• Ton âme 

     

    Ton âme, c'est la chose exquise et parfumée

    Qui s'ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,

    Et qui, pleine d'amour, s'étonne d'être aimée.

    Ton âme, c'est le lys divin et blanc.

     

    Comme un souffle des bois remplis de violettes,

    Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,

    Et l'on apprend de toi les bravoures muettes.

    Ton âme est le poème, et le chant, et le soir. 

     

    Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,

    Ton âme est ce regard bienveillant du matin

    Qui ranime d'un mot l'espérance brisée...

    Ton âme est la pitié finale du destin. 

     

    Renée Vivien

    extrait de "Poèmes choisis"

     

    Ton âme  de Renée Vivien

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  •  

    « Je trahirai demain »


    Je trahirai demain pas aujourd’hui.
    Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
    Je ne trahirai pas.

    Vous ne savez pas le bout de mon courage.
    Moi je sais.
    Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
    Vous avez aux pieds des chaussures
    Avec des clous.

    Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
    Demain.
    Il me faut la nuit pour me résoudre,
    Il ne faut pas moins d’une nuit
    Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

    Pour renier mes amis,
    Pour abjurer le pain et le vin,
    Pour trahir la vie,
    Pour mourir.

    Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
    La lime est sous le carreau,
    La lime n’est pas pour le barreau,
    La lime n’est pas pour le bourreau,
    La lime est pour mon poignet.

    Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
    Je trahirai demain.

     

    Marianne Cohn, « Je trahirai demain », 1943.

    L.A 2 Marianne Cohn, Je trahirai demain, 1943 | philofrançais.fr

     

    Je trahirai demain est un poème que Marianne Cohn, une résistante allemande incarcérée en France, aurait écrit en 1943, durant sa première incarcération, qui dura 3 mois. 

    Les circonstances de l'écriture de ce poème demeurent cependant assez floues puisque c'est un enfant qui, après la mort de la résistante, a donné la lettre contenant le texte du poème à la responsable du Mouvement de la jeunesse sioniste (MJS).

    L'hypothèse a donc été émise qu'il aurait été écrit durant la première arrestation de la jeune femme. Le poème parle d'une nuit durant laquelle Marianne Cohn se dit qu'elle préfère s'ôter la vie plutôt que de parler et de livrer des Juifs et des confrères résistants à la Gestapo. Elle parle donc d'une autre forme de trahison, celle faite à la vie. Elle comprend qu'elle ne pourra plus profiter de ce dont elle a joui toute sa vie. Ce texte était souvent proposé à l'épreuve d'histoire des arts du brevet des collèges dans les collèges lyonnais avant la disparition de cette épreuve.

     

     

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  • POUR ME FAIRE AIMER


    Pour me faire aimer, j'ai vraiment tout essayé,
    J’ai même changé de personnalité,
    mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai acheté la paix
    Même si cette paix me troublait,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai pris tous les blâmes sur moi
    Même si je n’en étais pas la cause,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai tout accepté
    Même de pardonner l’impardonnable,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai accepté de me faire blesser verbalement
    Sans jamais riposter,
    J’ai saigné abondamment et j’ai léché mes plaies,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai consenti à me faire rabaisser
    Plus d’une fois
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, je n’ai rien dit afin de vous protéger
    Et j’ai tout enduré,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, je vous ai comblé de cadeaux
    Et vous en avez largement profité,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, je vous ai donné du temps
    Que je n’avais pas,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai toujours fait les premiers pas
    Même si vous saviez pertinemment que c’était à vous
    De les faire
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer, j’ai essayé de vous faire comprendre
    Tout en douceur, de différentes façons,
    Mon besoin de vous, mon besoin de votre amour,
    Mais ça n’a rien donné
    Pour me faire aimer,
    j’ai finalement compris,
    Après plusieurs années
    de travail acharné,
    Que c’est moi que je devais
    tout simplement
    Aimer…


    Nicole CHAREST

     

    POUR ME FAIRE AIMER

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  • Gaston Miron est un poète militant québécois, déclaré à son décès en 1996, poète national. 

    La Marche à l'amour est l'un des poèmes le plus populaire au Québec. Il est profondément touchant et émouvant. 

    Dans une interview, Miron a dit de La marche à l’amour que « tous ses échecs successifs dans l’amour ont été projetés dans ce poème écrit entre 1954 et 1958. »

     

    Nous entendrons dans la vidéo qui suit, une mise en musique et une interprétation magistrale de ce poème par Babx.  On ne ressort pas indemne de cette écoute, quel bouleversement. 

     

     

    La marche à l’amour par Gaston Miron

     

    Tu as les yeux pers des champs de rosées
    tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
    la douceur du fond des brises au mois de mai
    dans les accompagnements de ma vie en friche
    avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
    moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
    moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
    la tête en bas comme un bison dans son destin
    la blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
    pour la conjuration de mes manitous maléfiques
    moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
    pour la réverbération de ta mort lointaine
    avec cette tache errante de chevreuil que tu as
    tu viendras tout ensoleillée d’existence
    la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
    le corps mûri par les jardins oubliés
    où tes seins sont devenus des envoûtements
    tu te lèves, tu es l’aube dans mes bras
    où tu changes comme les saisons
    je te prendrai marcheur d’un pays d’haleine
    à bout de misères et à bout de démesures
    je veux te faire aimer la vie notre vie
    t’aimer fou de racines à feuilles et grave
    de jour en jour à travers nuits et gués
    de moellons nos vertus silencieuses
    je finirai bien par te rencontrer quelque part
    bon dieu!
    et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
    par le mince regard qui me reste au fond du froid
    j’affirme ô mon amour que tu existes
    je corrige notre vie
    nous n’irons plus mourir de langueur
    à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
    des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
    les épaules baignées de vols de mouettes
    non
    j’irai te chercher nous vivrons sur la terre
    la détresse n’est pas incurable qui fait de moi
    une épave de dérision, un ballon d’indécence
    un pitre aux larmes d’étincelles et de lésions profondes
    frappe l’air et le feu de mes soifs
    coule-moi dans tes mains de ciel de soie
    la tête la première pour ne plus revenir
    si ce n’est pour remonter debout à ton flanc
    nouveau venu de l’amour du monde
    constelle-moi de ton corps de voie lactée
    même si j’ai fait de ma vie dans un plongeon
    une sorte de marais, une espèce de rage noire
    si je fus cabotin, concasseur de désespoir
    j’ai quand même idée farouche
    de t’aimer pour ta pureté
    de t’aimer pour une tendresse que je n’ai pas connue
    dans les giboulées d’étoiles de mon ciel
    l’éclair s’épanouit dans ma chair
    je passe les poings durs au vent
    j’ai un coeur de mille chevaux-vapeur
    j’ai un coeur comme la flamme d’une chandelle
    toi tu as la tête d’abîme douce n’est-ce pas
    la nuit de saule dans tes cheveux
    un visage enneigé de hasards et de fruits
    un regard entretenu de sources cachées
    et mille chants d’insectes dans tes veines
    et mille pluies de pétales dans tes caresses
    tu es mon amour
    ma clameur mon bramement
    tu es mon amour ma ceinture fléchée d’univers
    ma danse carrée des quatre coins d’horizon
    le rouet des écheveaux de mon espoir
    tu es ma réconciliation batailleuse
    mon murmure de jours à mes cils d’abeille
    mon eau bleue de fenêtre
    dans les hauts vols de buildings
    mon amour
    de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
    tu es ma chance ouverte et mon encerclement
    à cause de toi
    mon courage est un sapin toujours vert
    et j’ai du chiendent d’achigan plein l’âme
    tu es belle de tout l’avenir épargné
    d’une frêle beauté soleilleuse contre l’ombre
    ouvre-moi tes bras que j’entre au port
    et mon corps d’amoureux viendra rouler
    sur les talus du mont Royal
    orignal, quand tu brames orignal
    coule-moi dans ta plainte osseuse
    fais-moi passer tout cabré tout empanaché
    dans ton appel et ta détermination
    Montréal est grand comme un désordre universel
    tu es assise quelque part avec l’ombre et ton coeur
    ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
    fille dont le visage est ma route aux réverbères
    quand je plonge dans les nuits de sources
    si jamais je te rencontre fille
    après les femmes de la soif glacée
    je pleurerai te consolerai
    de tes jours sans pluies et sans quenouilles
    des circonstances de l’amour dénoué
    j’allumerai chez toi les phares de la douceur
    nous nous reposerons dans la lumière
    de toutes les mers en fleurs de manne
    puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
    tu seras heureuse fille heureuse
    d’être la femme que tu es dans mes bras
    le monde entier sera changé en toi et moi
    la marche à l’amour s’ébruite en un voilier
    de pas voletant par les lacs de portage
    mes absolus poings
    ah violence de délices et d’aval
    j’aime
    que j’aime
    que tu t’avances
    ma ravie
    frileuse aux pieds nus sur les frimas de l’aube
    par ce temps profus d’épilobes en beauté
    sur ces grèves où l’été
    pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
    harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
    ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
    lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
    et qu’en tangage de moisson ourlée de brises
    je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
    je roule en toi
    tous les saguenays d’eau noire de ma vie
    je fais naître en toi
    les frénésies de frayères au fond du coeur d’outaouais
    puis le cri de l’engoulevent vient s’abattre dans ta gorge
    terre meuble de l’amour ton corps
    se soulève en tiges pêle-mêle
    je suis au centre du monde tel qu’il gronde en moi
    avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
    je vais jusqu’au bout des comètes de mon sang
    haletant
    harcelé de néant
    et dynamité
    de petites apocalypses
    les deux mains dans les furies dans les féeries
    ô mains
    ô poings
    comme des cogneurs de folles tendresses

     

    mais que tu m’aimes et si tu m’aimes
    s’exhalera le froid natal de mes poumons
    le sang tournera ô grand cirque
    je sais que tout mon amour
    sera retourné comme un jardin détruit
    qu’importe je serai toujours si je suis seul
    cet homme de lisière à bramer ton nom
    éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
    mon amour ô ma plainte
    de merle-chat dans la nuit buissonneuse
    ô fou feu froid de la neige
    beau sexe léger ô ma neige
    mon amour d’éclairs lapidée
    morte
    dans le froid des plus lointaines flammes
    puis les années m’emportent sens dessus dessous
    je m’en vais en délabre au bout de mon rouleau
    des voix murmurent les récits de ton domaine
    à part moi je me parle
    que vais-je devenir dans ma force fracassée
    ma force noire du bout de mes montagnes
    pour te voir à jamais je déporte mon regard
    je me tiens aux écoutes des sirènes
    dans la longue nuit effilée du clocher de Saint-Jacques
    et parmi ces bouts de temps qui halètent
    me voici de nouveau campé dans ta légende
    tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
    les chevaux de bois de tes rires
    tes yeux de paille et d’or
    seront toujours au fond de mon coeur
    et ils traverseront les siècles
    je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
    lentement je m’affale de tout mon long dans l’âme
    je marche à toi, je titube à toi, je bois
    à la gourde vide du sens de la vie
    à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
    à ces taloches de vent sans queue et sans tête
    je n’ai plus de visage pour l’amour
    je n’ai plus de visage pour rien de rien
    parfois je m’assois par pitié de moi
    j’ouvre mes bras à la croix des sommeils
    mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
    avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
    je n’attends pas à demain
    je t’attends
    je n’attends pas la fin du monde je t’attends
    dégagé de la fausse auréole de ma vie

     

    La marche à l’amour par Gaston Miron

     

    https://www.youtube.com/watch?v=BMX8Ap5xw4s

     

    Gaston Miron - « La marche à l'amour » (Québec, 1962) – Babx (2015) -  YouTube

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  • Cet article est programmé, étant absente une petite semaine

     

    Let the dead bury their dead  de Renée Vivien

     

    Voici la nuit : je vais ensevelir mes morts, 

    Mes songes, mes désirs, mes douleurs, mes remords,

    Tout le passé... Je vais ensevelir mes morts. 

     

    J'ensevelis, parmi les sombres violettes, 

    Tes yeux, tes mains, ton front et tes lèvres muettes, 

    Ô toi qui dors parmi les sombres violettes ! 

     

    J'emporte cet éclair dernier de ton regard...

    Dans le choc de la vie et le heurt du hasard,

    J'emporte ainsi la paix de ton dernier regard. 

     

    Je couvrirai d'encens, de roses et de roses, 

    La pâle chevelure et les paupières closes 

    D'un amour dont l'ardeur mourut parmi les roses. 

     

    Que s'élève vers moi l'âme froide des morts, 

    Abolissant en moi les craintes, les remords, 

    Et m'apportant la paix souriante des morts ! 

     

    Que j'obtienne, dans un grand lit de violettes, 

    cette immuable paix d'éternités muettes

    Où meurt jusqu'à l'odeur des douces violettes ! 

     

    Que se reflète, au fond de mon calme regard,

    Un vaste crépuscule immobile et blafard ! 

    Que diminue enfin l'ardeur de mon regard  !

     

    Mais que j'emporte aussi le souvenir des roses, 

    Lorsqu'on viendra poser sur mes paupières closes

    Les lotus et les lys, les roses et les roses ! ... 

     

    Renée Vivien

    Extrait de Poèmes choisis. 

     

    Let the dead bury their dead  de Renée Vivien

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