• Madassa de Michel Séonnet

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    Madassa

     

    Madassa ne savait ni lire ni écrire.

    Madassa avait l’âge qu’ont les enfants

    quand ils savent lire et écrire

    mais Madassa ne savait ni lire ni écrire.

     

    Dans la tête de Madassa

    il n’y avait pas de place pour les mots.

    Dans la tête de Madassa

    il y avait une peur toute noire,

    avec des bruits de guerre,

    et des morts, beaucoup de morts.

     

    Dans la tête de Madassa

    il y avait une colère rouge,

    avec des « Pourquoi ? Pourquoi ? »

    comme des griffes qui faisaient mal.

     

    Dans la tête de Madassa il y avait un brouillard

    de tristesse si épais, qu’il n’arrivait plus

    à se souvenir du visage de son frère et de sa sœur

    qui avaient disparu personne ne savait où.

     

    Certains jours, dans la tête de Madassa,

    il y avait aussi la faim qui lui remontait du ventre.

    Le noir de la peur, les griffes

    de la colère, le brouillard de tristesse

    – et certains jours la faim – prenaient

    toute la place dans la tête de Madassa.

    Il n’y avait plus de place pour les mots.

     

    La maîtresse ne savait pas quoi faire

    pour aider Madassa. Quand elle avait

    du temps, elle lui lisait les histoires

    qu’il ne pouvait lire tout seul.

     

    L’histoire du Petit Poucet

    qui avait si peur dans la forêt

    – et la peur du Petit Poucet

    se promenait dans la tête de Madassa.

     

    L’histoire du Grand Crieur

    qui était toujours en colère

    – et la colère du Grand Crieur

    était une colère dans la tête

    de Madassa.

     

    L’histoire de la Petite Marchande

    d’allumettes – et la tristesse

    de la Petite Marchande pleurait

    dans la tête de Madassa.

     

    La maîtresse racontait aussi

    l’histoire de Pierrot-la-Lune

    qui voulait fleurir toute la terre

    avec des plumes d’oiseau

    – et les plumes dansaient

    dans la tête de Madassa.

    Dans la tête de Madassa,

    la peur du Petit Poucet laissait

    des mots pour dire la peur.

    La colère du Grand Trieur laissait

    des mots pour dire la colère.

    La tristesse de la Petite Marchande

    laissait des mots pour dire la tristesse.

    La danse des mots de Pierrot-la-Lune

    laissait des mots qui donnaient

    envie de danser.

     

    Un matin, les mots qui s’agitaient si fort

    dans la tête de Madassa ne voulurent pas

    y rester. Madassa prit un cahier, un stylo,

    et un peu maladroitement, comme un enfant

    qui apprend à marcher, il écrivit :

     

    Madassa peur

    Madassa colère

    Madassa tristesse

     

    Madassa dans les herbes

    Madassa dans le vent

    Madassa dans l’eau

     

    Madassa gris noir bleu

    Madassa rouge jaune noir

    Madassa gris jaune vert

     

    Madassa coq tigre

    Madassa soleil

     

    — Un poème ! — dit la maîtresse. — Tu as écrit un poème !

     

    C’était donc ça, écrire !

    Prendre des mots dans des histoires

    et en faire les mots de Madassa.

    Il fallait lire beaucoup d’histoires

    pour avoir beaucoup de mots.

     

    Madassa se mit à lire.

    Et à écrire, encore.

    Plus il lisait, plus il écrivait.

    Plus il écrivait, plus il avait envie de lire.

    Ronde sans fin.

     

    Madassa, qui ne savait ni lire ni écrire,

    Remplissait maintenant des cahiers

    Et des cahiers.

    Un jour peut-être, à son tour,

    Il en ferait un livre.

     

    Madassa écrivain.

     

     

    Michel Séonnet

    Madassa

    Paris, Ed. Sarcabane, 2003

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  • Commentaires

    1
    renal
    Samedi 10 Janvier 2015 à 08:21
    une belle histoire !!! tu sais pour écrire, souvent les plus beaux mots simple mais profonds, sortent du cœur, laisser son coeur dire les mots, font les plus beaux poèmes, pas besoin d’être savant. Merci
      • Pestoune Profil de Pestoune
        Samedi 10 Janvier 2015 à 13:22
        Je crois malgré tout qu'il faut un talent que je n'ai pas. Merci à toi Renal.
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