• Pierre de Massot - Le Déserteur

    DE MASSOT Pierre [DE MASSOT DE LAFOND Marie, Joseph, Alphonse, Pierre (...)  - Maitron

     

     

    Non non la vie ne vaut à aucun prix la peine
    d’être vécue et je sais bien qu’un prochain jour
    je m’en déferai comme d’une veste à la couleur
    et à la coupe de laquelle on ne peut s’habituer
    pour la première fois vraiment heureux sans doute
    mais néanmoins avec la neige
    d’une mélancolie infinie amassée dans mon cœur
    lourdement amassée dans les replis de mon cœur
    comment pourrais-je donc regretter quelque chose
    moi qui ne me suis jamais attaché à rien
    sinon à cette étoile immense inaccessible et toujours plus lointaine
    qu’est l’amour
    sinon à cette flamme dévoratrice et sibilante
    qu’est l’amour
    sinon sur le désert brûlant des corps à ce soleil implacable
    qu’est l’amour
    sinon à ce grand rêve où sombrent tous les rêves
    qu’est l’amour
    sinon à cette mort chaque fois plus mortelle
    qu’est l’amour
    comment pourrais-je encore espérer quelque chose
    moi qui désespérais de tout au monde
    comment pourrais-je croire à quelque chose au monde
    moi qui jamais n’ai cru en rien
    moi l’éternel chercheur d’or au fond de tes yeux
    de tes yeux d’or où les paupières
    faisaient de l’ombre sur mon ciel
    pour me ravir mieux mon trésor
     
    Mes amis sont partis tous mes amis sont morts
     
    Édouard Édouard toi que j’ai tant aimé
    toi sur le cœur de qui j’ai dormi tant de soirs
    toi à cause de qui je meurs de vivre et de t’attendre
    Erik nos promenades tout au long de la nuit
    sur les berges du fleuve où venaient les étoiles
    perles aux doigts du vent éclore entre nos mains
    Jacques autour de la lampe quand les fumées d’opium
    nous enivraient j’aurais voulu j’aurais bien dû
    te serrer dans mes bras et te dire et dire Jacques
    mais le train passe et l’heure passe et le temps passe
    comment ô bien-aimés ai-je pu vivre
    sans vous une seule heure une seule
     
    Je me le demande souvent le soir à cette heure
    où vous m’entourez invisibles
    me pressant de vous rejoindre
    vous que seuls je voudrais revoir
    ô visitation silencieuse et pleine pourtant de rumeurs
    de murmures comme de baisers perdus entendus
    par l’oreille appliquée au creux d’un coquillage
    quand l’océan déferle aux flancs des monstres glauques
     
    Fantômes de l’Amour qu’êtes-vous devenus
     
    Bordel de sacré nom de dieu qu’ils prennent garde
    ceux qui voudraient me dire que la vie après tout
    qu’il existe ici-bas des devoirs des obligations
    qu’il est tout à fait impardonnable de s’y soustraire
    et qu’elle est belle à qui sait lui sourire
    et cætera des conneries en veux-tu en voilà
    j’ai trop souffert pour les entendre et ne tolérerai
    pas d’être ainsi emmerdé Est-ce compris
    que la blatte en soutane le serpent à cornette
    ne profitent pas de mon agonie si par mégarde
    ma mort n’est point instantanée
    pour cheminer le long de la muraille
    et pour ramper jusqu’au bois de mon lit
    avec un affreux bruit de chapelets de patenôtres et d’oremus
    à d’autres ces sornettes bons apôtres
    qu’on me laisse crever en paix dans la ténèbre
    comme une pauvre bête se cache pour mourir
    on ne présente pas les armes que je sache
    aux déserteurs On les fusille
    Je n’ai jamais été ici qu’un déserteur

     

    Pierre de Massot
    1931

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Mars 2023 à 06:34

    Un poème "fort"....

    Très bon dimanche et gros bisous.

    2
    Balaline
    Dimanche 5 Mars 2023 à 18:15

    Un peu à la manière du slam, j'entends ce chant d'amour qui le poursuit, mêlé de regrets, de la fuite du temps qu'on ne peut rattraper et de ces fantômes qui viennent le hanter comme un manque absolu. 

    Merci Brigitte pour la découverte, je connaissais le poème de Boris Vian mais pas celui-là. Belle soirée.

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