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La Vierge Barbue de André Besson
Au début de l'ère chrétienne, Baume-les-Dames ne s'appelait pas encore ainsi car l'abbaye bénédictine qui lui donna le nom de Baume-les-Nonnes n'y fut fondée qu'au VIIIè siècles.
Un vieux château burgonde aux murailles ébréchées par les sièges et les ans dominait la vallée de Doubs. C'était la Tour de l'Aigle. On désignait ce sinistre castel de la sorte parce qu'il appartenait à un seigneur cruel qui parcourait les campagnes voisines sur un grand cheval noir, en faisant flotter sa longue cape semblable aux ailes déployées d'un rapace. Cet homme était très redouté de ses misérables serfs qu'il pressurait sans vergogne. Ils tremblaient en le voyant traverser la plaine à la vitesse du vent ou surgir à l'improviste à l'orée d'un bois. A chaque carrefour, des pendus décharnés rappelaient à tous qu'il fallait, sans mot dire, respecter son autorité.
Aux alentours de l'an 600, un pèlerin nommé Eustaise, disciple du moine irlandais st Colomban, fondateur de l'abbaye de Luxeuil, vint apporter la parole du Dieu des chrétiens aux populations de la vallée du Doubs. Logeant tour à tour dans les huttes des paysans et des pêcheurs, il parvint à évangéliser en quelques années les populations d'un certain nombre de bourgades encore vouées au paganisme des temps celtiques.
Au pied de la Tour de l'Aigle se trouvait un minuscule village habité par de pauvres bougres qui travaillaient les terres du seigneur et vivaient dans le plus total dénuement L'un de ces paysans avait une fille prénommée Acombe. Elle était ravissante, avec une longue chevelure blonde annelée. Des yeux clairs un peu bleutés. Un teint de pétale. Un corps parfait semblant modelé par un sculpteur.
Dès l'arrivée de l'évangélisateur dans la région, la jeune fille adopta la foi nouvelle. Elle vint prier chaque jour dans une grotte de la falaise où les premiers chrétiens se réunissaient clandestinement.
Le seigneur de la Tour de l'Aigle ne s'était quant à lui pas laissé convertir par le pèlerin Eustaise. Il l'avait au contraire chassé de son château et banni de ses terres en le menaçant du gibet Il avait aussi promis le même sort à tous ceux qui, parmi ses serfs, se laisseraient séduire par le nouvelle croyance prêchant la non-violence et l'amour du prochain.
En dépit des avertissements proférés par le cruel châtelain, le disciple de saint Colomban, n'en avait pas moins poursuivi sa mission. A présent, de nombreux habitants du village sis au pied de la tour étaient devenus adeptes de la religion de Jésus-Christ. Ils récitaient et chantaient ensemble les prières et les psaumes que la jolie Acombe avait appris par cœur avant le départ du catéchiste.
Un jour, le seigneur païen fut informé des réunions secrètes qui se tenaient dans la grottes. Il vient, avec ses gardes, arrêter les prosélytes de la nouvelle foi. Il les ramena enchaînés à la Tour de l'Aigle et, à titre d'exemple, déclara qu'ils seraient tous pendus. Bouleversée, Acombe quitta les rangs des condamnés et s'accusa d'être la seule responsable de la propagation de la religion interdite. Elle s'offrit à mourir à la place de ses compagnons.
Après un temps de réflexion, le châtelain parut céder à la demande de la jeune chrétienne. Il libéra les paysans mais garda Acombe prisonnière. Celle-ci s'apprêta, en priant, à subir le châtiment auquel elle s'était elle-même condamnée. C'est-à-dire à être pendue haut et court aux branches d'un arbre.
Son ravisseur avait une autre idée en tête Dès qu'ils furent seuls dans la grande salle du donjon, il se précipita sur elle pour assouvir ses désirs lubriques. Acombe tenta vainement de le repousser, mais son suborneur était doté d'une force peu commune. Il allait parvenir à ses fins lorsque sa victime innocente eut, comeme ultime recours, l'idée s'adresser au ciel cette prière :
- Mon Dieu ! Je vous en supplie, faites-moi laide !
A peine eut elle prononcé ses paroles qu'un éclair illumina la pièce, obligeant le violateur à fermer les yeux. Lorsqu'il les rouvrit quelques instants après, il fit cette étrange constatation : le joli visage de la jeune fille s'était couvert d'une barbe abondante et sa blonde chevelure était devenue aussi hirsute que celle d'un soudard !
Dépité, refréné dans ses ardeurs coupables, le seigneur de la Tour de l'Aigle abandonna sa victime à ses gardes et leur laissa le soin de la châtier.
Les archers conduisirent la vierge barbue jusqu'à un carrefour de routes proche du château. Ils la crucifièrent à un chêne et l'abandonnèrent à une lente agonie.
Durant les mois qui suivirent le sacrifice de la jeune chrétienne, le seigneur païen fut en proie chaque nuit à un cauchemar obsessionnel. Il se vit agressé et tourmenté en rêve par un personnage barbu qui lui reprochait son crime. Il en perdit la raison. Il finit par se jeter du haut de la Tour de l'Aigle et s'écrasa dans la cour du château.
Après sa mort, les paysans du village édifièrent une chapelle à l'endroit où le vierge martyre avait été suppliciée. Un scultteur dédia à la sainte une belle statue en pierre polychrome. Celle-ci devint bientôt l'objet d'une grande vénération. On organisa chaque année un pèlerinage sur les lieux du supplice et l'on vient de fort loin y assister.
Aujourd'hui encore, dans la chapelle du Saint-Sépulcre à Baume-Les-Dames, on peut admirer l'émouvante statue de Sainte Acombe. Elle est représentée avec une grande barbe qui lui cache la moité du visage et de la poitrine. Elle est attachée, toute vêtue, à une croix par de grosses cordes.
D'après la légende, les villes vertueuses qui viennent la prier sont assurées de trouver un bon mari dans l'année !
André BESSON
Contes et légendes du pays comtois.
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Tags : tour, baume, abbaye, doubs, chretiens
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Commentaires
Toutes ces légendes qui ont une part de vérité nous donnent des frissons. Ces horribles seigneurs se croyaient tout permis et bien sûr nul ne pouvait s'y opposer.
C'est effrayant de voir toutes les bassesses et les cruautés de l'être humain,et qui perdure encore de nos jours.
Belle soirée Brigitte
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Un joli conte.
Bon lundi Brigitte.
Christian