos sentiments, nos rêves ne comptent plus ?  Ce qu'on pleure ici bas n'existerait plus ailleurs ? 

        C'est dur de le penser, de l'envisager. Comment vivre l'absence si on ne trouve que l'indifférence après ?  Oh je préfère ne pas y penser en ces termes. 

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    4
    smara
    Jeudi 25 Avril 2019 à 20:30

    Personnellement , moi aussi je préfère ne pas penser en ces termes , c'est pourquoi cette fin me dérange. Mon espérance n'est pas celle là :)

      • Jeudi 25 Avril 2019 à 20:34

        La mienne non plus. Sinon je n'aurai plus envie de me lever le matin et de continuer cette vie. 

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