Par Pestoune
En 1849, Gustave Courbet décrit dans une lettre à son ami Francis Wey la rencontre qu'il vient de faire sur une route de campagne : deux casseurs de cailloux. Le peintre, nourri de grand air, de nature, à la tête fortement plantée sur les épaules, voit dans cette scène populaire, et même ordinaire, la réponse au représentations antiques, religieuses et académiques répandues dans les Salons officiels. Certains critiques ont imaginé dans les casseurs de pierres une protestation contre la dure condition des ouvriers, réduits à trimer sans reconnaissance sociale. On commence à parler d'injustice, de morale, tout en pensant que "l'humilité des sujets n'enlève rien à leur valeur esthétique, l'important est de les traiter avec force et gravité" (Castagnary, critique d'art). Le nom du vieux est connu, on l'appelait le père Gagey. Il était cantonnier sur le route d'Ornans.
Malheureusement le tableau sera détruite pendant le bombardement de Dresde en 1945, il ne reste que des photos et ce texte de la plume même de Courbet.
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"Ce tableau teinté de gris, avec ces deux homes aux main calleuses, au cou hâlé, était comme un miroite où se reflétait la vie terne et pénible des pauvres" (Jules Vallès, 1866)
J'avais pris notre voiture, j'allais au château de Saint-Denis faire un paysage ; proche de Maisière, je m'arrête pour considérer deux hommes cassant des pierres sur la route. Il est rare de rencontrer l'expression la plus complète de la misère, aussi sur-le-champ m'advint-il un tableau. Je leur donne rendez-vous pour le lendemain dans mon atelier, et depuis ce temps j'ai fait mon tableau. Il est de la même grandeur que la Soirée à Ornans. Voulez-vous que je vous en fasse la description ?
C'est un tableau de casseurs de pierres qui se compose de deux personnages. Là est un vieillard de soixante et dix ans, courbé sur son travail, la masse en l'air, les chairs hâlées par le soleil, sa tête à l'ombre d'un chapeau de paille : son pantalon de rude étoffe est tout rapiécé, puis, dans ses sabots fêlés, des bas qui furent bleus laissent voir les talons. Ici, c'est un jeune homme à la tête poussiéreuse, au teint bis : la chemise dégoûtante et en lambeaux laisse voir les flancs et les bras ; un bretelle en cuir retient les restes d'un pantalon, et les souliers de cuir boueux rient tristement de bien des côtés. Le vieillard est à genoux, le jeune homme est derrière lui, debout, portant avec énergie un panier de pierres cassées. Hélas ! Dans cet état, c'est ainsi qu'on commence, c'est ainsi qu'on finit ! Par-ci par-là est disposé leur attirail : une hotte, un brancard, un fossoir, une marmite de campagne, etc. Tout cela se passe au grand soleil, en pleine campagne, au bord du fossé d'une route ; le paysage remplit la toile. Oui, M. Peisse, il faut encanailler l'art ! Il y a trop longtemps que les peintres, mes contemporains, font de l'art à l'idée et d'après des cartons.
Gustave Courbet, Courbet raconté par lui-même et par ses amis
Pierre Cailler, Genève, 1950
Extrait de La Franche-Comté. Des mots pour l'aimer de Dominique Jacobs aux Editions Cabédita. Livre composé d'extraits de livres d'auteurs comtois recueillis et commentés par l'auteure.
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