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La Vouivre de Cubry
Une des légendes les plus répandues dans toute le Franche-Comté est la légende de la Vouivre. Un grand nombre de villages, en effet, ont leur légende de la Vouivre, il en existe des dizaines, toutes différentes, mais la description que l'on trace de cet être, mystérieux et terrible, qu'on ne nommait pas sans frisson, est partout la même.
La Vouivre est un serpent ailé dont l'œil unique, l'escarboucle, qu'elle porte en avant du front, au bout d'une sorte d'antenne, brille de mille feux. Elle glisse dans l'air comme une lueur rapide, comme une étoile filante.
C'est, dit-on, une princesse méchante que le Ciel a punie en la condamnant à errer dans les falaises rocheuses, comme les roches de Nans et le mont Bleuchin, près de Cubry, les gorges de Nouailles, près de Mouthier, ou dans les vieux châteaux de l'Aigle, d'Arlay, de l'Etoile, de Montrond, de Vadans, j'en passe.
Pour se rafraîchir, elle aime se plonger dans l'eau claire et pure des sources, des ruisseaux, des fontaines. Mais avant elle dépose et cache sur le bord, sa belle escarboucle qui est une pierre précieuse d'une valeur inestimable. Aussi, celui qui réussit à dérober l'eescarboucle voit son audace récompensée par la fortune, mais attention, le monstre veille et plus d'un imprudent a égé puni de sa cupidité.
C'est ainsi qu'une Vouivre terrorisait la région de Rougemont.
Elle habitait de préférence les forêts du mont Bleuchin, proche de Cubry, et aussi les roches de Nans.
Ceux qui l'avaient vue volant la nuit disaient : C'est un serpent d'une taille extraordinaire, avec une cuirasse d'écailles, une gueule rouge, une langue effilée, des ailes de chauve-souris, noires et larges, l'oeil unique qu'elle porte au front jette une vivre lueur qui laisse dans son sillage une longue traînée brillante.
La Vouivre de Cubry était cruelle. Sa cruauté était connue à plus de dix lieues à la ronde et les gens du pays redoutaient de la rencontrer.
On lui prêtait les méfaits les plus horribles : plusieurs bergers étaient restés idiots après l'avoir vue ; elle avait rendu aveugle un paysan de Nans ; un habitant de Cubry qu'elle avait frôlé était paralysé ; une femme de Rougemont avait eu un sein dévoré par le monstre on avait retrouvé les cadavres exsangues de gens dont elle avait sucé le sang ; plusieurs personnes même avaient disparu et on l'accusait de les avoir jetées dans un précipice.
Elle n'avait de pitié pour personne, tous : enfants, femmes, hommes, vieillards étaient ses victimes.
La nuit, nul n'osait plus traverser la forêt et même en plein jour on tremblait si on était obligé de s'y aventurer.
Les bonnes gens du pays demandèrent au Ciel sa protection. On pria Dieu, on fit des neuvaines, on se rendit en pèlerinage auprès de toutes les statues de la Vierge Marie qui protègent le terroir, on organisa des processions.
Rien n'y fit !
Le Ciel se montrait insensible aux prières, et les horreurs de la Vouivre continuaient, et les braves gens avaient peur !
Si peur que le seigneur du pays, un sire de Moustier, s'en émut :
Il était jeune, bon et courageux. Il résolut d'attaquer la terrible bête, de la tuer ou, du moins, de l'obliger à quitter la région.
Il était un noble Chevalier de Saint-Georges. Fidèle aux règles de son ordre, avant de se risquer dans sa dangereuse entreprise, il fait retraite pendant trois jours dans la chapelle de la Confrérie de Saint-Georges à Rougemont, invoquant son saint patron et priant pour attirer sur lui les grâces divines.
Il promit, s'il parvenait à triompher de la Vouivre, d'ériger un châteaux sur le mont Bleuchin.
Pour mettre toutes les chances de son côté, il se rendit même à Besançon pour faire bénir ses armes par Monseigneur l'Archevêque
Dès son retour il se mit en campagne.
Dans l'espoir de rencontrer la Vouivre, à cheval, il parcourt, la nuit, les forêts environnantes. Il se rend au pied des roches de Nans, aux sources du Drijeon où la Vouivre, disait-on, aimait à se plonger.
Ses recherches furent vaines. une ou deux fois pourtant il vit la redoutable bête, volant, glissant au-dessus des arbres, hors de sa portée en laissant une longue traitée lumineuse.
Le Sire de Moustier connut, un moment, le découragement, mais il avait fait un serment, foi de gentilhomme, il le tiendrait.
Il poursuivit donc ses recherches.
Une nuit, monté sur son cheval, sa grande épée battant à son côté, sa lance à la main, le noble chevalier, une fois de plus parcourait la forêt. Soudain, à peu de distance, il entend des cris humains, des cris de détresse. Il éperonne son cheval et sa lance en avant, il bondit vers l'endroit d'où viennent les cris. Brusquement il est le témoin d'un affreux spectacle : la Vouivre est là, allongée sur le corps d'un malheureux qu'elle est en train de tuer. Lançant son cheval au galop il se précipite sur elle, lui place un coup de lance qui glisse sur les écailles
La Vouivre abandonne alors sa victime et fonce sur son agresseur ébloui un instante par l'escarboucle, il n'évite un terrible coup de queue du monstre qu'en cabrant son cheval, mais il reste ferme sur ses étriers.
La bête revient à la charge, il la blesse plusieurs fois de sa lance qui, finalement, sous les chocs répétés, se brise sur les écailles de l'animal. Il s'arme alors de son épée, mais la Vouivre furieuse fonce sur le cheval dont elle laboure les flancs. La monture se cabre puis s'écroule et dans sa chute arrête la bête. Le cavalier a eu le temps de sauter à terre et avant que la Vouivre ait pu reprendre son vol, de son épée il lui perce le coeur
L'animal se débat au milieu d'un sang noir Le chevalier ne reitre son fer que lorsque la Vouivre a rendu le dernier soupir.
Le noble chevalier, on s'en doute, fut chaudement félicité. Chacun se sentit délivré d'un grand poids. Les cloches sonnèrent à toute volée.
Le sire de Moustier qui était seigneur de Cubry, Cubrial, Nans et autres lieux, tint sa promesse et fit construire sur le mont bleuchin, en souvenir de sa victoire, le château de Bournel. Au-dessus d'une des portes du château, en hommage aux nombreux de Moustier qui furent Chevaliers de Saint-Georges, il y a une sculpture représentant saint Georges terrassant le dragon. Le souvenir de la Vouivre reste si profond dans la région que beaucoup de braves gens affirment encore aujourd'hui que cette sculpture représente le noble sire de Moustier tuant la vouivre de Cubry
Robert BICHET
extrait de "Récits, contes, légendes de mon pays comtois"
« L'été ne fut pas adorable de Paul Verlaine Ce scorpion est énorme ! Mais minuscule.... Euscorpius Flavicaudis - AMDE »
Tags : vouivre, cubry, mouthier, cheval, saint
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Commentaires
Toutes les légendes ont un côté fascinant quand on pense qu'elles ont traversé les âges, parfois avec un fond de vérité.
Je me souviens du roman de Marcel Aymé que j'avais beaucoup apprécié à l'époque.
Belle soirée Brigitte
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Joli conte.
Bonne journée Brigitte.
Christian