• Tu pars !... deux jours hélas, et tu n'es plus pour nous 
    Qu'un de ces souvenirs solitaires et doux 
     Dont le cœur s'empare en silence. 
    Pourquoi donc venais-tu si tu devais nous fuir ? 
    Hélas ! mes jours sereins au nonchalant loisir 
     Ne renaîtront pas de l'absence.

    Ah ! je devais penser (mais comment le pouvoir 
    Quand je laissais mes yeux s'égarer chaque soir 
     Sur cette place où tu reposes) 
    Que l'amour ici-bas n'a que de courts instants, 
    Que la vie est un songe, et qu'avec le printemps 
     Hélas ! s'en vont toutes les roses.

    Tu t'en vas donc aussi !... Pars, s'il est quelque bord 
    Où tu sois plus aimée, où plus d'âmes d'abord 
     Recherchent ton heureux empire, 
    Où tu puisses ravir, sans effort et sans art, 
    Plus de regards d'amour avec un seul regard, 
     Plus de cœurs avec un sourire.

    Tu pars ! je les maudis ces lieux où tu n'es plus, 
    Et cependant jamais ne furent répandus 
     Plus de trésors sur les campagnes, 
    Jamais Dieu n'épancha de son sein paternel 
    Parfums plus purs aux fleurs, plus mol azur au ciel, 
     Plus douce rosée aux montagnes.

    Tu parus, aussitôt tout s'embellit de toi ; 
    Tu parus, et le jour devint plus doux pour moi, 
     Et la nuit devint plus sereine... 
    Adieu, gloire, avenir ! Oh ! j'aurais tout donné 
    Pour sentir un moment sur mon front incliné 
     L'ombre de tes cheveux d'ébène.

    Tu n'étais pas venue et déjà cependant 
    Je ne sais quel parfum de ton nom s'exhalant 
     Allait devant ta renommée ; 
    Et le jour où sur moi s'abaissèrent tes yeux... 
    Où t'avais-je donc vue ? En quel songe des cieux ? 
     Je crus déjà t'avoir aimée.

    Oh ! comme lentement vont se traîner les mois ! 
    Plus de brise dans l'air, plus d'ombre sous les bois, 
     De rêverie au bord des fleuves !... 
    Encore si ta voix eût laissé sur mon cœur 
    Tomber un de ces mots d'ineffable douceur 
     Qui consolent les âmes veuves !

    Ce mot eût fait éclore un magique univers 
    Où pour l'entretenir de mes regrets si chers 
     J'aurais enseveli ma vie ; 
    Ainsi pour se bercer d'une image d'amour 
    Le cygne sous son aile en attendant le jour, 
     Ramène sa tête endormie.

    Mais pas même ce mot ! A l'heure du départ 
    Ma furtive douleur s'exhalant à l'écart 
     Évitera jusqu'à ta vue, 
    Et quand de ton exil tu reviendras enfin, 
    Ton œil indifférent retrouvera le mien 
     Sans y chercher la bienvenue.

     

    Antoine de Latour 

     

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  • ŒUFS DE PAQUES

    Voici venir Pâques fleuries,
    Et devant les confiseries
    Les petits vagabonds s'arrêtent, envieux.
    Ils lèchent leurs lèvres de rose
    Tout en contemplant quelque chose
    Qui met de la flamme à leurs yeux.
    Leurs regards avides attaquent
    Les magnifiques œufs de Pâques
    Qui trônent, orgueilleux, dans les grands magasins,
    Magnifiques, fermes et lisses,
    Et que regardent en coulisse
    Les poissons d'avril, leurs voisins.
    Les uns sont blancs comme la neige.
    Des copeaux soyeux les protègent.
    Leurs flancs sont faits de sucre. Et l'on voit, à côté,
    D'autres, montrant sur leurs flancs sombres
    De chocolat brillant dans l'ombre,
    De tout petits anges sculptés.
    Les uns sont petits et graciles,
    Il semble qu'il serait facile
    D'en croquer plus d'un à la fois ;
    Et d'autres, prenant bien leurs aises,
    Unis, simples, pansus, obèses,
    S'étalent comme des bourgeois.
    Tous sont noués de faveurs roses.
    On sent que mille bonnes choses
    Logent dans leurs flancs spacieux
    L'estomac et la poche vides,
    Les pauvres petits, l'œil avide,
    Semblent les savourer des yeux.

    Marcel PAGNOL

     

    Œufs de Pâques  de Marcel Pagnol

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  •  

     

    Chaque jour tu rattrapais la lune

    qui fuyait

     

    Chaque jour tu approchais de mon silence

    pour y mêler le tien

     

    Je me voyais poser la main sur une ombre

    Moi-même j’étais une ombre

    sans paupières

     

    Nous étions notre propre désert

    pierre au vif des sables

    et source dans l’amour du monde

     

    Nous étions l’oiseau blanc

    qui porte le nuage entre ses ailes

    Nous étions le vol et l’oiseau

    fendant le ciel du regard

    quand s’abolit la distance

    et que renaît le feu

     

    Soleil à son lever

    chaque jour tu rattrapais la lune

    qui fuyait

     

    Nous étions la lune et le soleil

    et la couleur qui soutient le ciel

    et son commencement

     

    Nous étions lumière et ténèbres

    Nous étions la roue

    qui assemble le jour et la nuit

     

    Nous étions l’homme la femme

    et l’enfant que je voyais en toi

     

    Chaque jour tu approchais de mon silence

    pour y mêler le tien

     

    Nous étions la totalité

    des voyelles et des consonnes

    que scellaient nos bouches de chair

     

    Nous étions le feu vif et la cendre

    et nos propres décombres

     

    Nous étions tout ce qui n’eut pas lieu

    et qui dure

     

     

    Amina Saïd « soleil à son lever », La douleur des seuils

     

    Soleil à son lever de Amina Saïd

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  •  

     

    Tu parles de ton âge, de tes fils de soie blanche.

    Regarde tes mains pétales de laurier-rose, ton cou le

    seul pli de la grâce.

    J’aime les cendres sur tes cils tes paupières, et tes yeux

    d’or mat et tes yeux

    Soleil sur la rosée d’or vert, sur le gazon du matin

    Tes yeux en Novembre comme la mer d’aurore autour

    du Castel de Gorée.

    Que de forces en leurs fonds, fortunes des caravelles,

    jetées au dieu d’ébène !

     

    J’aime tes jeunes rides, ces ombres que colore d’un

    vieux rose

    Ton sourire de Septembre, ces fleurs commissures de

    tes yeux de ta bouche.

    Tes yeux et ton sourire, les baumes de tes mains le

    velours la fourrure de ton corps

    Qu’ils me charment longtemps au jardin de l’Eden

    Femme ambiguë, toute fureur toute douceur.

     

    Mais au coeur de la saison froide

    Quand les courbes de ton visage plus pures se

    présenteront

    Tes joues plus creuses, ton regard plus distant, ma

    Dame

    Quand de sillons seront striés, comme les champs

    l’hiver, ta peau ton cou ton corps sous les fatigues

    Tes mains minces diaphane, j’atteindrai le trésor de

    ma quête rythmique

    Et le soleil derrière la longue nuit d’angoisse

    La cascade et la même mélopée, les murmures des

    sources de ton âme.

     

    Viens, la nuit coule sur les terrasses blanches, et tu

    viendras

    La lune caresse la mer de sa lumière de cendres

    transparentes.

    Au loin, reposent des étoiles sur les abîmes de la nuit

    marine

    L’Île s’allonge comme une voie lactée.

    Mais écoute, entends-tu? les chapelets d’aboiements

    qui montent du cap Manuel

    Et monte du restaurant du wharf et de l’anse

    Quelle musique inouïe, suave comme un rêve

     

    Chère !….

     

                    Léopold Sédar SENGHOR  : "Lettres d'hivernage"

     

    Tu parles de Léopold Sédar SENGHOR

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  • Premier sourire du printemps de Théophile Gautier

     

    Tandis qu'à leurs oeuvres perverses

    Les hommes courent haletants,

    Mars qui rit, malgré les averses,

    Prépare en secret le printemps.

    Pour les petites pâquerettes,

    Sournoisement lorsque tout dort,

    Il repasse des collerettes

    Et cisèle des boutons d'or.

    Dans le verger et dans la vigne,

    Il s'en va, furtif perruquier,

    Avec une houppe de cygne,

    Poudrer à frimas l'amandier.

    La nature au lit se repose ;

    Lui descend au jardin désert,

    Et lace les boutons de rose

    Dans leur corset de velours vert.

    Tout en composant des solfèges,

    Qu'aux merles il siffle à mi-voix,

    Il sème aux prés les perce-neiges

    Et les violettes aux bois.

    Sur le cresson de la fontaine

    Où le cerf boit, l'oreille au guet,

    De sa main cachée il égrène

    Les grelots d'argent du muguet.

    Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,

    Il met la fraise au teint vermeil,

    Et te tresse un chapeau de feuilles

    Pour te garantir du soleil.

    Puis, lorsque sa besogne est faite,

    Et que son règne va finir,

    Au seuil d'avril tournant la tête,

    Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

     

                                                    Théophile Gautier (Emaux et Camées)

     

    Premier sourire du printemps de Théophile Gautier

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