• L’eau de vie javanaise

    L’eau de vie javanaise

     

    Rude métier que de travailler dans les chemins de fer au XIXe siècle. Dans La bête humaine de Zola et dans le film qu’en a tiré Jean Renoir en 1938 avec Jean Gabin, on peut avoir un aperçu des conditions de vie de ces cheminots. L’hiver, l’usage veut que l’on se retrouve autour d’une flambée en plein air pour déguster du vin chaud.  En plus de ragaillardir les forçats du rail, cette boisson permet de se donner un peu de baume au cœur et de tisser des liens entre collègues. Pour le feu, on récupère le bois de casse, des planches de wagon accidenté ou du charbon chapardé dans les locomotives.

    Pour le vin, on se sert directement dans les tonneaux de chêne ! Les trains ont désormais remplacé la route et le fleuve pour transporter les Bourgognes, Bordeaux ou Beaujolais du Pays. Il est donc aisé d’aller tirer en douce le jus de la treille dans des chargements en stationnement, en gare de triage par exemple. La technique est simple. Muni d’un petit vilebrequin, le cheminot perce délicatement le fût et recueille le breuvage dans un récipient destiné à cet usage. Puis, il enfonce en force un bouchon qui, en se gonflant de vin, obture complètement le tonneau. Impossible de déceler la supercherie ! Les négociants attribuent en général cette perte à la fameuse « part des anges » le volume d’alcool qui s’évapore au fil du temps…

    En cet hiver 1861, le froid redouble d’intensité et les regroupements autour des brasiers sont fréquents. Ce jour-là, les cheminots présents dégustent une eau-de-vie particulièrement goûteuse, au bouquet inimitable… Elle a été dénichée quelques heures auparavant par le chef de train qui a découvert une sorte de tonneau de grosse contenance dans le wagon. En regardant son étiquette de transport, il a lu sa provenance : Java, en Indonésie. Un peu d’exotisme à la portée de tous ! N’y tenant plus, grelottant de froid, le chef de train décide de tester cet alcool. Armé du fameux vilebrequin, il commence sa besogne, et un liquide ambré, d’un goût très subtil, s’écoule dans son seau. Six cheminots sont ensuite conviés à se délecter de deux litres de cette fameuse eau-de-vie, très parfumée. Malgré les commentaires et les clapets sous la langue pour tester, sa composition secrète, probablement à base d’épices inconnues, n’arrive pourtant pas à être percée.

    Puis c’est de nouveau le départ et tout le monde embarque avec au fond de l’estomac et dans l’haleine des relents mielleux de ce nectar javanais. Enfin arrivée à destination, la cargaison est débarquée puis réceptionnée par le destinataire, un professeur de médecine réputé en France. Avant d’embarquer sa marchandise, il demande à vérifier le contenu pour émettre des réserves au cas où la « pièce » aurait été détériorée ou abîmée pendant le voyage.

    On ouvre donc avec moult précautions ce qui se révèle être une sorte de sarcophage empli effectivement d’alcool. Un sourire de contentement éclaire alors le visage du professeur… avant que celui des sept agents ne se décompose sous l’effet du choc.  Au fond du tonneau, recroquevillé, le cadavre d’un orang-outan entier flotte dans un état de conservation remarquable… L’histoire, racontée par le grand écrivain Henri Vincenot, fera dans les mois qui suivent, et pour longtemps, le tour de France des gares et des dépôts de cheminots.

    A votre santé !

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