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On va boucher le trou du vent de H. Boichot
Il est des hivers où les blaireaux ont le temps de sucer leur graisse, des hivers tellement voraces qu’ils vous mangent l’automne et le printemps, à un point qui fait dire à mon voisin :
- Aujourd’hui, on a eu un bel été !
Cet hiver là est interminable, avec des hauteurs de neige impressionnantes.
- Je voudrais qu’il neige aussi haut que les fils électriques pour voir les corbeaux picorer à genoux.
C’est encore mon voisin. Il s’est renfouiné au grands froids pour pointer son nez, de temps à autre, au poutchot de la grange, le béret tout couvert de poussot.
Là-dessus, le vent s’y est mis, fort et tenace, cornant aux coins des maisons et déglinguant au reste les planches déjà branlantes. C’est au moment où l’on croyait qu’il arrêtait sa tempêtance qu’il redoublait, tout chargé de neige qu’il plaquait aux faîtières des toits, sculptant des formes bizarres qu’il remodelait sans cesse, mécontent de son œuvre originelle. On s’impatientait, le vent fatigué use vos nerfs. Mon voisin a craqué le premier, il vient me retrouver à l’écurie où je finissais de rétrainer.
- Viens t’aider à boucher le trou du vent !
On partit devant nous, par le chemin, gaillardement, avec de la neige jusqu’aux cuisses par endroit, le triangle était sans doute coincé sur le Crêtot. On faisait face au vent et lui nous giflait de ses rafales cloutées de glace piquante. On poussait de l’épaule son mur qui résistait. On ne fit pas des kilomètres. On trouva refuge à la première ferme. Elle tombait bien puisque c’était celle du Gugu. Il était aux râteliers. Deux chaises nous attendaient et Gugu ne parut même pas étonné quand on lui déclara :
- Viens t’aider à boucher le trou du vent !
On prit un peu le chaud et des forces nouvelles. La Germaine rajouta deux œufs et deux tranches de lard épaisses comme ma main dans la poêlée. On arrosa notre frichti d’une bonne bouteille et d’une gouttote de prune. Il faut soigner les première lignes qui montent à l’assaut. A la guerre, puisque c’est la guerre. A trois on a un courage du tonnerre de Dieu ! Déjà, le vent commençait à se casser le nez. Imaginez le cortège. On ne pouvait pas marcher sur toute la largeur de la route, alors on mit le plus gros devant, et comme font les loups, on marchait à la queue leu leu. Trois soldats bottés et casqués, à la trogne rouge et féroce, bien déterminés à casser les reins au vent on profita de l’abri d’une sapinière pour allumer une cigarette et échafauder un plan de combat. Il fallait prendre au court, on tomberait tout juste sur la levée de grange de Médée. Pas la peine d’entrer, il ne nous suivrait pas, il n’aime pas le dehors.
- Cui-là, comme aime à dire le Gugu, il est comme la casserole, le cul toujours au chaud, le ventre plein et la queue toujours en l’air.
On rit bien, ce fut une première éclaircie dans la tempête. .
On passa la maison de l’Amédée, sans un regard aussi fiers que les grognards de Napoléon et on descendit les champs à Lysée. Sa femme qui portait des épluchures aux lapins nous récria.
- Par ce temps, vous êtes donc devenus fous !
- On vient chercher ton homme pour aller boucher le trou du vent.
- Pas avant d’avoir mangé la soupe.
On secoua ses pardessus dans le couloir, on racla ses souliers ferrés sur le béton du tuyé et on entra dans le poêle où Lisée lisait le journal, plus particulièrement la page des avis de décès.
- C’est pas des temps pour mourir ! Quel bon vent vous amène ?
On tua le temps avant midi, on tordit le coup d’une ou deux bouteilles de blanc. On fit le tour de l’écurie et on se déboutonna dans la raie.
- Elle va faire le veau ta Roussotte ?
- Elle passe depuis une semaine. Elle creuse le dos depuis ce matin elle pourrait bien vêler cette nuit.
On mangea comme des rois, la Jeannette nous avait préparé un repas de communion avec entrée et dessert.
On a mangé à s’en faire péter la sous-ventrière. Lisée avait mis la cave sur roulettes et on but que du bon, du quatorze d’Algérie bouché. Les colonies ont du bon ! On finissait le dessert lorsque l’on cogna à la porte : c’étaient les Beugnet du dessous du village.
- On arrive bien. Dis-moi, Jeannette, t’en a plein le poêle de devant !
Le Charles Beugnet, c’est pas un triste non plus.
- On partait. On va boucher le trou du vent. Viens donc t’aider !
Il ne se fit pas prier et on laissa les femmes à la vaisselle.
On partit à cinq et nous arrivâmes à dix. Un procession sans bannières avec seulement pour oriflammes des trognes rouges allumées par le froid et le vent, qui mollissait de plus en plus. Les saints intercédaient en notre faveur. Le cortège allait de chapelle en chapelle où la même prière se répétait. Le Gugu, toujours à l’avant conduisait la marche en direction de l’église qu’il laissa subitement à droite pour s’engouffrer Chez la Jeanne, la tenancière du seul bouchon des environs. On paya tournée sur tournée. Les combattants du vent tombaient comme des mouches, les uns entre leurs bras sur la table, les autres au bas de leur chaise, il y en a même un qui sortit sur le pas de la porte pour soulager sa vessie, tomba la tête en avant dans le bourrelet au risque de se geler l’outil. La Jeanne veillait et eut mille maux pour remballer tout son fourbie.
La nuit nous prit et dehors le froid nous saisit. On tenait les quatre coins de la route, les plus valides traînant ceux qui avaient déjà commencé leur nuit. Les maisons s’allumaient sur notre passage, les chiens répondaient à nos chansons en hurlant, des cris de femmes perçaient la nuit.
(C’est à cette heure que tu rentres, espèce de gouilland ! Las-moi !
Le Gugu subitement barra la route de ses deux bras en orémus. La chanson cascada.
- Les amis, je paie le Champagne ! Qui m’aime me suive.
- T’es devenus fou. Ce sera du bon butin de perdu et au prix où il est.
- ça ne m’émeille pas. Je le touche presque pour rien, vu que je retouche la TVA dessus.
Des rires fusèrent, on a beau être saoul, on n’est tout de même pas prêt à avaler des couleuvres. Mais dans une bande en ribote, il s’en trouve toujours un pour faire l’intéressé et l’intéressant.
- Comment je fais ? Je passe mes cartons de Champagne pour aliment du bétail. Vous pouvez tous essayer car tantôt quand vous rentrerez, vos femmes vous crieront : t’as encore bu comme un cochon !
Le vent nous ramena au bercail au petit matin et je vous jure, ce n’est pas le vent qui hurlait le plus fort. On avait bel et bien bouché le trou du vent.
H. Boichot.
(extrait de la Racontotte)
Tags : vent, bouche, trou
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Commentaires
Coucou Pestoune
Avec modération le champagne
ça bulle
Bonne journée