• Wladyslaw Szlengel  -  Ce que je lisais aux morts

    Wladyslaw Szlengel  -  Ce que je lisais aux morts

     

    Comment parler de ce recueil émouvant, bouleversant, douloureux ? Je préfère vous offrir la présentation du début d’ouvrage, écrite par Jean-Yves Potel

    « Quand la mort est prête, quand elle ouvre ses bras, fait-on des poèmes et des chansons ? Dans les ghettos où les nazis enfermaient les Juifs avant de les tuer, oui. À Varsovie, Władysław Szlengel se voit dans un bateau qui coule, il se fait le « chroniqueur des naufragés ». Il dit vouloir donner corps à la statistique, laisser une « illustration », il veut « enrichir l’histoire future » d’une « contribution ». Il écrit des « poèmes-documents ». Il sera très vite assassiné. Il le sait. Et il envoie ses poèmes à ceux qui ne mourront pas, aux survivants polonais et à nous, les générations futures. C’est sa dernière volonté. On peut le croire. Les circonstances l’y ont contraint. Il a inscrit « ce que je lisais aux morts » sur la liasse qu’il a confiée aux archivistes d’Oyneg Shabes et à un Polonais de « l’autre côté ». C’est son titre. Mais a-t-il écrit ces poèmes pour nous ? Pas exactement. Il s’adressait aux vivants, à ceux qui croyaient encore pouvoir s’en sortir. Il aimait les faire rire. Il se moquait de leurs illusions. Ou les confortait. Avant la grande déportation de l’été 1942 qui les a emportés à Treblinka, il leur avait tout lu. Szlengel n’écrivait pas pour « après », pour les commémorations futures qu’il raillait. Il écrivait pour maintenant. Pour survivre. Passer des heures à taper ses textes, à les lire dans les ateliers, était son combat. Il se battait avec des textes. Le verbe. Sa seule arme. Son seul capital. Un appel dans la nuit. Un acte libre. L’écriture s’affirme ici comme une initiative déraisonnable, irrationnelle, absurde. Pourquoi ce bruit de machine à écrire alors qu’il faut se cacher, aider les amis, la famille, les enfants, prendre les armes ? À quoi cela sert-il ? Pleure-t-il ? Prie-t-il ? Non, il écrit. Ses lecteurs sont là. Ils écoutent, recopient, apprennent par cœur, répètent. Il y a comme une fusion entre le poète et ces gens entassés devant la mort qui vient. Des Juifs. Une « mort en gros », une « mort cachée ». Elle les unit à jamais en ces jours du printemps 1943, à Varsovie. Posture héroïque ? Romantisme ? On l’a dit. Il n’est pas certain que ce poète, qui cherchait l’inspiration dans « la morne chronique des jours », se vivait ainsi. Il l’a d’ailleurs précisé : « Je ne suis pas un héros, on m’a jeté là contre ma volonté, sans avoir commis de fautes, sans raison supérieure. » Comprenez : on me tue parce que je suis né juif, rien de plus.

    C’est un poète dans la tourmente, un jeune homme de trente-deux ans devant une fin qui n’a aucun sens, une mort qui « danse avec le hasard et les pistons », qui va l’emporter tout de suite comme tout le monde autour de lui. Sa poésie naît de ce moment, de ce lieu. Elle est une voix étrange, cruelle, drôle, charmeuse, tendre parfois, taquine même , une voix qui monte de ce décor lugubre inventé par les nazis, le ghetto. « Même en dansant avec la mort », elle dit ce qu’elle dit en des vers clairs et légers, en racontant des petites histoires. En se moquant. En dénonçant. Elle joue avec l’imaginaire ordinaire et quelques mythes, pour mieux souligner le dérisoire d’une situation tragique. Elle interroge et condamne Dieu. Cette voix, il nous faut l’entendre. » (…)

    « Doublure, des voix qui valent de l'orNeila »
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