• Connais-moi de Marie Noël

    Connais-moi de Marie Noël

     

     

    Connais-moi si tu peux, ô passant, connais-moi !

    Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire :

    La poussière sans nom que ton pied foule à terre

    Et l'étoile sans nom qui peut guider ta foi.

     

    Je suis et ne suis pas telle qu'en apparence :

    Calme comme un grand lac où reposent les cieux,

    Si calme qu'en plongeant tout au fond de mes yeux,

    Tu te verras en leur fidèle transparence...

     

    Si calme, ô voyageur... Et si folle pourtant ! 

    Flamme errante, fétu, petite feuille morte

    Qui court, danse, tournoie et que la vie emporte

    Je ne sais où mêlée aux vains chemins du vent.

     

    Sauvage, repliée en ma blancheur craintive

    Comme un cygne qui sort d'une île sur les eaux,

    Un jour, et lentement à travers les roseaux

    S'éloigne sans jamais approcher de la rive...

     

    - Si doucement hardie, ô voyageur, pourtant !

    Un confiant moineau qui vient se laisser prendre

    Et dont tu sens, les doigts serrés pour mieux l'entendre,

    Tout entier dans ta main le coeur chaud et battant. -

     

    Forte comme en plein jour une armée en bataille

    Qui lutte, saigne, râle et demeure debout ;

    Qui triomphe de tout, risque tout, souffre tout,

    Silencieuse et haute ainsi qu'une muraille...

     

    Faible comme un enfant parti pour l'inconnu

    Qui s'avance à tâtons de blessure en blessure

    Et qui parfois a tant besoin qu'on le rassure

    Et qu'on lui donne un peu la main, le soir venu...

     

    Ardente comme un vol d'alouette qui vibre

    Dans le creux de la terre et qui monte au réveil,

    Qui monte, monte, éperdument, jusqu'au soleil,

    Bondissant, enflammé, téméraire, fou, libre !...

     

    Et plus frileuse, plus, qu'un orphelin l'hiver

    Qui tout autour des foyers clos s'attarde, rôde

    Et désespérément cherche une place chaude

    Pour s'y blottir longtemps sans bouger, sans voir clair...

     

    Chèvre, tête indomptée, ô passant, si rétive

    Que nul n'osera mettre un collier à son cou,

    Que nul ne fermera sur elle son verrou,

    Que nul hormis la mort ne la fera captive...

     

    Et qui se donnera tout entière pour rien,

    Pour l'amour de servir l'amour qui la dédaigne,

    D'avoir un pauvre coeur qui mendie et qui craigne

    Et de suivre partout son maître comme un chien...

     

    Connais-moi ! Connais-moi ! Ce que j'ai dit, le suis-je ?

    Ce que j'ai dit est faux - Et pourtant c'était vrai ! -

    L'air que j'ai dans le coeur est-il triste ou bien gai ?

    Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ?... Le puis-je ?...

     

    Quand ma mère vanterait

    A toi son voisin, son hôte,

    Mes cent vertus à voix haute

    Sans vergogne, sans arrêt ;

    Quand mon vieux curé qui baisse

    Te raconterait tout bas

    Ce que j'ai dit à confesse...

    Tu ne me connaîtras pas.

     

    Ô passant, quand tu verrais

    Tous mes pleurs et tout mon rire,

    Quand j'oserais tout te dire

    Et quand tu m'écouterais,

    Quand tu suivrais à mesure

    Tous mes gestes, tous mes pas,

    Par le trou de la serrure...

    Tu ne me connaîtras pas.

     

    Et quand passera mon âme

    Devant ton âme un moment

    Éclairée à la grand-flamme

    Du suprême jugement,

    Et quand Dieu comme un poème

    La lira toute aux élus,

    Tu ne sauras pas lors même

    Ce qu'en ce monde je fus... 


    Tu le sauras si rien qu'un seul instant tu m'aimes !

     

     

    Extrait du recueil "Les Chansons et les Heures"

     

    https://www.youtube.com/watch?v=ae1JIibqh3M

     

    « Jeff BUCKLEY, touché par la GRACEMichael Volpicelli, des portraits de mots »
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  • Commentaires

    1
    Mardi 16 Août 2022 à 06:39

    Quel magnifique poème !

    Très bonne journée et gros bisous.

    2
    Mardi 16 Août 2022 à 07:05

    C'est puissant 

    Cette voix transcende le texte 

    Merci Brigitte c'est un beau poème 

    3
    Mardi 16 Août 2022 à 14:05
    Renée

    c'est sublime. Bisous

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    4
    Mardi 16 Août 2022 à 16:41

    bonjour brigitte,

     merci brigitte pour ce poème qui est magnifique des mots qui s'assemblent sans fausse note  j'ai laissé quelques larmes en l'écoutant merci brigitte et douce soirée gros bisous monette

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