• La Bonne Année

     

    Bonne année, Bonne santé, Paradis à la fin de vos jours – telle est la formule qu’il y a moins d’un demi-siècle encore les enfants de nos villages répétaient de porte en porte dès l’aube du 1er janvier. Levés à la chandelle, les gros sabots aux pieds, le cache-nez autour du cou – et même, si la bise cinglait, la passe-montagne autour des oreilles – la bourriche - au bras ou le gueulard (la musette) au côté, ils s’en allaient, secouant de seuil en seuil la neige qui les bottait. Ils se groupaient généralement par familles alliées, parfois même par brigades et, quartier par quartier, ils visitaient le village en son entier.

    Les voiqui dso (les voici déjà), s’écriait la maîtresse de maison, tirée de son sommeil par le crissement de la neige sous les pas précipités du premier bataillon. Et, en hâte, elle passait son cotillon et son caraco, puis, jetant son fichu sur ses épaules, elle courait ouvrir la porte.

     

    Bonne année, Bonne santé, Paradis à la fin de vos jours

     

    Ah ! comme il était vivement débité, le couplet traditionnel ! Aussitôt la brave femme remerciait les petignols et s’empressait de puiser dans les provisions préparées la veille : petites corbeilles de marrons, grands cabuchons de noix, sacs de papillotes. Avec le plus grand soin, elle distribuait à chacun la même étrenne, exactement, car il ne faut pas faire de jaloux le premier jour de l’an.

    Dans les maisons un peu aisées, on ajoutait une orange – véritable pomme d’or pour nos petits paysans - et quelque monnaie de billon, parfois même une pièce de dix sous, l’étrenne entre toutes les étrennes. Ah ! comme ils étaient brillants, les regards qui accueillaient la mignonne pièce d’argent, et avec quel soin elle était aussitôt enfermée dans le porte-monnaie ou enfouie tout au fond d’une solide poche, d’une poche qui ne coulait pas !  C’est que, pour les jeunes campagnards d’alors, elle représentait des possibilités quasi infinies, cette précieuse pièce. Songez à tout ce qu’on pouvait, en ce temps-là, se procurer pour dix sous, et quand, par une chance dont on n’aurait pas osé rêver, la tournée ramenait quatre ou cinq fois ce présent divin, le premier jour de l’an était vraiment la plus beau jour de l’année.

    Malheureusement, toutes les bourgeoises n’étaient pas aussi larges. Quelques-unes même avaient de la peine, en ce jour pourtant exceptionnel, à triompher de leur avarice. Elles tentaient bien de sauver les apparences, mais elles n’arrivaient pas à donner le change.  Rien qu’une les recevant dans la main, les gamins reconnaissaient, sans se tromper, les noix de l’autre année. Alors le plus malin jetait un coup d’œil à ses camarades et le chœur reprenait son refrain, modifiant légèrement les dernières paroles :

     

    Bonne année, Bonne santé, Paradis à la fin de l’année

     

    Et, dans un éclat de rire, la bande polissonne se sauvait à toutes jambes pendant que la vieille avare, humiliée et furieuse, prédisait à ces mauvais sujets qu’ils finiraient mal.

    En dépit de si noires prophéties, beaucoup de ces espiègles n’ont pas trop mal tourné et ils ne sont pas les derniers à regretter le temps de la bonne année.  Si riches qu’ils puissent être aujourd’hui, quelle fortune peut leur donner la joie sans mélange que leur apportait la pièce de dix sous d’autrefois, la plus belle des étrennes, l’étrenne suprême ?

                                      

       Marguerite Reynier, 1933

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 1er Janvier 2017 à 11:22
    Séverine
    Re bonne année !
      • Dimanche 1er Janvier 2017 à 14:49

        happy re à toi aussi

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