• Labrie, la fiancée du vent

     

    Cette année-là, le Marquis avait fait venir une équipe de bûcherons qui travaillaient dans la coupe à côté de la nôtre. Parmi eux, quelques-uns parlaient une langue inconnue et ne maniaient le français qu’avec difficulté. Ils aimaient, le soir, chanter et danser ou alors conter des histoires de leur lointain pays au pied des Pyrénées. J’avoue avoir oublié beaucoup de ces veillées, mais il y en a une qui m’a frappé. Je vois encore le conteur, éclairé par la lueur du feu, sa curieuse cognée aux formes arrondies posée sur les genoux. D’une voix bien timbrée, cherchant ses mots, les yeux dans le vague, il nous a conté cette histoire.

    Dans nos montagnes, au milieu des bois, vivait une pette chienne. Ses maîtres, des bûcherons, comme nous, l’avaient apportée là toute jeune. Elle n’était pas vraiment belle, le poil long, la truffe noire, assez courte de pattes, le corps allongé. Elle aimait courir dans les pentes, entres les fûts des arbres, mais elle s’arrêtait souvent pour regarder le soleil à travers les branches. On ne la maltraita pas, loin de là, mais on ne s’occupait pas vraiment d’elle. Elle se sentait étouffé, manquant d’espace et d’amour. Elle n’était pas heureuse, car son cœur ne s’était pas choisi un maître. Aussi, un jour s’enfuit-elle, partant au hasard, à l’aventure.

    Un beau matin de printemps, elle émergea à l’air libre, au milieu d’une vaste prairie émaillée de fleurs multicolores. Un vent léger transportait mille senteurs. La vie bruissait autour d’elle. La pette chienne se dressa sur ses pattes, offrant son joli museau noir à la caresse de la brise. Le vent la vit alors, statue même du bonheur. Il revint tourner autour d’elle, courbant l’herbe et les fleurs, la caressant de son souffle embaumé. Elle, sentant cette caresse, rayonnait de joie. Cette communion était si totale que le vent restait là, oubliant les ailes des moulins et les voiles des bateaux. Mais le devoir l’appelant, ne pouvant se résoudre à l‘abandonner seule dans la prairie, il gonfla son souffle et, bientôt, l’emporta.

    On ne l’a jamais revu sur terre. Les montagnards disent que le vent l’a épousée et l’a baptisée Labrie. Quand vous voyez les nuages courir dans le ciel, c’est Labrie qui les poursuit, quand le ciel moutonne, c’est Labrie qui les rassemble.

    Elle a eu de nombreux enfants que le Vent a déposés dans la montagne là où il l’avait trouvée. Les hommes les ont recueillis et élevés en échange de leur amour. Ce sont leurs descendants qui, de nos jours encore, rassemblent les moutons dans la montagne. De leur mère, ils ont gardé la beauté et le souffle inépuisable.

    Ne vous étonnez pas si, de temps en temps, vos bergers lèvent vers le ciel leurs museaux et leurs si doux yeux marron. C’est que là-haut, derrière, les nuages ils entendent leur père passer.

    Vous pensez peut-être que j’ai inventé cette histoire ? Non, elle m’a été racontée par un vieux bûcheron, au cœur de la forêt, un soir autour du feu.

     

    Georges Thoma (la Racontotte)

     

    Labrie, la fiancée du vent

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  • Commentaires

    1
    Samedi 26 Janvier 2019 à 07:05

    Joli conte et très beau portrait du toutou.

    Bonne journée Brigitte.

    Christian

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