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    On raconte qu’au creux d’un massif vosgien connu seulement par quelques sages vivaient de grands cervidés. C’était leur pays, ils y étaient rois et le chant de leurs bois se mêlait au vent qui montait de la vallée et résonnait de vallon en vallon quand le temps des amours s’emparait des lieux.

    Ce pays était si étrange et si beau que les chasseurs renonçaient à le traverser. Ils se contentaient de l’observer du haut des sommets.

    Il y avait bien eu quelques audacieux pour s’y aventurer, mais ils reconnaissaient que cette superbe nature leur avait ôté le goût de la chasse. La majesté des cervidés était d’une rare élégance et c’eût été un péché que de la troubler.

    Renaud, un jeune cavalier orgueilleux et épris de chasse, connaissait la réputation des lieux, mais il décida de poursuivre les cerfs. Les anciens eurent beau le mettre en garde, il affirmait haut et fort qu’il irait chasser sur ces terres. Il aurait le courage de braver les lieux. Chasseur il voulait être, chasseur il deviendrait. Beauté des cervidés ou pas, il descendrait le vallon à cheval, arpenterait les bois, débusquerait le gibier et deviendrait celui qui avait osé chasser.

    Il se prépara donc à la chasse, mais ne trouva pas le sommeil la nuit précédant son expédition. Car c’en était une. Il vérifia sa monture, flatta son cheval à l’encolure. Il inspecta minutieusement ses armes, sa tenue, sans omettre de remplir une besace de victuailles, pain, lard, fruits séchés et vin.

    Avant le chant du coq, il se mit en route. Déjà, la nuit se trouvait absorbée par le jour naissant et une brume bleutée s’accrochait encore aux hautes branches des sapins.

    Il n’était pas sitôt dans le lieu de tant de beauté qu’il se trouva face à un cerf imposant et fier. D’abord, il se contenta de l’observer. L’animal, il devait bien en convenir, était d’une grande beauté. Son regard altier, presque dédaigneux, ne s’arrêta guère sur le jeune prétentieux. Il l’effleura dans une caresse furtive et douloureuse. Le jeune chasseur continuait de le toiser jusqu’au défi. Etait-ce cette provocation qui était la cause de cette vague de sombre tristesse passée à la vitesse de l’éclair dans la prunelle de l’animal ? Le grand cerf tourna la tête et s’enfonça dans la forêt.

    Le charme était rompu. Le jeune prétentieux sentit monter en lui cette fureur de dominer et entreprit de poursuivre l’animal de futaie en futaie jusqu’à ce qu’il le terrasse.

    Ce fut une course qui ne tint pas compte du temps et qui dura jour et nuit. Le chasseur ne laissait pas de répit à l’animal qui se retournait de temps à autre avec ce regard étrange qui commençait à user la patience du chasseur. Parfois, le cerf faisait une halte et tournait la tête avec noblesse. Il toisait l’homme qui en venait à penser au deuxième jour. Il me nargue, il me nargue. Alors la bête repartait en bondissant toujours avec audace et élégance. Le chasseur eut l’impression de ne pas être maitre du jeu. L’animal savait où il allait. Pour le chasseur il était encore temps de renoncer, de rebrousser chemin. Mais l’orgueil, le possédait et irriguait toutes les fibres de son être. Tant pis si l’animal savait où il allait et que lui était condamné à le suivre. Les dés étaient jetés. Il irait, il verrait, il saurait. Tant d’obstination ne pourrait que le mener à la victoire. L’homme doit toujours être le plus fort sur les éléments. Et le courage ne peut que trouver sa récompense dans la victoire, songeait-il alors qu’il s’épuisait, mais s’obstinait.

    Le souffle semblait se dérober. Il n’y prenait pas garde. C’est à peine s’il osait plonger la main dans son sac pour se restaurer.

    Au troisième jour, il respira la forêt. Le grand air pur parfumé de résine et des dernières fleurs d’automne provoquait en lui une délicieuse ivresse. Il avançait encore et se trouva soudain au bord d’une rivière surgie de nulle part. Il tendit l’oreille. Il n’entendait pas seulement le bruit de l’eau, mais un chant perlé de beauté. Des voix féminines. Il s’approcha des rives et se trouva face à un étrange tableau. Un groupe de jeunes femmes se baignaient dans l’eau. Elles se lavaient, riaient et chantaient au rythme de l’eau frissonnante.

    L’une d’elle, la plus jolie, s’approcha du jeune homme. Il en fut très troublé. Elle resplendissait et semblait jeter des éclairs de lumière argentée. Une lumière glacée et métallique comme l’eau qui se mettait à  bouillonner. Renaud eut froid. Un froid jamais éprouvé, même au cours des hivers glacés qui sévissent sur tout le massif vosgien. C’est alors que son sang se figea. Le cheval devait éprouver les mêmes sensations, car il s’arrêta brusquement et se raidit. D’un geste joint au regard, la dame blanche avait transformé le jeune orgueilleux et sa monture en un bloc de glace.

    Depuis, le lieu s’appelle la Glacière, dans le défilé de Straiture. Mais peu de gens le connaissent. On dit que beaucoup n’osent s’en approcher par crainte de subir le même sort.

                     Tiré de : « Les confessions d’Adrien »  -  Elise Fischer

     

    Vosges

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  • Saison des brumes et du fruit accompli !

    Amie la plus proche du soleil mûrisseur,

    Tu complotes avec lui pour charger et bénir de fruits

    Les treilles qui courent au long des toits de chaume ;

    Pour courber de pommes les arbres moussus des verges,

    Pour combler tous les fruits de maturité ;

    Pour gonfler la courge et durcir la coque

    Des douces noisettes ; pour offrir plus,

    Toujours plus de fleurs tardives aux abeilles,

    Jusqu’à les laisser croire à un éternel été,

    Parce que la chaleur a gorgé toutes les ruches.

     

    Qui ne t’a vue souvent arpenter ton domaine ?

    Parfois quiconque sort et te cherche, te trouve

    Assise sans manières, à même le sol des granges,

    Les cheveux légèrement soulevés par le vent du vannage ;

    Ou endormie sur un sillon à moitié moissonné,

    Etourdie par les vapeurs des pavots, tandis que

    Ta faucille épargne les fleurs mêlées du prochain carré :

    Et parfois, pareille à une glaneuse, tu dresses droite

    Ta tête chargée de gerbes pour franchir un ruisseau ;

    Ou encore, près d’un pressoir à cidre, tu regardes,

    Des heures durant, couler ses ultimes gouttes.

     

    Où se sont-elles enfuies, les chansons du Printemps ?

    Ne les recherche pas : toi aussi, tu as ta musique,

    Tandis que des nuages striés fleurissent le jour

    Qui doucement meurt, et vermeillent les toits de chaume ;

    Les petites éphémères en chœur se lamentent

    Parmi les saules de la rive, soulevés ou retombant

    Au diapason du vent léger ;

    Et les agneaux déjà sevrés bêlent sur toutes les collines ;

    Les grillons des haies chantent ; et l’on entend

    Le rouge-gorge siffler haut dans le pré,

    Et les hirondelles rassemblées trisser dans le ciel.

                                                                                John Keats

     

    Photo0277

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    Une merveilleuse animation de Seth Boyden. C’est l’histoire d’une montagne qui traverse les âges tranquillement jusqu’à ce que l’être humain perturbe l’immuabilité de sa vie.

    https://vimeo.com/126177413


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    Quelques minutes qui dérident avec ce jeune humoriste.

    https://www.youtube.com/watch?v=z3L6xaZdp7A


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    C’est magnifique. C’est numérique et pourtant tellement beau. Mettez en grand écran et laissez-vous porter.

    https://vimeo.com/86224382

    The Moment of Beauty from Takayuki Sato on Vimeo.


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