• Le sortilège de Chapendu de Hervé THIRY-DUVAL

     Avent : conte danois - la petite fille aux allumettes | La petite fille aux  allumettes, Petite fille, Conte

     

    La petite fille fagotée comme la poupée du diable, portait une pauvre jupe faite dans un sac d'engrais. Les habitants du coin la regardaient passer en parlant à voix basse. Elle habitait au village de Chapendu (Ce nom étrange aurait pour origine une pratique des moines de Saint-Colomban qui, durant leurs travaux de défrichement, accrochaient leurs capes dans les arbres ; d'où "capes-pendus") dans le hameau des Dessus, une maison isolée contre le bois.

    Ce matin-là, de "braves" gens lui avaient accroché une pancarte dans le dos, où ceux qui savaient lire pouvaient voir, grossièrement écrit : "Enfant du diable."

    Derrière sa fenêtre, le voisin aux yeux noirs guettait la gamine. La vue du petit écriteau le fit sourire.

    La foule de badauds s'écarta pour la laisser passer. Dans leurs regards, posés sur elle comme des guêpes sur un fruit trop mûr, elle pouvait deviner un mélange de peur et de fascination. A l'intérieur de la maison, deux femmes tressaient des paniers. Dans cette famille, on était vanniers depuis que le saule existait. La petite fille, sans un mot, jeta la pancarte dans le feu. Ce n'était pas la première fois. Le mot "diable" fut le dernier à brûler. 

    Depuis des mois, la rumeur courait dans toute la vallée du Breuchin. Hommes, femmes, et enfants marchèrent jusqu'à Chapendu, attirés par l'odeur de soufre Il en vint de Corravillers, Saint-Valbert, Mélisey et même des Vosges. Certains jours, on compta jusqu'à cinq cents personnes agglutinées autour de la maison.  On aurait dit des spectateurs attendant avec impatience que la représentation commence. Parfois, ils entendaient ou croyaient entendre des bruits étranges venant de la maison. Ils avaient besoin d'un butin. Rentrés chez eux, ils pourraient au moins se vanter d'avoir vu la gamine diabolique. 

    "Une sauvageonne, noiraude et maigrichonne, presque pas vêtue.

    - Avec un regard méchant ! 

    - Moi, elle me faisait peur."

    Ils en parleraient encore pendant vingt ou trente ans, ils en feraient un des thèmes favoris de leurs veillées d'hiver, glissé entre une légende de vouivre dévoreuse d'enfants et la tragique histoire de l'instituteur de Fresse. 

    Dès l'arrivée de la nuit, les curieux devenaient plus rares. De petits groupes, parmi les plus courageux, veillaient à proximité de la maison. Une plainte ayant été déposée pour tapage nocturne, des gendarmes vinrent de temps à autre, monter la garde. C'était la nuit que les forces étranges s'éveillaient. 

    Toute l'affaire avait débuté à l'hiver 1918. La veuve Grosmaire, sa fille et sa petite-fille entendirent frapper à la porte qui s'ouvrit violemment et se referma toute seule. Ensuite, il y eut des courses de chevaux à l'étage. "On aurait dit comme le bruit d'un escadron de cavalerie qui passe", rapportèrent plusieurs voisins. Les trois femmes furent effrayées, mais pensèrent à un charivari, à une méchante farce qu'on leur faisait. 

    Hélas ! le même manège recommença la nuit suivante. Au bout de la cinquième, d'autres bruits, des murmures, se firent entendre dans le fourneau de la cuisine. On remarqua bien vite que la chose se produisait uniquement quand la gamine se tenait assise là, près du feu. Dès ce moment, tout le pays y vit la marque du diable ! 

    Deux fois, le curé de Raddon fit le chemin jusqu'à la maison ensorcelée de Chapendu. Derrière ses carreaux, le voisin avait serré les poings en voyant l'homme en soutane bénir la maison. 

    Le curé de Raddon n'était pourtant pas homme à accepter volontiers l'intervention du démon. S'il avait écouté ses paroissiens, il aurait pratiqué des exorcismes du matin au soir. Les paysans des Vosges saônoises, à l'esprit des plus superstitieux, accusaient le diable au moindre pet de travers ! Depuis longtemps, il ne comptait plus les vaches et les chèvres qu'il avait dû bénir car elles se refusaient à donner du lait...

    En sortant de la maison, le curé transpirait à grosses gouttes. Visiblement secoué, il raconta : 

    "J'avais fait barricader les portes, mais quand la petite s'est montrée, tout a sauté !"

    La gamine allait souvent jouer dans les bois d'alentour. Là, au moins, il n'y avait que des merles ou des chevreuils pour la guetter. Accroupie au pied d'un chêne presque mort, elle jouait aux osselets pendant des heures. Une expression de tristesse ne quittait plus son petit visage maigre. Parfois, elle levait brusquement la tête, croyant entendre la voix de sa mère l'appelant. 

    Maintenant ça l'amusait presque de leur faire peur.  Dans ses cheveux très longs, elle accrochait de fines plumes trouvées en forêt et des petits rubans déchirés dans de vieux draps. Elle prenait l'allure d'une enfant sauvage. Fallait voir leurs têtes ! Surtout les vieilles, avec leurs lèvres crispées dans un rictus proche du dégoût. Quand elle en regardait une bien droit sans les yeux, une fois sur deux, la femme attrapait le hoquet ! 

     

    Chaque nuit, à 8 heures, le  grand chambardement diabolique recommençait. D'abord, les portes s’ouvraient et se fermaient toutes seules. La petite fille observait, guettant les nouveautés. Ensuite, on entendait des coups sourds contre les murs, des galops au plafond, puis des bruits de chaînes et des murmures.  Le tiroir de l'armoire s'ouvrait et les torchons étaient projetés en l'air. La table se mettait à devenir folle et tournait comme une toupie. Les rondelles du fourneau se soulevaient. Le soir où les lunettes de sa grand-mère s'envolèrent de son nez, la gamine eut envie d'applaudir. 

     

    Dans sa maison noire, un homme, à l'insu de tous, consultait de mauvais livres aux titres qui auraient pu paraître comiques s'ils n'avaient été maléfiques : Les Secrets de la poule noire, Le Véritable dragon rouge ou l'Art de commander les esprits célestes, aériens, terrestres et infernaux, le Grand Albert, Le Petit Albert. Il les tenait de son père. Dans sa famille, ils jetaient des sorts depuis l'époque de Desle La Mansénée (Célèbre sorcière de la région de Luxeuil, brûlée vive le 18 décembre 1529). 

    Entre les pages du plus gros livre, il glissa trois cheveux de la maigre gamine, glanés près d'un vieux chêne à demi crevé. 

     

    Voyant que ni curé ni gendarmes ne réussissaient à mettre fin à cette affaire, un garde forestier conseilla à la jeune tante de la petite de rendre visite à une fameuse devineresse. Habitant au village d'Amage, cette dernière, croyait-on, se métamorphosait régulièrement en lapin pour aller écouter aux portes. On pouvait y voir un gage de haute compétence ! Il faut se souvenir qu'au début du XXe siècle, jeteurs de sorts, devins et autres sorciers avaient quasiment pignon sur rue. Le garde forestier avait dit : 

    "Vous verrez, c'est une brave femme connaissant bien des vieux secrets. Elle saura retourner le sort sur celui qui l'a envoyé. "

    Là-bas, la curieuse sorcière aux facultés de voyante avaient bien vite deviné "l'homme au mauvais oeil": 

    "Un jaloux ! Comme il se sent trop à l'étroit chez lui, il veut s'emparer de votre maison. Depuis la défaite du curé, cet orgueilleux se croit bien tranquille et proche de son but. Je vais vous en délivrer. Je n'aime guère ces sorciers qui volent le sourire des petites filles."

     

    De retour à Chapendu, suivant point par point les recommandations de la devineresse d'Amage, la tante chercha avant le lever du soleil un crapaud. Elle glissa dans sa gueule un morceau de camphre, puis perça les deux mâchoires pour passer un fil, afin de le pendre bien haut dans la cheminée; Pendant neuf jours, elle fit balayer la maison par la fillette avec un balai de genêts. A chaque fois, elle versait tout ce qui était ramassé dans un pot de terre rouge. A la fin, on jette le contenu  de ce pot-au-feu pour le faire cuire. En dernier lieu, la jeune femme fit discrètement bouillir neuf clous dans une marmite puis les jeta dans l'eau froide. 

    Dans la maison, de l'autre côté e la combe, l'homme aux yeux noirs pourra un grand cri.... 

     

                                                            Hervé THIRY-DUVAL 

                                                            (Contes et légendes de Haute-Saône et de Belfort)

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 14 Novembre 2020 à 06:56

    Une très belle légende.... on devait avoir bien peur dans la campagne à cette époque...

    Très bonne journée et gros bisous

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    2
    Samedi 14 Novembre 2020 à 07:43

    Superbe légende.

    Bonne journée Brigitte.

    Christian

    3
    Samedi 14 Novembre 2020 à 15:09

    bonjour brigitte ,

     elle est très belle cette légende et le l'avoir parcourue  , c’est déjà tourner les pages du livre,, un très joli conte merci brigitte et gros bisous ,, monette

    4
    Samedi 14 Novembre 2020 à 17:06

    Bonjour ma Brigitte 

    Une légende qui me laisse un peu sur ma faim mais qui m'a un un peu fait peur pour la petite.

    Tu vois j'ai toujours mon âme d'enfant...hi hi hi 
    Bonne soirée ma douce et gros bisous 

    Méline

    5
    Samedi 14 Novembre 2020 à 17:42

    Merci pour ce joli conte Brigitte.

    Bonne soirée à toi.

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