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La femme loup-garou
Sur l’île d’Haïti vivant un homme heureux. Il avait épousé une femme aux lèvres de grenade, au parfum de lilas, aux yeux plus doux que le miel. Elle lui avait donné des enfants beaux comme des soleils. Ils avaient grandi vite. Et maintenant l’homme et la femme se retrouvaient ensemble comme au commencement.
Il croyait tout connaître de la belle qui avait traversé la vie dans ses bras. Pourtant, toutes les nuits, la femme se glissait sans bruit hors du lit, laissant derrière elle son parfum de sève tendre. Dans l’ombre de la cuisine, elle frottait son corps d’une graisse épaisse qui la faisait devenir transparente sous la lune. Par la fenêtre ouverte, elle s’envolait nue, plus légère qu’un souffle, rejoindre ses amis loups-garous. Et cela, son mari ne le savait pas.
A la belle initiée, il ne manquait plus qu’une chose : le tambour magique qui lui permettrait de rassembler ses alliés, de parler avec les esprits, de voyager sous terre, dans l’air et dans les eaux. Et la membrane de son tambour devrait être faite d’une peau particulière. D’une peau humaine.
« S’il faut que quelqu’un meure, se disait-elle, que ce soit l’être auquel je tiens le plus au monde : mon époux. Ainsi lorsque j’approcherai mon tambour du feu, ce sera le plus doux, le plus tendre, le plus sensible des amants qui viendra me rejoindre. Et nos transes seront chaque fois des noces nouvelles ! » Voilà ce que pensait l’amoureuse possédée. Mais hélas, tout le monde ne peut comprendre les preuves d’amour d’une femme loup-garou. Un voisin est venu prévenir le mari du danger. Comme l’autre ne le croyait pas, il lui a donné rendez-vous le soir même au pied du grand mapou, à la sortie du village.
Toute la journée, les paroles du voisin n’ont cessé de tourner dans la tête de l’époux. Au soir, caché dans l’ombre du grand mapou, il a découvert une orgie endiablée de belles haletantes et de sauvages griffus. Bientôt est montée dans l’air brûlant une voix de femme qu’il a aussitôt reconnue :
« J’entendrai les chants sous terre, mes yeux brûleront l’obscurité, je galoperai jusqu’à la source sur mon tambour en peau de mari, sur mon tambour en peau de mari.. »
Jusqu’à l’aube l’époux est resté fasciné par la danse des garous. Ses enfants inquiets ont fini par le retrouver tard dans la matinée, errant au hasard des ruelles, le visage tourmenté, les yeux grands ouverts sur l’abîme de la nuit. Il leur a tout dit.
Ce soir-là, il s’est allongé une fois encore près de sa femme aux yeux de miel. Une fois encore il a embrassé ses lèvres de grenade qu’il aimait tant, il a caressé ce corps de liane qu’il connaissait si bien. La belle a ondulé avant de s’endormir entre les bras tendres de son homme. Alors, dans son cou, il s’est mis à chanter tout doucement :
« J’entendrai les chants sous terre, mes yeux brûleront l’obscurité… »
Elle a remué dans son sommeil, ses sourcils se sont froncés comme si elle faisait un mauvais rêve. D’une main endormie, elle a repoussé le visage de l’homme. Au même instant les enfants ont surgi des recoins obscurs de la chambre et se sont avancés vers le lit en psalmodiant de plus en plus fort :
« Je galoperai jusqu’à la source sur le tambour en peau de mari, sur le tambour en peau de mari… »
Le chant a couru sur la peau de la femme. Un long tremblement a parcouru tout son corps. Soudain une flamme bleue s’est allumée à la pointe de son sein et l’a embrasée entièrement. Quand les enfants ont rallumé la lumière, il n’y avait plus trace de leur mère.
Au petit matin, pourtant, le mari a retrouvé au creux du grand lit blanc trois grains de grenade rouge sang, une larme de miel douce, si douce… et un souffle de lilas qui aussitôt, par la fenêtre s’est enfui. Est-ce qu’il l’a suivi ? L’histoire ne dit pas s’il est resté seul à errer dans son étroite peau d’homme ou s’il a tout quitté pour se faire tambour sous les doigts de celle qui l’avait tant aimé.
Extrait de « Les loups » de Sylvie Folmer
Tags : femme, peau, tambour, mari, loup garou
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Commentaires
bonsoir brigitte,
il y a longtemps que j'ai toujours entendu l'histoire ou légende du loup-garrou j'ai du mal a concure belle soirée et gros bisou monette
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Une histoire "étrange"... et la conclusion laisse "la porte ouverte" à toutes les suppositions...
Très bonne journée et gros bisous.