• La Bourgeoise d'Orléans

     

    Un jeune clerc était venu étudier à Orléans, ville réputée pour la qualité de ses écoles. Il suivait assidûment les cours de ses maîtres, mais à ses moments de loisir il aimait parcourir les rues animées de la cité et flâner devant les boutiques C'est ainsi qu'il s'amouracha d'une marchande et qu'il réussit même à lui plaire.  Beau garçon, habile en paroles, il venait fréquemment courtiser sa belle et il espérait bien parvenir à ses fins. Mais ses visites répétées donnèrent des soupçons au mari qui, pour savoir ce qu'il avait à craindre, chargea une petite nièce, qu'il élevait chez lui, de surveiller les deux amants et de lui rapporter leurs propos.  La jeune personne fut assez prudente pour qu'on ne se défiât pas d'elle. 

    Un jour que le clerc pressait la dame de lui donner un rendez-vous, celle-ci répondit : 

    - Je ne le puis maintenant, mais soyez patient. Mon mari doit bientôt partir en voyage pour ses affaires, nous aurons alors tout loisir de nous voir d'autant plus sûrement que je vous ferai entrere, sans que vous soyez aperçu, en ouvrant la porte du jardin 

    Il se trouva que la petite nièce qui était aux aguets entendit la conversation. 

    Elle alla aussitôt la rapporter à son oncle et celui-ci, dès le jour même, annonça à sa femme qu'il tenait à se rendre à une foire importante et qu'il comptait partir le lendemain, au lever du jour 

    Il partit en effet ; mais, sur le soir, il rentra dans la ville et, à la faveur des ténèbres, il vient se porter comme en sentinelle à la porte du jardin, ne doutant pas que le clerc eût été avisé de s'y rendre. Sa prévision était bonne ; à l'heure convenue, la dame alla ouvrir, elle trouva l'époux qu'elle prit d'abord pour son ami. Elle l'embrassa et le conduisit à sa chambre. L'autre, qui craignant d'être reconnu, la suivit en silence. 

    Mais vous tromperiez vingt Argus aux yeux puissants plutôt qu'une femme. Elle s'étonna que son jeune ami ne lui dise rien et, en regardant de plus près, elle reconnut son époux. Mais, gardant toute sa présence d'esprit, elle s'adressa à son mari comme si elle eût parlé à son ami: 

    - Que je  vous sais gré d'avoir répondu si promptement à mon appel, doux sire ! Cependant je ne puis encore jouir du plaisir d'être dans vos bras avant que tout le monde ici ne soit retiré ! Mais suivez-moi, je vais, en attendant, vous cacher quelque part et dès que je serai sûre d'être seule, je viendrai aussitôt vous retrouver. 

    La femme, adroite et rusée, le conduisit dans une salle basse où elle l'enferma à double tour. L'âne pense une chose mais souvent l'ânier qui le conduit en pense une autre. C'est ce que comprit notre jaloux; il comptait attraper sa femme au piège et ce fut lui qui y fut pris. 

    La femme, libérée de tout souci, retourna à la porte du jardin où le jeune clerc, impatient, l'attendait et , à vous dire vrai, il fut mieux accueilli que l'époux. Les deux amants, affamés de se voir, se livrèrent tendrement aux plaisirs de l'amour.  Quelque temps plus tard, la dame qui avait repris une tenue décente, descendit pour parler aux gens de la maison. 

    - Vous avez souvent vu, leur dit-elle, venir céans un certain clerc ; voilà je ne sais combien de jours que ce drôle m'importune en prétendant m'aimer. Jusqu'à présent, quelque moyen que j'aie employé, il ne m'a pas été possible de m'en débarrasser Enfin, excédée de ses avances, j'ai feint d'y céder afin de le punir et lui ai donné, pour ce moment où mon mari est au loin, un prétendu rendez-vous Il est actuellement  renfermé sous clef dans la salle basse : Je vous le livre afin de le corriger et qu'il perde à jamais l'envie de venir déshonorer d'honnêtes femmes. Si vous le faites bien, je vous promets, moi en retour, de vous régaler de bon vin. 

    A ces mots, tout ce qui était dans la maison, valets, servantes, la nièce même et ses deux frères qui se trouvaient là, se levèrent aussitôt, s'armèrent de fouets et de bâtons, coururent vers la salle dont ils ouvrirent le verrou. Ils saisirent le jaloux, lui enroulèrent son chaperon autour du cup pour l'empêcher de crier et frappèrent sur lui à grands coups. Le malheureux fut ainsi jeté hors de sa maison et balancé sur un fumier. 

    Pour prix de cette magistrale correction, la dame, lorsqu'ils rentrèrent, les régala de vin blanc d'Orléans et, de son côté, elle se retira avec son ami pour de bien agréables moments. 

    Quant à l'époux en piteux état, il fut découvert au petit matin et reconduit chez lui Sa femme, accourant tout effrayée, lui demanda ce qui lui était arrivé. Il répondit qu'il avait été attaqué sur la route par des brigands et laissé presque pour mort. Elle lui fit préparer un bon bain chaud et, au bout de quelques jours, sans être tout à fait guéri, il se sentit mieux Surtout, en dépit de ses douleurs, il se félicitait d'avoir pu au moins, quoique à ses dépens, se convaincre de la vertu de sa femme et il conserva pour elle, toute sa vie, autant d'estime que d'amour. 

     

    Jean Defrasne 

    extrait de "On en riait au Moyen-Âge

    Contes et fabliaux"

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 28 Août 2021 à 06:51

    Pas mal du tout.... j'ai bien ri ! Tel est pris qui croyait prendre.... 

    Très bonne journée et gros bisous.

    2
    Samedi 28 Août 2021 à 15:45
    Renée

    Sacré maligne la Dame.....ça m'as bien fais rire. Bisous doux weekend

    P.S tu devrais aller voir ici https://envie2blog.wordpress.com/2021/08/28/valais-vallee-de-binn-12-13-aout-2021-1/

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