• Les droits des enfants adaptation d'un conte de Dominique Dimey (Suite et fin)

    Petite China

    Il se retrouva allongé sous des bambous. Sur un terrain, des enfants jouaient au football ; assise sur le côté, une petite fille les observait :

    — Tu ne joues pas avec eux ? demanda l’enfant.

    — Non !

    — Tu t’appelles comment ?

    — Petite China ! Le foot, c’est pour les garçons.

    — Chez moi, les filles aussi jouent au ballon.

    Petite China tortilla sa grande natte :

    — Oui, mais ici, les garçons ont le droit de faire plus de choses que les filles ; ils font de longues études, ils ont une famille, ils mangent chaque jour du riz, de la viande ou du poisson !

    L’enfant ne comprenait pas :

    — Les filles et les garçons ont la même importance, ils sont égaux !

    — Pas ici. Ici, les familles n’ont droit qu’à un seul enfant, et la plupart préfèrent avoir un garçon, qui, plus tard, travaillera et pourra aider sa famille à vivre.

    — Une fille, c’est pareil !

    — Les grandes personnes croient sûrement que les filles sont plus faibles, plus fragiles ; tu sais, nous, à l’orphelinat, on est drôlement fortes, on court très vite, on est championnes au tai-chi, on sait écrire plus de mille caractères, on sait fabriquer des cerfs-volants géants ! Pourtant, lorsque dans la rue on croise une maman et un papa avec leur garçon, on se sent aussi minuscules qu’un grain de riz, et on se demande pourquoi on n’a pas eu la chance d’être aimées ! Plus tard, je fonderai une famille, j’aurai deux enfants, un garçon et une fille, et je leur apprendrai qu’ils ont chacun le même droit à l’amour, à la famille, à un avenir !

    L’enfant prit la main de Petite China et l’embrassa tendrement, comme une petite sœur. Leurs deux ombres égales se mirent à scintiller, inondant de lumière tous les bambous du pays.

     

    Bryony et Brian

    Le son d’un violon lui fit lever la tête. Bryony jouait à l’archet une douce mélodie. Elle s’arrêta et lui demanda :

    — Tu n’as pas rencontré Brian, sur ta route ? Je l’attends, c’est mon amoureux !

    — Tu as de la chance d’avoir un amoureux !

    — Oui, mais je ne le vois presque jamais.

    — Ah bon, il habite loin ?

    — Non, en face de chez moi, mais on nous interdit de nous voir, parce que je suis catholique et lui protestant.

    — Et alors, cela n’a rien à voir avec l’amour !

    — À la maison, si je veux faire un signe à Brian, il ne faut pas que mes parents le sachent. Ça les rend furieux. Ils disent que les bombes et la violence, c’est à cause des protestants. Moi, j’aime Brian tel qu’il est, avec ses dents écartées, ses cheveux roux. Sa religion, je m’en moque !

    Bryony soupira et poursuivit :

    — Heureusement, tous les deux, nous avons un secret que les grandes personnes ne connaissent pas ; avec la musique, nous nous retrouvons quand nous le voulons.

    Bryony se remit à jouer. Au loin, une flûte lui répondit.

    — Plus tard, nous serons musiciens et nous jouerons ensemble dans les rues pour montrer que les enfants ont le droit de s’aimer, même s’ils ne sont pas de la même religion, de la même race, ou de la même couleur.

    Au son de la flûte et du violon, le tilleul se couvrit de notes de musique et d’instruments de tous les pays du monde.

    L’enfant se laissa bercer par cette musique et, un peu fatigué par tant de voyages, il s’endormit.

     

    Amadou

    La voix d’Amadou le réveilla.

    — Où suis-je ? demanda l’enfant.

    — Tu es dans mon pays !

    Sous une ébène magnifique, Amadou explorait son cartable.

    — Tu pars à l’école ?

    — Une école ? Tu rigoles ! Cela fait des mois que le chef nous en promet une, elle n’arrive jamais. Les grandes personnes ont toujours des choses plus importantes à faire !

    — Quoi par exemple ?

    — La guerre. Ici, les tribus se battent, détruisent les forêts, les villages ; après, les gens n’ont pas le temps de construire une école ! Ce n’est pas important pour eux ; la plupart des gens de mon village ne savent même pas écrire ! Tu vois, mon cartable, ce sont les enfants d’une école d’un autre pays qui me l’ont envoyé ; dedans, il y a tout ce qu’il faut pour apprendre : des chiffres, des lettres, des crayons, des gommes… Moi j’ai envie de savoir, de comprendre !

    Amadou était curieux, on aurait dit qu’il allait dévorer les livres.

    — Aujourd’hui, je peux te réciter la conjugaison des droits au temps présent : j’ai le droit d’aller à l’école, tu as le droit d’apprendre à lire, il a le droit de savoir compter… Plus tard, je serai maître d’école, j’irai de village en village apprendre à lire et à écrire aux enfants pour qu’ils sachent qu’ils ont tous le droit à une éducation gratuite, quelle que soit leur tribu, qu’ils vivent au fond de la brousse ou dans les rues des grandes villes.

    L’ébène magnifique se balança lentement. Des livres remplis d’histoires et des cahiers impatients de recueillir les plus beaux secrets tombèrent un à un autour d’Amadou.

    Meena

    L’enfant eut à peine le temps de lui dire au revoir qu’il se retrouva sur un banc d’école, à côté d’une petite fille endormie sur son cahier : « Elle a le droit de se reposer, elle doit être bien fatiguée ! » pensa-t-il.

    Meena ouvrit les yeux :

    — Oh ! quelle heure est-il ? Oh, la, la ! je vais être en retard à la fabrique ! Le patron va me gronder !

    — La fabrique ? le patron ? De quoi parles-tu ?

    — Le matin et le soir, je travaille dans une fabrique de tapis, et je vais aussi à l’école, mais je suis fatiguée et je n’arrive jamais à finir mes devoirs. J’ai de mauvaises notes.

    — Ne va pas à la fabrique, tu as les yeux tout rouges.

    — C’est normal, les métiers à tisser sont dans une cave sombre, éclairée par un seul soupirail. On travaille dans la pénombre !

    — Il y a d’autres enfants ?

    — Oui, il n’y a que des enfants !

    — N’y retourne pas, les enfants de ton âge vont à l’école, pas au travail !

    — Mes parents ne pourront pas vivre, si je ne travaille pas.

    L’enfant réfléchit :

    — Si tu vas à l’école, tu apprendras un bon métier et tu pourras mieux les aider.

    Les yeux de Meena s’illuminèrent :

    — Plus tard, je veux être professeur ; j’apprendrai aux enfants qu’ils ont le droit de dire non ; non, nous ne voulons pas être exploités, nous voulons aller à l’école, étudier pour être libres de choisir nos vies.

    L’enfant tenait déjà dans sa main quelques feuilles du vieux chêne, les plus brillantes et les plus vivaces. Il les glissa dans la paume de Meena et disparut.

     

    Antonino

    Cette fois, l’enfant atterrit sur une montagne dépourvue de végétation ; la branche avait dû se tromper de chemin, personne ne pouvait vivre à une telle altitude. Soudain, un peu plus bas, près des quinoas, il crut voir une ombre : quelqu’un en train de tailler des morceaux de roseaux ! Un enfant, seul dans ces grandes montagnes ! L’ombre monta jusqu’à lui. Oui, c’était Antonino, le petit berger. Il était tellement heureux de voir l’enfant qu’il sautait de joie :

    — Merci de venir me voir, merci ! Je suis toujours seul, seul dans la montagne, seul avec les troupeaux, le jour, la nuit, sous la pluie, dans le vent, sous les étoiles ; mon unique compagnon, c’est lui !

    Il montra à l’enfant son instrument de musique :

    — C’est un siku, mais pour en jouer, c’est tellement mieux d’être deux ! Un soir, je jouais quand, soudain, quelqu’un m’a répondu. Enfin, je n’étais plus seul ! C’était merveilleux ! J’ai couru le long du rio, vers les hautes herbes, j’ai cherché, cherché, appelé, appelé – personne, je n’ai trouvé personne !

    — Mais alors, qui t’avait répondu ? demanda l’enfant intrigué.

    — L’écho, seulement l’écho. J’ai tellement rêvé de rencontrer d’autres enfants, pour faire la fête avec eux, pour danser, pour chanter ; tu vois, je fabrique des sikus pour chacun d’entre eux. Plus tard, je descendrai dans les vallées leur distribuer mes instruments pour que nous ayons tous le droit aux loisirs, le droit de nous retrouver pour ne plus être isolés !

    Antonino se mit à jouer, et l’enfant jeta dans le vent sa dernière feuille.

    Sans plus tarder, montèrent de la vallée des enfants en habits de fête. Tapant sur des bombos, ils chantaient, dansaient, laissant tournoyer leurs ponchos multicolores.

    Lena

    La musique emplit une à une les vallées et les montagnes, et guida l’enfant bien loin d’Antonino, jusqu’à une bouche de métro. Là, une petite fille tournait autour d’un grand foulard. L’enfant s’arrêta, fasciné :

    — Tu danses comme un oiseau.

    — J’adore danser, mais je ne peux pas toujours, je dois rester assise à mendier !

    — Mendier, c’est quoi ?

    — Demander de l’argent en pleurant, en disant que je suis malade, que mon père est infirme ; c’est mon oncle, celui qui a la grosse voiture, qui m’oblige à le dire et à lui donner tout l’argent !

    — Quoi ! mais c’est affreux, il ne faut pas accepter !

    L’enfant chercha vite une feuille dans sa poche, mais il eut beau chercher… il ne lui en restait plus ; ses poches étaient vides ! Il était désemparé, sa voix tremblait :

    — Je n’ai plus de feuilles !

    Et il expliqua :

    — Si je suis près de toi, c’est grâce à un ami, un vieux chêne. Il m’a promené aux quatre coins de la Terre ; avec ses branches, il a offert des hamacs, des jouets ; avec ses feuilles, il a donné des brassées d’espoir, et là je n’ai plus rien !

    Lena prit alors son petit accordéon et tira doucement sur les soufflets ; une nuée de feuilles s’en échappa. L’enfant, émerveillé, les suivit des yeux.

    — Toi aussi, tu connais le vieux chêne ?

    — Bien sûr, avec mes grandes sœurs, on se raconte souvent la bonne aventure !

    — La bonne aventure ?

    — L’avenir, si tu préfères !

    — Est-ce que tu pourrais me dire l’avenir des enfants, des enfants de toute la Terre ?

    Lena prit une feuille du chêne dans sa main et se mit à lire :

    — Tous les enfants de la Terre vont s’unir pour défendre ensemble leurs droits : le droit au respect, le droit à une famille, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à l’éducation, le droit aux loisirs, le droit à la santé, le droit de ne plus être vendu ni maltraité, le droit à la justice, le droit à l’amour. Tout simplement, le droit de vivre heureux leur vie d’enfant !

    — Il n’y aura plus de guerres ?

    — Ceux qui veulent la guerre iront sur une planète toute sèche !

    — Sur la Terre, tous les enfants auront le temps de jouer, le temps de rêver ?

    — Oui, bien sûr, on inventera même des classes de rêve dans les écoles !

    — Il y aura de l’amour pour tous, pour les filles, pour les garçons ?

    — Personne ne manquera d’amour !

    — Alors, tous les enfants seront heureux sur Terre ?

    — Oui. Ils pourront grandir et devenir demain des parents respectueux des droits de leurs enfants !

    — Sais-tu autre chose encore ?

    — Oui. Que le vieux chêne est l’arbre des droits, et que tous les enfants que tu as rencontrés t’y attendent.

    — Tous ? même les fillettes emprisonnées ? L’enfant battu ? Les enfants de nulle part ?

    — Oui, tous !

     

     

    L’enfant n’avait jamais été aussi heureux. Il courut vers le vieux chêne ; les enfants étaient là, certains blottis dans les branches, d’autres assis contre le tronc. L’enfant se faufila parmi eux et, tendant ses bras vers l’arbre protecteur, déclara :

    — Regardez, nous sommes tous les feuilles de cet arbre, avec la même sève qui coule dans nos branches ; nous sommes aussi solides que lui ; désormais, nous ne serons plus seuls et nous n’aurons plus jamais peur. Cet arbre est l’arbre de nos droits, emportez ses feuilles et plantez ses graines ; demain, nous aurons une forêt magnifique !

    Les enfants se levèrent et chantèrent à l’unisson, dans toutes les langues, la chanson qui ouvre grande la porte du bonheur. Elle se glissa tout autour de la planète, au-delà des océans, par-delà les montagnes, au milieu des déserts et dans les grandes villes, jusqu’au cœur de tous les enfants.

     

    Dominique Dimey

    C’est le droit des enfants ! (Adaptation)

    Arles, Actes Sud, 2001

     

    http://www.youtube.com/watch?v=yZ8OwBpQLVc 

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  • Commentaires

    1
    renal
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 09:08
    Encore de belles histoires, tellement vraie hélas. Merci Pestoune
    2
    Pestoune Profil de Pestoune
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 09:39
    Nos enfants n'ont pas vraiment conscience de la chance qu'ils ont alors que d'autres y compris dans notre propre pays ont une vie si difficile et injuste. On devrait le leur raconter. Merci Renal. Bonne journée.
    3
    Césarion
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 19:51
    comme d'habitude magnifiquement construit et très beau : bravo !
    4
    Pestoune Profil de Pestoune
    Jeudi 24 Juillet 2014 à 21:08
    Le mérite t'en revient. Merci Césarion de m'avoir permis d'utiliser tes photographies. Bises.
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