Chassées de leur territoire par l'avancée des hommes, certaines tribus de la faune elfique bretonne se sont réfugiées au plus profond des forêts.
Parmi ces tribus, la plus importante est celle des Kornikaned, appelée ainsi parce que dit-on : "Ils chantent dans de petites cornes qu'ils portent suspendues à leur ceinture."
Mal connus, ils sont de très petite taille et se fondent habilement dans leur environnement naturel. Ils entretiennent des liens étroits avec les animaux sauvages dont ils peuvent prendre l'apparence à tout moment et dont ils sont les maîtres et les protecteurs. Veillant jalousement sur leur domaine, ils épient, dissimulés sous la végétation, les intrus qui pénètrent dans la forêt. Dotés de puissants pouvoirs, ils peuvent, si ils sont furieux, déclencher le vent, la foudre et la pluie. C'est par ce subterfuge qu'ils éloignent les indésirables chasseurs, qui viennent traquer le gibier sur leur territoire.
On dit aussi que les Kornikaned ne peuvent s'éloigner trop longtemps de leurs forêts sous peine de voir leur pouvoir disparaître.
Le jeune Guillaume est d'humeur chagrine, après des heures et des heures d'une quête infructueuse, son panier reste désespérément vide.
La bonne omelette, aux champignons sautés à souhait, n'est plus, hélas, parmi ses sombres pensées qu'un souvenir, s'effilochant au gré de ses pas
Il en a trouvé quelques-uns mais les petites bruines des derniers jours les ont rendus spongieux et mangés des vers.
Parti plein d'entrain de bon matin, il n'arrive pourtant pas à se décider à rebrousser chemin. D'un caractère plutôt tenace, il essaye encore d'imaginer l'aubaine des beaux pieds renflés, des chapeaux à la belle couleur brune qui comblerait ses espoirs et remplirait son panier.
Continuant sa marche, tout à ses noires pensées, Guillaume tombe soudain en arrêt, n'en croyant pas ses yeux. Devant lui, à ses pieds dans un nid de feuilles mortes, joliment blotti entre les grosses racines d'un vénérable vieux châtaignier, un impressionnant tas de chanterelles s'offre à lui.
Il s'avance lentement, tendant l'oreille au moindre bruit de pas, mais seul le bruissement des feuilles répond au silence de la forêt. Joie et crainte mêlées, il s'agenouille et, sa décision prise, 'empresse de faire main basse sur le "trésor", en regardant toutefois par-dessus son épaule avec la désagréable impression d'être épié...
Il se relève enfin, le panier débordant de belles girolles.
"C'est étrange tout de même !" se dit-il, il a beau scruter les sous-bois environnants, toujours nulle âme qui vive.
On n'a jamais l'esprit serein quand on vient de commettre une action que l'on soupçonne d'être indélicate. Le vent à présent s'est levé et le doux bruissement s'est mué en mugissements furieux, conférant à la scène une aura d'étrangeté. Mal à l'aise, Guillaume lance des regards furtifs à la ronde. La sensation d'être observé ne le quitte pas.
Enfin, sa sérénité revient, avec de sentiment de bien-être que l'on éprouve dans les lieux que l'on aime.
Qu'a-t-il à craindre après tout, il les aime ces bois, ces grands arbres et ce vents aux senteurs marines qui vient jouer dans les frondaisons.
Il a à présent la conviction d'avoir fait ce qu'on attendait de lui, mais de ne pas avoir accompli toutefois sa part du marché.
Alors, plutôt que de partir comme un voleur emportant son larcin, il se tourne et regarde vers le coeur de la forêt et simplement, dans murmure, dit : "Merci".
Le vent furieux s'apaisa alors en une étrange mélopée.
Extrait de
Les Korrigans et autres "Bugale an Noz"
aux Editions "Avis de tempête".