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Histoire du lion et de ses compagnons avec l’homme
Un lion habitait une forêt et il s’y sentait bien seul. Un matin, il décida d’explorer les montagnes pelées, de l’autre côté de la forêt, à la recherche d’un ami. Arrivé au sommet des montagnes, il inspecta l’horizon et vit s’élever dans la grande plaine grise un nuage de poussière. A l’intérieur du nuage, un drôle d’animal aux grandes oreilles galopait et ruait dans tous les sens. C’était un âne. Mais le lion n’avait jamais vu d’âne, c’est pourquoi il demanda :
- Qui es-tu ?
Et il ajouta – car ce point aussi le tracassait :
- Pourquoi courais-tu si vite ?
- Je suis l’âne, répondit le drôle d’animal en secouant ses grandes oreilles. Et si je galopais ainsi, c’était pour échapper à l’homme.
- L’homme ? Qui est-ce ? Et pourquoi voulais-tu lui échapper ?
- Chaque matin que le soleil fait, sans même que j’aie le temps de m’ébrouer, vloum ! un bât sur le dos. Ensuite, vloum ! deux grands sacs qui m’écorchent les flancs. Et voilà l’homme qui grimpe là-dessus ! Moi, je suffoque, je n’arrive même pas à lever une patte, et tu crois qu’il s’en soucie ? Ah oui ! Il me pique de son bâton pointu et m’oblige à l’emmener où il lui plaît.
Le lion n’aurait jamais pensé qu’il existait un animal aussi méchant.
- C’est vraiment affreux ! s’exclama-t-il. Reste donc avec moi, je te protégerai. Justement, je cherchais des amis.
Et ils partirent ensemble, très contents l’un de l’autre.
Ils marchaient au hasard dans la grande plaine grise lorsqu’ils virent monter du bout de l’horizon un tourbillon de poussière. Un dromadaire arrivait vers eux de toute la vitesse de ses grosses pattes. Ce fut l’âne qui le reconnut, car le lion n’en avait jamais vu. Il contempla avec un peu d’étonnement la bizarre bosse qui surmontait le dos de l’animal.
- Salut, dromadaire ! dit l’âne. Où vas-tu si vite ?
- Ouf ! souffla le dromadaire. Je crois que je lu ai enfin échappé.
- A qui ? demanda le lion.
- A l’homme, ce maudit !
- Encore lui ! Il est donc bien redoutable si même toi tu le crains. Tu parais pourtant de taille à te défendre.
- Redoutable ? C’est pire que cela ! Chaque jour, à l’heure où le soleil dort encore, il me fixe entre les mâchoires un morceau de fer qui me scie les lèvres et les joues. Ensuite il y tend une bride, et à la bride il attache une charrue, lourde comme vingt de mes bosses ! Et je dois tirer pendant qu’il appuie de toutes ses forces sur la charrue et l’enfonce dans le sol. Ce n’est qu’hier que j’ai pu m’enfuir.
- Et bien, reste avec nous, proposa le lion. Nous parcourons le monde à la recherche d’amis et je vous protégerai.
Ils traversèrent la grande plaine grise et rencontrèrent le cheval. Puis le mulet. Ces deux-là avaient aussi beaucoup à se plaindre de l’homme et ils ne s’en privèrent pas…
Un jour que l’âne était parti se promener tout seul, ses compagnons le virent revenir si affolé qu’il s’emmêla les pattes et s’étala par terre.
- Je l’ai vu ! hurlait-il. Il nous cherche sûrement.
Personne n’eut besoin de demander qui l’âne avait vu.
- Aide-nous, lion ! criait l’âne. Tu as promis de nous protéger.
- Oui, oui, tu as promis ! reprirent les autres en chœur. Et tu es fort, toi, tu ne crains personne !
Le lion ne se sentait pas fort du tout. Il aurait bien aimé pouvoir refuser mais ses amis avaient une si grande confiance en lui. Il fut donc obligé de partir à la recherche de l’homme. Il s’éloigna, avançant avec prudence, surveillant les alentours d’un œil méfiant, regardant autour de lui, mais il oublia de regarder devant lui et tomba dans un trou profond. Un peu étourdi, penaud, il se demanda comment il allait sortir de là. Dans l’espoir que ses amis l’entendent, il se mit à siffloter, grogna de plus en plus fort, et enfin lança un énorme rugissement. Une tête ronde apparut dans l’ouverture du trou :
- Eh bien, mon pauvre, que t’arrive-t-il ?
- Tu le vois, je suis tombé ! Peux-tu m’aider à sortir ?
La tête ronde lui jeta une longue corde. Le lion eu du mal à remonter le long des parois, ses griffes glissaient sur la corde, mais la tête ronde tenait ferme et le lion se retrouva au bord du trou. Il commença par s’en éloigner – on ne sait jamais – et examina celui qui venait de le tirer de ce mauvais pas.
- On dit qu’il ne faut pas juger les gens sur leur apparence, et on a raison. Tu sembles fragile, pourtant tu m’as sauvé d’un grand danger.
- Cela n’et rien, répondit la tête ronde. Il faut bien s’entraider. D’ailleurs, tu pourras peut-être m’être utile un jour.
Il s’apprêtait à partir mais le lion le retint.
- Attends ! Fais autre chose pour moi. Je cherche l’homme. Saurais-tu par hasard où il se trouve ?
- Rien de plus facile. Il est en face de toi. Je suis l’homme.
Le lion en fut muet d’étonnement et se sentit de nouveau très fort.
- Toi, l’homme ! Eh bien, mon pauvre ami, tu n’as pas de chance. Je dois te punir et c’est pour cela que je te cherchais.
- Me punir ? De quoi s’il te plaît ? Je ne te connais pas, je ne t’ai fait aucun mal.
- C’est vrai, ce sont mes amis que tu as maltraités. L’âne, le dromadaire, le cheval et le mulet m’ont chargé de les venger et je le leur ai promis.
- Tu oublies quelque chose : je viens de e sauver d’un grand danger. Tu voudrais me punir après cela ? Peut-on rendre le mal pour le bien ?
Interloqué, le lion hésita.
- Sais-tu ? reprit l’homme. Nous allons partir tous les deux et nous soumettrons le cas à la première personne que nous rencontrerons. Elle jugera entre nous.
- Bien raisonné, approuva le lion.
Et ils se mirent en route pour chercher la réponse à cette question : Peut-on rendre le mal pour le bien ?
La première personne qu’ils rencontrèrent fut un chien sloughi. Il était très vieux, très maigre, n’avait plus de dents et leur parut très sage. Le lion et l’homme s’expliquèrent, puis interrogèrent leur juge :
- Qu’en penses-tu ? Peut-on rendre le mal pour le bien ?
Le sloughi répondit :
- Quand j’étais jeune, j’étais au service de l’homme et je chassais pour lui le chacal. Alors, il me nourrissait de couscous ; il enlevait de sa bouche les meilleurs morceaux de viande pour me les donner. Et j’ai vieilli. Mon souffle s’est raccourci, mes pattes se sont alourdies. Quand le chacal a commencé à se jouer de moi, l’homme m’a dit : « À quoi sers-tu désormais ? Tu ne mérites mêle pas une croûte de pain. Va-t’en ! » Et il m’a chassé, moi qui l’avais fidèlement servi. Voilà pourquoi je vous dis, à vous qui me l’avez demandé : Oui, l’homme rend le mal pour le bien, l’homme n’est qu’un traître ! Je donne raison au lion.
Le lion se retourna vers l’homme mais celui-ci leva un doigt en souriant et, s’adressant au sloughi :
- Oublierais-tu que tu ne peux être juge et partie ? Tu as à te plaindre de l’homme, et la colère t’aveugle. La justice ne peut pas être aveugle. Je refuse ton jugement et demande un autre juge.
Le lion dut reconnaître que l’homme avait raison et que le sloughi ne pouvait être impartial. Ils le laissèrent à sa tristesse et s’en furent chercher ailleurs la réponse à cette question : peut-on rendre le mal pour le bien ?
La deuxième personne qu’ils rencontrèrent fut une vieille vache. Elle broutait une herbe rare en se traînant sur ses pattes fatiguées. Ils s’expliquèrent, attendirent sa réponse. Après avoir ruminé quelques brins d’herbe, elle dit :
- Quand j’étais jeune, j’étais au service de l’homme et je lui donnais des veaux et du lait. Alors, il me conduisait à de gras pâturages ; il m’apportait chaque soir de l’herbe qui me servait de litière. Et j’ai vieilli. Mon lait s’est tari, mon ventre s’est flétri. L’homme m’a dit : « A quoi sers-tu désormais ? Tu ne mérites même pas une croûte de pain. Va-t’en ! » Et il m’a chassé, moi qui l’avais fidèlement servi. O vous qui me l’avez demandée, voici ma réponse : Oui, l’homme rend le mal pour le bien, l’homme n’est qu’un traître ! Je donne raison au lion.
L’homme refusa aussi ce deuxième jugement. Le lion accepta de tenter une autre expérience, mais il avertit l’homme ;
- Di le troisième est encore du même avis, je considérerai que c’est moi qui ai raison et je m’acquitterai de ma vengeance. J’ai bien peur qu’on ne puisse trouver sur terre personne qui n’ait à se plaindre de toi …
Ils marchèrent donc et finirent par rencontrer un hérisson qui chauffait ses piquants au soleil. Ils s’assirent, lui expliquèrent ce qu’ils attendaient de lui. Le hérisson s’étira paresseusement, bâilla largement et déclara enfin :
- Hmmm… J’ai dû rester trop longtemps au soleil. J’ai la tête lourde et ne comprends pas très bien. Pouvez-vous recommencer ?
On recommença. Le hérisson s’écria :
- Non ! C’est trop difficile ainsi. Et ma tâche est terriblement délicate. Nous allons tout reprendre depuis le début. Conduisez-moi à l’endroit où vous vous êtes rencontrés.
Ce qu’ils firent.
- Voilà le trou dans lequel je suis tombé, dit le lion. C’est de là que l’homme m’a sorti.
- Mais… comment a-t-il pu te sortir de là ? s’étonna le hérisson.
L’homme s’approcha et prit la corde.
- Je lui ai jeté cette corde-ci.
Et il la jeta au fond en la tenant ferme par l’autre bout.
- Et moi, reprit le lion, je m’y suis accroché et je suis remonté. Comprends-tu maintenant ?
- Je comprends mieux, dit le hérisson. Mais ce que je ne comprends pas, c’est comment tu as pu tomber dans ce trou.
- C’est simple, expliqua le lion, agacé. Je marchais en regardant autour de moi et…
- Comment cela, en regardant autour de toi ?
- Eh bien, en regardant autour de moi !
- Montre-le-moi, alors !
Le lion se mis à marcher en regardant autour de lui et… il tomba dans le trou ! Un peu étourdi, il se secoua, puis s’apprêta à saisir la corde en disant au hérisson :
- J’espère que tu as compris à présent, tête dure !
- J’ai parfaitement compris ! répondit le hérisson.
- Et moi aussi ! dit l’homme, qui jeta la corde au fond du trou en riant.
Le lion aussi avait compris, mais trop tard !
L’homme et le hérisson s’en allèrent sans lui accorder un regard ni écouter une plainte. Ils marchèrent un moment en silence, puis l’homme se tourna vers le hérisson.
- Sais-tu petit hérisson, que j’ai eu beaucoup de chance de te trouver ? Tu m’as sauvé la vie. Et sais-tu autre chose ? Tu vas pouvoir sauver celle de mon fils.
L’homme raconta que le médecin avait prescrit comme remède à la maladie qui consumait son fils un bouillon de hérisson. Cela faisait des jours qu’il en cherchait un.
- Oui, oui, dit le hérisson en se grattant le bout du nez. Ton médecin est un grand médecin. Mais tu comprendras que je t’indique quelqu’un d’autre que moi pour faire ton bouillon ! Je connais un trou où nichent des bébés hérissons. Ils sont tendres, ils feront un meilleur remède pour ton fils.
Le hérisson conduisit donc l’homme vers un trou, non loin de là.
- C’est ici. Tâte-les et choisis le plus gras.
- Me prendrais-tu pour un imbécile ? entre d’abord, et fais-les sortir.
- Comme tu voudras.
Or au fond de ce trou vivait un serpent. Le hérisson se mit en boule, piqua durement le serpent et le poussa hors du trou en criant à l’homme :
- En voilà un beau ! Attrape-le !
Comme les serpents n’aiment pas beaucoup qu’on les dérange au fond de leur trou, l’homme fut mordu. Il se releva en criant et prit ses jambes à son cou. Peut-être même court-il encore.
Le hérisson se déroula et repartit tranquillement vers son trou à lui. Il en avait vu d’autres !
Quant au lion, on raconte que ses compagnons l’ont retrouvé et qu’ils ont repris leurs voyages. Mais il y a un nom qu’il ne faut surtout jamais prononcer devant eux …
Extrait de « Avec la rivière mon conte s’en est allé » de Jocelyne LAABI –.
« Le Riche et le pauvre de Jocelyne LaabiLe Lotus et l'Epée : Le pouvoirs mystérieux des moines Shaolin »
Tags : l’homme, lion, herisson, âne
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Commentaires
2Michèle CapletVendredi 30 Juin 2017 à 18:23
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Belle histoire ! Tel est pris qui croyait prendre !
Une punition qui ne lui servira hélas pas de leçon.