Par Pestoune
Pour remplacer une cloche usée, les gens de Fondremand décidèrent un jour d'en acheter une neuve. Faite sur commande, on pouvait lire ce poème sur son flanc poli :
Je suis Cécile
De Fondremand.
Saint agrément,
Ma voix jubile
A l'infini.
Dieu soit béni !
Elle fut mise en place en grande pompe au mois de mai. Travaillot, le charpentier, prit grand soin de la fixer à des sommiers de chêne cerclés de fer. A partir de ce jour, Desnoyer, le sacristain, la fit sonner chaque jour à l'heure des Angélus. il en écoutait le son lorsqu'il tirait la longue corde qui la balançait. Parfois, il montait les escaliers du clocher, puis grimpait ensuite sur l'échelle qui lui permettait d'arriver jusque vers elle pour la voir de plus près, pour caresser son flanc lisse et bleuté; il luis semblait même que l'airain était plus luisant quand il s'en approchait.
Cécile était la fierté du village, sa voix argentine et harmonieuse charmait tout le monde. Les gens de Fondremand aimaient son appel pour la messe du dimanche, pour les offices. Il leur semblait qu'il était aussi doux quand elle sonnait pour un enterrement. Vint le temps de l'Avent, de Noël, du Carême...
Le Jeudi Saint, Desnoyer monta vers elle, la caressa, puis détacha la corde du balancier avant qu'elle ne fasse, comme toutes les cloches, un voyage à Rome...
La nuit venue, Cécile resta là. A quoi bon s'en aller, alors qu'elle se trouvait si bien à Fondremand, le plus beau village des Paloumères ? Mais le silence du Vendredi Saint lui parut insupportable, si bien qu'elle en eut des remords. Elle partit donc, la nuit venue, mais se perdit bientôt dans un épais brouillard. Elle heurta les roches des côtes d'Arvers et, fêlée, sans force, alla s'écraser au bord du Lignon dans une prairie qu'on appelle encore aujourd'hui le Pré de la Cloche. Elle resta là, et fut la seule à ne pas chanter la joie de la résurrection pascale. Des paysans, lisant l'inscription qu'elle portait, avertirent les gens de Fondremand. Ceux-ci vinrent la chercher pour la reconduire chez le fondeur. Après une deuxième fusion, on la remit dans sont clocher, mais elle n'a plus de nom, et ne porte plus le poème qui avait peut-être fais son orgueil. Sur son flanc, on ne lit plus que ces trois mots : "Vade retro Satanas".
Aujourd'hui, c'est l'électricité qui la fait sonner, et c'est toute une partie de la poésie d'autrefois qui n'est plus là. La belle cloche est solitaire, on ne la caresse plus, peu de gens du village l'ont déjà vue. On dit toutefois qu'elle fait chaque année son voyage pascal et que, pour les humbles, tous les chemins mènent à Rome.
Emile Raguin
extrait de "La Vouivre et la Lauzine"
Fondremand est une commune française située dans le département de la Haute-Saône, en région Franche-Comté.
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